Il y a 50 ans, l'École polytechnique s'ouvrait aux femmes

Ce contenu a été publié sous le gouvernement de la Première ministre, Élisabeth Borne.

Publié 16/11/2022

« Polytechnique offre sa chance à chacun, à chacune, tord le bras au déterminisme et déjoue les destins tracés » , a rappelé la Première ministre à l'occasion du 50e anniversaire de l'ouverture du concours de l'École polytechnique aux femmes

La Première ministre Élisabeth Borne à la tribune pendant son discours d'ouverture des 50 ans de l'entrée des femmes à l'École polytechnique
« Il n'y a pas de destin tracé, il n'y a pas de chemin masculin ou féminin. Il n'y a que l'envie, le travail et le talent » a insisté Élisabeth Borne, en conclusion de son discours.
Intervention de la Première ministre Élisabeth Borne à l'occasion du 50e anniversaire de l'ouverture du concours de l'École polytechnique aux femmes.

Discours à l'École polytechnique

Mesdames les parlementaires,
Monsieur le président, cher Éric LABAYE,
Madame la directrice générale, chère Laura CHAUBARD,
Mesdames et Messieurs, chères étudiantes, chers étudiants, chères lycéennes.

La scène se déroule en 1794. L'École polytechnique s'appelle encore École centrale des travaux publics et vient tout juste d'être fondée. Déjà les plus grands noms et les plus grands espoirs des mathématiques et des sciences s'y pressent. Parmi eux, Joseph-Louis LAGRANGE, mathématicien exceptionnel et qui enseigne dans la nouvelle école. Un jour, il reçoit les commentaires et les réflexions d'un certain Antoine AUGUSTE LE BLANC. Élève brillant, sa justesse et sa rigueur impressionnent le professeur. Après des mois de correspondance, LAGRANGE finit par convoquer le jeune prodige.

Et quelle n'est pas sa surprise de voir se présenter une jeune femme, Sophie GERMAIN. À peine âgée de 18 ans, autodidacte, elle a réussi à se procurer les cours de l'école, les suit assidûment et correspond sous pseudonyme avec certains grands mathématiciens. Nous sommes à la fin du XVIIIᵉ siècle et le génie scientifique doit encore se travestir. Sophie GERMAIN est en quelque sorte la première polytechnicienne. Mais elle n'en n'eut jamais le titre. Il faudra attendre près de deux siècles pour que la loi du 15 juillet 1970 ouvre le concours de l'école aux femmes.

Puis encore deux ans et la féminisation des armées pour que les barrières tombent enfin. Nous sommes en 1972 et 7 femmes, dont plusieurs sont présentes ici ce soir, intègrent l'École polytechnique pour la première fois. Mesdames, vous faites une entrée par la grande porte. Et chère Anne DUTHILLEUL-CHOPINET, vous êtes major de ce premier concours. Sophie GERMAIN tient sa revanche. Et surtout, vous ouvrez la voie à des centaines de jeunes femmes qui ont choisi les sciences, travaillé, tenté le concours et intégré Polytechnique.

Ces femmes qui ont marché dans vos pas, j'en fais partie.

Mesdames et Messieurs, cette réception est la preuve que les choses avancent. Depuis 50 ans, les promotions se sont en partie féminisées. 2 000 polytechniciennes ont pu revêtir l'uniforme et même le bicorne dans les années 90.

En 1992, pour la première fois, une femme devient professeur au sein de l’école. Claudine HERMANN était une enseignante brillante, mais aussi une combattante de l'égalité, et je veux ici lui rendre hommage.

Avec le temps, les femmes ont accédé aux plus hautes fonctions au sein de l'école. Je pense à Marion GUILLOU, première présidente de Polytechnique, et à Laura CHAUBARD, première directrice générale depuis quelques mois. Les étudiantes de Polytechnique ont pu suivre tous les parcours et accéder aux plus hautes fonctions de l'État et de l'entreprise. Fonctionnaires, entrepreneuses, dirigeantes de grands groupes, chercheuses, ministres, tout est possible après cette école, et les polytechniciennes l'ont prouvé. Car Polytechnique, c'est une école d'excellence, de savoirs et de recherche. C'est à la fois le travail, la rigueur, l'innovation. C'est aussi un esprit de solidarité, un sens de l'engagement et une voie vers l'émancipation. Émancipation, ce mot peut surprendre. Pourtant j'y crois car je l'ai vécu comme tant de mes camarades. On aspire à Polytechnique par passion pour les sciences. On y entre grâce au travail et à l'effort. On y gagne un métier, une liberté.

Grâce à des enseignements exceptionnels, grâce à une solde qui aide à lever les freins financiers, grâce aux valeurs militaires, Polytechnique offre sa chance à chacun, à chacune, tord le bras au déterminisme et déjoue les destins tracés. Mais si des progrès ont été réalisés, nous sommes encore loin du compte. Nous savons que les femmes réussissent aussi bien le concours que les hommes, mais elles sont encore trop peu nombreuses à s'y présenter. En 50 ans, la proportion de femmes est passée de 2 % à 20 %. Les scientifiques diraient que nous avons multiplié la proportion par 10, mais surtout, chacun voit que ce n'est pas assez du tout. Car ce chiffre souligne une réalité plus préoccupante encore : le manque de mixité dans nos sciences fondamentales et parmi nos ingénieurs.

