« La femme mariée avait le statut de mineure au même titre que les enfants »
Publié 12/07/2023 Toutes et tous égaux
Le 13 juillet 1965, les femmes s’émancipaient financièrement de leur mari. Sabine Effosse, professeure d'histoire contemporaine à l’université Paris Nanterre, revient sur la genèse de ce tournant dans l’égalité femmes-hommes.

En France, les femmes mariées ont obtenu le droit d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de leur mari après un long combat. Combien de temps cela a-t-il duré ?
L’émancipation bancaire des femmes est
l’affaire d’un siècle ! La loi du 13 juillet 1965, qui marque un tournant,
s’inscrit dans un temps beaucoup plus long qui nous oblige à remonter au Code
civil de Napoléon de 1804.
En quoi ce texte est-il fondateur ?
Le Code Napoléon instaure le
statut de mineure de la femme mariée. L’article 213 indique ainsi
que le mari doit protection à sa femme, et la femme obéissance à son mari.
Autrement dit, il place la femme sous tutelle maritale, la privant de sa capacité juridique au même titre que les
enfants.
Si le statut de « mineur » reste, des droits sont octroyés petit à petit aux femmes mariées…
On
note en effet des avancées qui correspondent à l’évolution sociale et
économique du pays, notamment à la faveur de la deuxième industrialisation qui
intervient en France vers les années 1870-1880.
À cette époque, avec l’apparition des
usines et l’urbanisation, les femmes sont de plus en plus nombreuses à
travailler à l’extérieur de leur domicile. Elles commencent à gagner leur vie
mais demeurent dépossédées du fruit de ce travail, puisqu’elles n’ont pas la
possibilité de gérer leur argent.
Or, comme elles sont les gardiennes de
la bonne gestion du ménage et qu’elles contribuent à l’éducation des enfants,
les politiques décident en 1881 de leur donner la possibilité d’ouvrir un
livret de caisse d’épargne sans l’autorisation de leur époux.
L’objectif est de
leur permettre d’économiser pour faire face aux incidents de la vie. Quelques
années plus tard, en 1895, elles obtiennent en plus la possibilité de réaliser des
retraits sur ce même compte épargne.
Dans les années 1900, la majorité des femmes sont mariées !
- Professeure d'histoire contemporaine à l’université Paris Nanterre
Existe-t-il des exceptions ?
Oui, pour les « marchandes
publiques ». Une femme commerçante avant le mariage peut, sauf opposition
du mari inscrite au tribunal de commerce, avoir un compte en banque et faire
toutes les opérations associées au bénéfice de son activité professionnelle.
Les autres dérogations concernent les
veuves, divorcées (le droit au divorce est rétabli sous la IIIe
République), séparées de biens et de corps et célibataires qui ont le statut de
« majeur » et peuvent gérer leurs revenus comme elles l’entendent.
Mais, dans les années 1900, la majorité
des femmes sont mariées !
Et les femmes mariées ne disposent pas de leur salaire…
Non, c’est la loi du 13 juillet 1907 qui
instaure ce principe. Le texte stipule que les femmes mariées qui travaillent
disposent librement de leur salaire et des « biens réservés », soit
ceux acquis par le fruit de leur travail (meuble, trousseau, linge de maison,
bicyclette…). Les « biens propres » (héritage), obtenus avant le
mariage, restent gérés par le mari.
Si cette loi de 1907 est assez
novatrice, elle est peu appliquée par les établissements bancaires. Car, pour travailler,
les femmes ont encore besoin de l’autorisation tacite de leur mari. Or, les
banques estiment que cette autorisation peut être levée à tout moment…
C’est donc la tutelle maritale qu’il faut lever ?
Exactement, et c’est ce que fait la loi
de 1938. Elle lève l’incapacité juridique de la femme mariée qui devient « majeure ».
Elle peut désormais entamer des démarches en justice, demander seule des
papiers d’identité, ou louer, pour les plus fortunées, un coffre à la
banque !
De son côté, le mari n’est plus le
seigneur et maître, mais il demeure le chef de famille. À ce titre, il peut
encore s’opposer au travail de sa femme ou imposer la résidence familiale, et
c’est lui qui gère, seul, l’éducation des enfants.
La loi de 1938 lève l’incapacité juridique de la femme mariée qui devient majeure.
- Professeure d'histoire contemporaine à l’université Paris Nanterre
La Seconde Guerre mondiale change-t-elle la donne ?
Le gouvernement de Vichy, pour limiter le marché noir et
l’inflation, souhaite rendre les transactions monétaires plus
transparentes et donc éviter l’utilisation des espèces. Pour ce faire, il rend
obligatoires les règlements par chèque pour un certain nombre d’opérations
financières, dont le paiement des loyers.
Or, les hommes étant à la guerre, le gouvernement
de Vichy autorise par les lois de 1942 et 1943 toutes les femmes mariées à ouvrir un compte
bancaire (dit « compte ménager ») et à utiliser des chèques.
Cette « conquête de la
signature » marque une étape clé dans l’indépendance financière des
femmes.
L’étape suivante est celle de 1965…
En effet, cette année-là le général de
Gaulle est candidat à l’élection présidentielle, la première au suffrage
universel direct.
Or, à la Libération, les femmes ont obtenu le droit de vote. Elles représentent donc un enjeu électoral important : comment
vont voter les femmes ?
Une grande enquête lancée un peu plus
tôt à l’initiative du Gouvernement montre que 75% des Français ne font pas de
contrat de mariage. Et si contrat il y a, les époux optent pour le régime de la
communauté réduite aux acquêts.
Le général de Gaulle y voit là une
aubaine électorale : il fait, avec la loi du 13 juillet 1965, du régime de
la communauté réduite aux acquêts le régime légal général.
Concrètement, qu’est-ce que cette réforme du régime matrimonial apporte aux femmes ?
Elles peuvent désormais gérer les biens qu’elles avaient
avant le mariage tout autant que ceux qu’elles
acquièrent pendant le mariage par leur travail.
La loi de 1965 autorise enfin toutes les
femmes mariées à travailler, à ouvrir un compte et à signer des chèques sans
l’autorisation de leur mari !
160 ans après le Code civil de Napoléon,
toutes les femmes sont donc sur un pied d’égalité. Leur statut marital n’a
plus d’incidence sur leur indépendance financière.
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