Conférence « 225 ans d’aspiration à la République »

Ce contenu a été publié sous le gouvernement de la Première ministre, Élisabeth Borne.

Publié 14/11/2023|Modifié 14/11/2023

Monsieur le Taoiseach,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
La France et l’Irlande sont deux Nations amies, liées par une histoire et des valeurs.
Deux peuples amis, liés par des récits, des passions, des échanges.
Si j’osais, je dirais même que le lien entre nos peuples s’est encore renforcé récemment, alors que nos équipes de rugby ont connu le même destin, en quart de finale de la coupe du monde.
Nous sommes deux pays voisins et, votre « plus proche voisin au sein de l’Union européenne », ce qui ne s’entend pas seulement sur le plan géographique.
Monsieur le Taoiseach, Cher Léo VARADKAR, cette amitié franco-irlandaise, je la vois à l’œuvre de longue date, et je la vois depuis mon arrivée aujourd’hui à Dublin.
Je suis particulièrement heureuse d’ouvrir cette conférence avec vous, à qui, je le sais, cette célébration du 225ème anniversaire de l’« Année des Français » tient particulièrement à cœur.
Et je tiens également à remercier toutes celles et ceux présents aujourd’hui, physiquement ou en ligne, et qui pourront participer aux débats cet après-midi.
Vous avez choisi un thème : la République.
La République, c’est le cœur de notre identité, comme Français et comme Irlandais.
C’est ce qui nous unit et nous rassemble.
C’est le ciment de notre démocratie, de notre cohésion nationale.
Je vois la jeunesse au sein notre auditoire et en ligne, c’est un symbole fort.
Nos jeunesses sont attachées à la République, et c’est notre devoir de protéger et de transmettre ses valeurs.
*
1798 a marqué l’année des Français en Irlande. Une année qui a scellé notre relation particulière.
1798.
Nous sommes dans une de ces périodes où l’histoire s’accélère.
Depuis des années, les idéaux des Lumières se propagent et ils semblent enfin être entendus.
22 ans plus tôt, les Etats-Unis ont proclamé leur indépendance.
Dix ans plus tôt, c’est en France que l’esprit de liberté a soufflé.
Et cette année-là, dans son sillage, le peuple irlandais se soulève pour affirmer son désir d’émancipation et d’égalité des droits.
Je dis dans le sillage, car la France a apporté sa petite contribution à ce mouvement. Nous ne l’oublions pas.
Les trois-quarts des séminaristes irlandais étudiaient alors dans le Quartier latin, notamment ce qui était alors le « Collège irlandais », là où se trouve aujourd’hui le centre culturel irlandais, où vous vous êtes rendu il y a encore quelques semaines, cher Leo.
On sait qu’alors, les séminaristes revenaient en Irlande pétris d’idées révolutionnaires, qui se sont largement diffusées.
Je pense à la figure de Wolfe TONE, héros irlandais qui a porté l’uniforme de général de l’armée française, comme le montre son portrait accroché dans une salle du Sénat irlandais.
Je pense aussi, bien sûr, à la « République de Connaught », proclamée par les « Irlandais Unis » en août 1798 avec l’aide d’un détachement militaire du Directoire français. Elle fut certes éphémère, mais elle posa des jalons pour l’avenir.
J’ai également en mémoire, 50 ans plus tard, la révolution de 1848 en France, qui a inspiré le soulèvement d’une nouvelle génération d’Irlandais au point de les voir retenir comme drapeau le « tricolore » irlandais aux couleurs vert, blanc, orange, en référence directe au drapeau français.
Je n’oublie pas la session inaugurale du Dail, Parlement irlandais, en 1922 : la déclaration d’indépendance y fut lue en anglais, en irlandais mais aussi en français, langue de la liberté.
J’ai une pensée, plus largement, pour les femmes et les hommes qui ont construit, au fil des années, cette amitié d’exception entre nos deux pays : Oscar WILDE, Samuel BECKETT ou James JOYCE. Ils sont profondément irlandais, mais avec un pied sur le continent.
Et enfin, comment ne pas rendre hommage à tous les Irlandais qui se sont battus avec courage pour la France.
Notre pays n’oublie pas la Brigade puis la Légion irlandaise qui, de 1690 à 1815, s’illustra à son service, par exemple durant la bataille de Fontenoy de 1745.
Il n’oublie pas non plus ceux qui l’ont défendu pendant les deux Guerres mondiales, et qui ont combattu pour la liberté. En 2016, un monument a été érigé en l’honneur des milliers d’Irlandais tombés pour la France au cimetière national de Glasnevin à Dublin, à l’occasion du centième anniversaire de la bataille de la Somme.
Ces soldats sont venus nous soutenir dans un moment crucial, comme les soldats du général Humbert l’avaient fait pour porter les espoirs Irlandais en 1798.
*
Mesdames et Messieurs,
Cette histoire nous lie.
Ces siècles de combats pour la liberté et pour la démocratie nous obligent.
Car nous connaissons la fragilité de l’Etat de droit et des libertés fondamentales.
Rien n’est acquis, à l’heure où l’on constate dans plusieurs pays un recul des droits fondamentaux.