Un manque de mixité qui commence dès le secondaire et se répercute à toutes les étapes de l'enseignement supérieur et de la vie professionnelle. En terminale, trois quarts des garçons suivent un enseignement de mathématiques, mais seulement la moitié des lycéennes. À l'université, les femmes représentent 60 % des étudiants, mais seulement 31 % en sciences fondamentales. Toutes formations confondues, la part des femmes diplômées d'un titre d'ingénieur en 2020 est seulement de 28 %.

Ce n'est pas assez. Je le dis d'autant plus dans cette période de bouleversements majeurs où nous avons un besoin cruel de scientifiques et d'ingénieurs. Car je vous le demande, à l'heure où notre jeunesse est à la recherche de sens, quelle plus belle vocation qu'ingénieur ? Ingénieur, c'est un métier dont le fondement même est de régler des problèmes. C'est un mot, mais ce sont 1 000 professions, secteurs et filières. C'est l'assurance de parcours variés, c'est la certitude d'avoir un impact sur le quotidien de nos concitoyens. Face à la transition écologique, nous avons besoin d'ingénieurs. Face à la transition énergétique, nous avons besoin d'ingénieurs.

Face aux renouveaux des mobilités, aux transformations de notre industrie, aux grands programmes spatiaux, nous avons besoin d'ingénieurs. Nous avons besoin de jeunes hommes, évidemment, mais aussi de jeunes femmes qui s'engagent dans cette voie. Se priver de la moitié des talents de notre jeunesse est un immense gâchis. Alors nous devons avancer, briser les stéréotypes et faire venir les jeunes femmes aux études puis aux métiers scientifiques.

Je sais que l’école polytechnique prend toute sa part dans cet effort. Les promotions des bachelors et des masters spécialisés sont plus féminisées et vous y avez développé des programmes de bourses dédiés aux femmes. Les opérations Monge à la rencontre des lycéennes et des lycéens sont des grands succès. La liste est encore longue. Je pourrais citer la journée Filles et Maths, l'accompagnement des lycéennes par les polytechniciennes ou encore ce cycle d'événements à l'occasion des 50 ans de l'ouverture du concours aux femmes.

Mais bien sûr, chacun doit agir et le Gouvernement se mobilise. Nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux dès le secondaire. Le ministre de l’Éducation nationale a ainsi annoncé que nous visions la parité d'ici 2027 dans les spécialités mathématiques, physique, chimie ou mathématiques expertes.

Nous allons poursuivre nos efforts pour faire évoluer les mentalités et abattre les clichés de genre dans l'orientation. Dans l'enseignement supérieur, la loi impose désormais à tous les établissements et aux classes préparatoires de produire des données détaillées sur les inégalités femmes-hommes en leur sein. Notre but est d'identifier les freins, les blocages et d'agir en conséquence.

Notre action ne s'arrête pas là. Nous le savons, au cours de leur carrière, les femmes sont encore trop souvent pénalisées dans leur avancement ou empêchées de gravir les derniers échelons de la hiérarchie. L'égalité professionnelle est un des combats de mon Gouvernement, un de mes combats. Depuis 5 ans, nous avons progressé pour une plus grande transparence des entreprises sur les salaires et pour une meilleure représentation des femmes parmi les cadres dirigeants et les instances de gouvernance des entreprises. Dans la fonction publique, des plans d'action égalité se mettent en place. Nous continuerons. L'égalité ne se discute pas. Nous ne céderons rien.

Mesdames et Messieurs, cet événement est l'occasion de rendre hommage au parcours des polytechniciennes qui se succèdent sur les bancs de l'école depuis 50 ans. C'est aussi l'occasion de regarder vers l'avenir. Et j'aimerais adresser un mot aux 50 lycéennes présentes ce soir et à travers vous, à toutes les lycéennes en France. Il n'y a pas de destin tracé, il n'y a pas de chemin masculin ou féminin. Il n'y a que l'envie, le travail et le talent.

Alors ne vous laissez jamais dire qu'une filière n'est pas faite pour vous. Ne vous laissez jamais dire qu'un métier ou un rêve ne s'écrit qu'au masculin. Quels que soient vos rêves, il y a toujours des oiseaux de mauvais augure, prisonniers des clichés, des craintes et des conservatismes qui vous diront que ça n'est pas possible. Faites-les mentir.

Votre genre ne doit pas être une question. Vous avez toutes les facultés pour réussir. Vous êtes capable de tout. Nous serons là pour vous aider, vous pousser, vous ouvrir le chemin. Vous serez peut-être polytechnicienne, ingénieure ou vous choisirez une autre voie. Au fond, une seule chose importe : que vous puissiez aller au bout de vos rêves.

Vive l'École Polytechnique, vive la République, vive la France !

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