Publié 26/02/2024|Modifié 01/02/2024

Pierre Mauroy

Personnalité de la gauche, maire de Lille de 1973 à 2001, Pierre Mauroy a été nommé Premier ministre en 1981 par le président François Mitterrand à l'occasion de son premier mandat de président de la République. Il est le premier socialiste à occuper l’Hôtel de Matignon durant la Ve République.

Pierre Mauroy à l'Assemblée nationale
Pierre Mauroy à l'Assemblée nationale / AFP

On a osé dire que la France, en ce printemps de 1981, avait décidé de relâcher son effort, de « faire halte à l'ombre d'un bosquet ».C'est ne rien vouloir comprendre à ce qui vient de se produire dans ce pays. La victoire de la gauche correspond à un nouvel élan et non à une démission. Ce que la France a décidé, c'est de dire non à l'injustice, de ne plus accepter l'arrogance de quelques-uns, de rejeter le libéralisme sauvage et ses effets catastrophiques.Ce faisant, les Français n'ont pas refusé l'effort. Ils veulent seulement -et ce n'est pas une mince espérance -que l'effort soit autrement distribué, qu'il ne pèse plus si lourd sur les épaules des plus faibles. Ils veulent seulement -et nous devons répondre à leur espoir -que l'effort, leur effort, serve le progrès pour tous et non la puissance ou le profit pour quelques-uns. Et ils ont aussi dit non à une certaine manière de gérer leur pays. Non au langage des chiffres, qui avait balayé tout accent d'humanité. Non à la déshumanisation du travail présentée comme un mal inévitable. Non à l'invitation à gérer l'imprévisible. Non à la sécheresse, à cette invocation de la fatalité, à ces appels à la résignation devant la crise, devant le chômage qui menaçaient de briser les forces vives de notre pays, qui condamnaient la jeunesse à la désespérance et les travailleurs, tôt ou tard, à la révolte. Sans révolte, démocratiquement, tranquillement, mais avec quelle force, ils ont relevé la tête, ils ont repris leur avenir en main.

Pierre Mauroy

  • Déclaration de politique générale, Assemblée nationale, 8 juillet 1981
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BIOGRAPHIE

  • Né le 5 juillet 1928 à Cartignies (Nord) et décédé le 7 juin 2013
  • Profession : professeur de l'enseignement technique
  • Partis politiques : SFIO - Parti socialiste
  • Maire de Lille de 1973 à 2001
  • Premier ministre de mai 1981 à juillet 1984
Petit-fils de bûcheron, né d'un père instituteur socialiste et d'une mère attachée au catholicisme, Pierre Mauroy est l’aîné d'une famille de sept enfants. En 1945, « entré en socialisme comme on entre en religion », selon ses propres mots, il rejoint les Jeunesses socialistes. Le respect qu'il voue à la culture catholique entraîne l'hostilité à son égard de la minorité trotskyste. Il expliquera avoir ainsi compris la nécessité de lier le socialisme à un humanisme non-dogmatique. Il est secrétaire national des Jeunesses socialistes de 1949 à 1958.
Diplômé de l’École normale nationale d’apprentissage de Cachan, il devient professeur de l'enseignement technique, puis enseigne les lettres et l'histoire. Jusqu'en 1959, il est secrétaire général du Syndicat de l'enseignement technique (affilié à la Fédération de l'éducation nationale).
En 1951, il cofonde la Fédération des foyers Léo-Lagrange, l'un des plus importants mouvements français d'éducation populaire.Il gravit les échelons de la SFIO : secrétaire de la fédération du Nord en 1961, il rejoint le bureau national et le comité directeur en 1963. De 1966 à 1969, il en est le secrétaire-général adjoint.
Elu du Nord dès 1967 (vice-président du Conseil général 1967-1973), puis maire de Lille (1973-2001) et député du Nord la même année, il est également président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais (1974-1981). Il joue un rôle central dans la mise en œuvre de l’Union de la gauche. Au congrès d'Epinay qui unifie les formations socialistes en 1971, il permet à François Mitterrand d'emporter la direction du Parti socialiste.
Il est le porte-parole du candidat François Mitterrand à l'élection présidentielle de 1981.  