Une double menace affleure aujourd’hui.
Elle est extérieure, avec le retour de la guerre aux frontières de l’Europe, mais aussi l’expansion des fausses nouvelles, ou les tentatives de manipulations.
Elle est aussi intérieure, au sein même de l’Europe : les discours populistes et la démagogie accroissent la défiance envers les institutions, et nous devons y répondre.
France, Irlande, républiques : nous avons une responsabilité particulière, car dans le monde, des femmes et des hommes épris de liberté reprennent aujourd’hui le flambeau des Lumières, des démocrates Français et Irlandais.
France, Irlande : nous assumons cette responsabilité particulière ensemble. Nous agissons ensemble au service de la paix et de la stabilité. Ainsi, nos soldats sont côte à côte au sein des casques bleus de la FINUL déployés au Liban.
Nous poursuivons nos efforts au Proche-Orient, avec un objectif : mettre fin au cycle de la violence et éviter un engrenage régional qui serait catastrophique.
Si dans le prolongement des attaques terroristes du Hamas, nous avons marqué le droit d’Israël à se défendre dans le respect du droit international humanitaire, nous appelons de toute urgence à une trêve humanitaire durable et à œuvrer à un cessez-le-feu.
J’ajoute qu’au-delà du Proche-Orient, notre coopération diplomatique intense démontre aussi que nous partageons le même socle de valeurs démocratiques.
C’est le cas dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense commune, où nous saluons l’engagement de l’Irlande, dans le dans le respect de sa tradition de neutralité militaire. C’est également le cas au travers de notre fort appui conjoint à un multilatéralisme efficace dans le cadre des Nations Unies. Je voudrais à cet égard saluer le travail étroit réalisé avec l’Irlande en 2021 et 2022, au Conseil de sécurité.
*
Mesdames et Messieurs,
Je le mentionnais à l’instant, la France et l’Irlande ont toutes les deux choisi la République.
La République comme principe de gouvernement, mais surtout la République qui n’est pas un régime neutre, qui porte en elle-même les valeurs de liberté, d’égalité et de progrès.
La République, qui peut être attaquée pour ce qu’elle représente et les valeurs qu’elle défend.
Il y a 8 ans jour pour jour, la France connaissait les attentats terroristes les plus meurtriers de son histoire.
Deux autres, en 2020 et cette année, ont visé des enseignants, Samuel PATY et Dominique BERNARD, justement parce qu’ils étaient professeurs et avaient la République au cœur. Le combat pour ces valeurs n’est donc jamais acquis.
La République, c’est aussi l’expression concrète de la volonté populaire. Et je salue les processus qui ont permis à l’Irlande d’ouvrir de nouveaux droits par le biais du référendum, mais aussi de continuellement faire vivre le débat démocratique par l’usage des assemblées citoyennes.
J’ajoute que j’ai la conviction que nous avons un rôle à jouer, en particulier au sein de l’Union européenne, pour porter haut et protéger nos valeurs, l’Etat de droit, la séparation des pouvoirs et les libertés fondamentales.
Et la France continuera, comme vous, de plaider pour le plein respect de ces valeurs républicaines et de ces principes par tous au sein de l’Union européenne.
Je sais que le terme « républicain » a d’autres connotations en Irlande, de par votre histoire, mais je l’utilise aujourd’hui comme porteur des valeurs qui nous rassemblent très largement, Français et Irlandais démocrates.
La République, c’est aussi affirmer la souveraineté populaire, le Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Et alors que les élections européennes approchent, nous devons être très clairs : nos institutions républicaines sont fortes car notre Europe est forte.
Notre souveraineté nationale est renforcée par notre souveraineté européenne.
Cette dernière se décline aujourd’hui avec l’agenda de Versailles à travers des sujets aussi structurants que les matières premières critiques, les semi-conducteurs, les médicaments mais aussi bien sûr les questions énergétiques et de défense.
C’est la conviction de la France, et je sais que l’Irlande la partage.
*
Mesdames et Messieurs,
Vous l’aurez compris, la République n’est pas qu’un régime politique, c’est un combat de tous les jours.
Il dépasse les institutions.
C’est un ciment de la cohésion nationale, et de l’amitié franco-irlandaise.
Il rassemble nos deux peuples dans leur quête de liberté depuis des siècles, et de manière encore plus forte depuis 225 ans.
C’est ce ciment commun que nous célébrons aujourd’hui, avec le 225e anniversaire de l’Année des Français en Irlande, un pays qui, comme l’a écrit le Général de Gaulle, occupe une place particulière dans le cœur des Français.
Vive l’amitié franco-irlandaise !
Vivent nos deux Républiques, française et irlandaise !

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