PIERRE MAUROY À L'HÔTEL DE MATIGNON

La première décision du président Mitterrand est de nommer Pierre Mauroy Premier ministre, la deuxième est de dissoudre l'Assemblée nationale.
Confrontés pour la première fois à cette question de l'alignement entre président et majorité parlementaire, les citoyens font le choix de la cohérence et donnent au président une majorité pour réaliser son programme. Ils ont conservé cette position et ont depuis lors toujours voté pour la majorité présidentielle lorsque des élections législatives suivant les présidentielles.
Le deuxième gouvernement Mauroy, formé après la dissolution les élections législatives de juin 1981, comprend quatre ministres communistes dans des ministères techniques (Transports, Fonction publique, Santé et Formation professionnelle).  
Il met en œuvre le programme de François Mitterrand : Pierre Mauroy se félicitait d'avoir accompli 96 des 110 propositions du candidat Mitterrand. En tout, 345 textes de loi auront été votés sous l’égide de Pierre Mauroy, ce qui en fait le gouvernement le plus fécond de la Ve République.
Si la législature est marquée par de riches heures parlementaires, avec trois sessions parlementaires extraordinaires en 1981 et quatre autres en 1982, Pierre Mauroy n’hésite pas à recourir aux procédures d’urgence, depuis les ordonnances de l’article 38 (par exemple sur les 39 heures) jusqu’à l’engagement de la responsabilité du gouvernement, selon l’article 49-3 de la Constitution. Le septennat de François Mitterrand, président de l’alternance et fondateur d’un parti qui détient la majorité absolue à l’Assemblée, renforce le caractère présidentiel des institutions. Mais, surtout, il démontre que les institutions faites et voulues par les gaullistes fonctionnent normalement et parfaitement avec l'alternance.
Les proches du président occupent des postes clés de l'exécutif (Laurent Fabius, Edith Cresson, Jack Lang, Pierre Bérégovoy). Le Premier ministre est en contact étroit, à l'occasion de différents rendez-vous hebdomadaires, avec les parlementaires et les responsables du Parti socialiste. Des rendez-vous où les ministres sont également conviés. Pierre Mauroy est assidu aux questions au chef du gouvernement, à l’Assemblée.
Le Premier ministre traverse cette période avec ténacité, s’appuyant sur un lien très fort avec ses collaborateurs, notamment ses directeurs de cabinet, Robert Lion et Michel Delebarre, ou Jean Peyrelevade aux Affaires économiques.
Ce grand travailleur, qui dévore des notes et conserve des congrès socialistes le goût des envolées lyriques, ne cesse de défendre ses positions auprès du chef de l’État.  

Discours de politique générale, 8 juillet 1981

Le Premier ministre met en avant le retour historique de la gauche au pouvoir : « Le 10 mai, François Mitterrand avait rendez-vous avec l’Histoire ». Paraphrasant Jean Jaurès en sa conception du socialisme : « À nous de dominer le progrès, de dominer la machine. A nous de les mettre enfin au service de l'homme. À nous d'aller à l'idéal et de comprendre le réel ».
Il expose qu'il ne saurait s'agir de l'alternance d'un camp contre l'autre, car le « projet de civilisation de la gauche » est celui de « l’espérance », ainsi que de « relance et de la solidarité nationale ».
Comme le souligne Pierre Mauroy en évoquant « la crise » en 1981, le pays est « engagé dans une nouvelle phase de mutations industrielles et technologiques ».
La priorité du gouvernement est l'action contre le chômage. Pour être efficace elle doit se faire dans « la rigueur budgétaire » et contre l'inflation. Le Premier ministre dresse ensuite la liste des réformes qui doivent assurer une plus grande cohérence à la République et une plus grande liberté aux citoyens : décentralisation, réforme de l'audiovisuel, création d'un service unifié de l'enseignement, etc. Il achève son propos par une explication de ce que sera la politique de nationalisations.  

Une activité législative intense

Le gouvernement donne corps aux 110 propositions de François Mitterrand, notamment dans le volet social :
  • instauration d'une cinquième semaine de congés payés ;
  • passage aux 39 heures de travail hebdomadaire par ordonnance du 16 janvier 1982 ;
  • dispositions en faveur des droits des travailleurs, dites « lois Auroux », mises en place en 1982 : négociation annuelle, expression directe des salariés, mise en place des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
S’y ajoutent la création des radios privées locales, l’abrogation de la loi sécurité et liberté d’Alain Peyrefitte, l’instauration de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle et de l’impôt sur la fortune, la régularisation de sans-papiers, la loi Quilliot sur le logement, ou le remboursement de l’interruption volontaire de grossesse par la Sécurité sociale.
Robert Badinter, devenu garde des Sceaux en juin 1981, défend avec force l’abolition de la peine de mort en septembre de la même année. Si le débat est passionné, il transcende le clivage droite-gauche. Jacques Chirac est ainsi de ceux qui votent l'abolition. Mais ce n'est pas la seule transformation du système judiciaire. La Cour de Sûreté de l’État est supprimée. Les tribunaux militaires se voient retirer leurs compétences en temps de paix. Droit est donné aux citoyens de saisir la Cour européenne des Droits de l'Homme.   

La décentralisation, « la grande affaire du septennat » (Pierre Mauroy)

Parmi toutes les réformes, la décentralisation, sujet récurrent de débats politiques depuis longtemps, est l'un des grands chantiers de l’édile du Nord. Dès juillet 1981, le premier projet de loi sur la décentralisation est discuté en première lecture, suivi par les lois Deferre de 1982 et 1983. Le premier acte de la décentralisation transfère le pouvoir exécutif régional du préfet au président du conseil régional.
A travers plusieurs dizaines de textes, la décentralisation libère les collectivités locales de la tutelle de l’État, en élargissant leurs pouvoirs ou en organisant l’élection au suffrage universel des conseils régionaux.
Pierre Mauroy joue également un rôle décisif sur la question des nationalisations, qui surviennent en février 1982. Il impose le rachat à 100 % par l’État de compagnies, dès lors nationalisées, mais en circonscrit le champ à la sidérurgie, aux grandes banques et compagnies financières et à quelques entreprises emblématiques comme Thomson ou Saint-Gobain.
Avec 50 % des investissements réalisés par les entreprises publiques, « l’économie mixte » devient une spécificité française.  

Fin de mandat

Le pragmatisme de ce « Premier ministre en temps de crise » l'amène à adapter sa politique macro-économique aux circonstances. Après avoir appliqué la politique de relance par la consommation chère au candidat Mitterrand, il constate les limites de ce keynésianisme forcé qui ne produit pas les effets attendus sur la consommation ni, surtout, sur l’emploi, tandis que s’envolent les déficits publics.
Après la réalisation de deux dévaluations, les « visiteurs du soir », selon la formule de Pierre Mauroy, conseillent au président Mitterrand de sortir la France du Système monétaire européen. Pierre Mauroy s'y refuse et propose sa démission. Le président Mitterrand se rallie à son analyse. Le pays prend le tournant de la rigueur en 1983.
Au front social s'ajoute bientôt le retour de la querelle scolaire. Dans ce climat tendu, l’échec de la réforme emblématique de l’école sonne le glas du gouvernement Mauroy, avec la très importante manifestation organisée contre le projet de « service public unifié et laïque de l'éducation nationale » le 24 juin 1984.

C'est le 24 août 1993 à Hardelot-Plage, station balnéaire proche du Touquet, qu'eut lieu ma dernière vraie journée d'intimité avec François Mitterrand. En fin d'après-midi, se retournant pour me saluer alors qu'il montait dans son hélicoptère, il porta son regard vers le ciel si caractéristique de la côte d'Opale, un ciel d'été encore très bleu où s'étiraient quelques nuages. Il me glissa doucement, en guise d'adieu, cette phrase poétique et mystérieuse : Et vous, continuez à mettre du bleu au ciel. Il me semble aujourd'hui que, depuis mon adhésion au socialisme en 1945, à la fédération Léo-Lagrange, aux Jeunesses socialistes, à la mairie de Lille, à l'Hôtel Matignon, à la direction du Parti socialiste, à l'Internationale socialiste, partout où m'a conduit mon engagement, mettre du bleu au ciel exprime bien la mission que j'ai tenté de remplir, au fil du temps et à ma place, au service du progrès et du bonheur des hommes.

Pierre Mauroy

L'APRÈS-MATIGNON

Pierre Mauroy occupe plusieurs mandats dans le Nord et diverses fonctions en tant que socialiste : 
  • Sénateur du Nord de 1992 à 2011
  • Député du Nord de 1986 à 1992
  • Premier secrétaire du Parti socialiste de mai 1988 à janvier 1992
  • Président de la Communauté urbaine de Lille de 1989 à 2008
  • Vice-président de l’Internationale socialiste de 1989 à 1992
  • Président de l’Internationale socialiste de 1992 à 1999
  • Fondateur de la Fondation Jean Jaurès, il en est le président de 1992 à son décès
Alors qu'il est à la tête de la mairie de Lille depuis vingt-huit ans, Martine Aubry, sa première adjointe, lui succède en 2001. Pierre Mauroy décède le 7 juin 2013 à l'âge de 83 ans. 

Le dernier hommage de la République à l'un des siens

Si les funérailles de Pierre Mauroy se déroulèrent à Lille, la cérémonie d'obsèques eut lieu à Saint-Louis des Invalides. Le président François Hollande déclara : « Il a servi son pays sans jamais occulter ses valeurs fondamentales. Pierre Mauroy, il était socialiste et il voulait que la justice sociale puisse inspirer tous ses actes. Il ne mentait pas, il allait jusqu'au bout de ses convictions en prenant la réalité telle qu'elle était. »
Les successeurs de Pierre Mauroy à l'Hôtel Matignon ont été unanimes en leurs hommages. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, s'exprimant depuis l'hôpital Percy à Clamart où il était venu se recueillir sur la dépouille de Pierre Mauroy, a fait part de son émotion : « c'est un camarade qui disparaît... Il a de toutes ses forces et de toutes ses convictions servi la France ».
Laurent Fabius a évoqué la disparition d'un « pilier du socialisme démocratique ». Jean-Pierre Raffarin a rendu hommage à « une figure du socialisme populaire, authentique et girondin ». François Fillon a salué un « homme chaleureux et dévoué... qui savait que la France ne se résume pas à ses clivages partisans ».
Dans le Nord, l'émoi fut vif. Martine Aubry, qui lui a succédé à la mairie de Lille, s'est dite « bouleversée » par la mort de ce « géant »

LES PRINCIPALES LOIS DU GOUVERNEMENT MAUROY

  • Réforme des 39 heures de travail hebdomadaire
  • Cinquième semaine de congés payés
  • Abolition de la peine de mort
  • Décentralisation (lois Deferre)
  • Remboursement de l'interruption volontaire de grossesse