Discours du Premier ministre à l'Usine L’Oréal Lassigny

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 16/02/2018

Discours de M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre
Usine L’Oréal
Lassigny, le vendredi 16 février 2018
Seul le prononcé fait foi
On nous a toujours envié nos cheveux. Souvenez-vous, au milieu du Ier siècle, quand César décida d’envahir ce qu’on nommait alors « La Gaule chevelue », qui n’était pas encore soumise à Rome. Je sais, on devait sans doute ce nom à nos forêts feuillues au moins autant qu’à nos ondoyants cheveux gaulois. Et je sais qu’à Lassigny, vous produisez plutôt du rouge à lèvres que des shampoings. Mais il n’empêche : géographiquement, cette « Gaule chevelue» que convoitait César, vous êtes en plein dedans. Et aujourd’hui, grâce à L’Oréal, notre «Gaule chevelue » continue à fasciner le monde entier.
Il y a donc au moins deux sources à Lassigny. La première est chère à mon cœur de Normand puisque c’est celle de la « Divette », cette rivière qui se jette dans l’Oise, puis dans la Seine, puis dans la Manche en passant bien sûr par le Havre.
Mais la seconde est encore plus chère au Premier ministre qui vous parle : c’est cette usine rachetée par L’Oréal en 2008. Elle est une source de beauté qui irrigue les salles de bain du monde entier en transitant là aussi, comme vous me l’avez confirmé, par le port du Havre. Elle est aussi une source de fierté et de prospérité pour la France.
Des produits mythiques se fabriquent ici : le rouge à lèvres Lancôme de Penelope Cruz, le vernis à ongles Yves Saint Laurent de Catherine Deneuve. En Chine, L’Oréal se transcrit d’ailleurs « Ouláiyǎ », « l’élégance qui vient d’Europe ». Rendons à Lassigny ce qui revient à Lassigny : la source de cette élégance jaillit entre vos doigts, de votre savoir-faire et de votre créativité, dans cette usine.
Cette usine, elle est profondément ancrée dans son territoire depuis 1966. Elle est une vitrine de l’excellence française. Elle illustre la place que nos entreprises doivent occuper au cœur de la société, la vitalité de notre innovation et la nécessité de protéger ce patrimoine économique formidable.
Ce matin, je m’exprimais devant nos Instituts de sécurité et de défense : l’IHEDN et l’INHESJ. J’y évoquais notre volonté de renforcer la puissance de la France par la consolidation de notre souveraineté stratégique. Mais la préservation de nos intérêts appelle aussi une vigilance toute particulière sur le champ économique. Et je tenais à vous en dire quelques mots.
Reconnaître la place de l’entreprise dans la société : L’Oréal est une entreprise qui pense mondial. C’est la clé de votre réussite. Les parfums et les cosmétiques que vous produisez se trouvent aujourd’hui dans les sacs à mains des Japonaises, la trousse de toilettes des Brésiliennes, sur les podiums à Cannes et les chariots des vendeurs ambulants à Delhi. Ces produits sont les ambassadeurs de notre pays à l’étranger et un moteur économique puissant : le secteur a représenté en 2016 six mois de notre facture pétrolière.
Mais on peut penser au niveau mondial, on peut être la troisième capitalisation boursière du CAC 40, présent sur les marchés mondiaux et être en même temps ancré durablement en France et notamment ici, en Picardie. En faisant vivre le dialogue social, l’investissement local, l’intéressement, la participation, la formation et le développement des compétences des salariés. Votre rayonnement mondial n’aurait aucun sens s’il n’était assorti d’un partage effectif de la valeur créée. L’Oréal prouve non seulement qu’on peut concilier ces deux ambitions, mais surtout que cette alliance est une source de prospérité partagée. Avec les salariés, les territoires, avec les sous-traitants et avec la société tout entière.
Cette « mission » que vous avez souhaité donner à L’Oréal, cher Jean-Paul Agon, je considère que c’est un modèle à suivre. C’est pourquoi, nous avons demandé à Jean-Dominique Sénard et à Nicole Notat, de nous faire des propositions, que nous recevrons d’ici quelques semaines, sur l’engagement sociétal des entreprises.
De fait, changer la place que les entreprises occupent dans la société, reconnaître leur contribution à l’intérêt général, au-delà du simple intérêt de leurs actionnaires, et, « en même temps », ou plutôt en conséquence, renforcer les entreprises françaises et les protéger face aux menaces ou aux risques auxquels elles sont confrontées, c’est l’ambition, qu’avec Bruno Le Maire, nous portons dans le projet de loi PACTE, que nous présenterons en Conseil des Ministres le 18 avril.
Qu’allons-nous faire dans PACTE pour cela ?
L’intéressement et la participation : l’une des pistes pour avancer, c’est de faire de l’intéressement une réalité pour un plus grand nombre de salariés. Parce que l’intéressement, vous le savez bien, ce n’est pas seulement un intérêt financier. C’est se sentir concerné par l’avenir de son entreprise. L’intéressement n’oppose pas le travail et le capital mais les réconcilie en une reconnaissance des efforts quotidiens. Il est la meilleure manière d’améliorer les relations, parfois conflictuelles et tendues, que les Français entretiennent avec l’entreprise.
Mais pour l’instant, ce mécanisme reste trop cantonné aux grands groupes. Vous êtes bien placés pour le savoir puisque L’Oréal donne l’exemple. Sur ce site, la moyenne est à 3 mois d’intéressement et de participation. Tous les salariés, en France, aimeraient pouvoir en dire autant.
Les partenaires sociaux vont nous faire des propositions. Muriel Pénicaud et Bruno Le Maire vont poursuivre cette concertation en s’appuyant sur deux principes, l’incitation et la simplification. Nous annoncerons des mesures simples et puissantes à l’issue de cette concertation. Mais ce que je peux déjà vous dire c’est que, pour encourager la diffusion de l’épargne salariale dans les PME, j’ai donné aux Ministres trois orientations claires :
Abaisser au maximum les charges sociales sur les versements d’épargne salariale dans les entreprises de moins de 50 salariés ; je pense bien sûr au forfait social. Il faut le diminuer autant que possible ;
Simplifier au maximum les dispositifs d’épargne salariale pour les PME, parce qu’ils ont d’abord été conçus pour les grands groupes. Or, vous en conviendrez, les chefs d’entreprise des PME ne doivent pas avoir besoin de se payer un expert-comptable et un avocat pour développer l’épargne salariale dans leur entreprise. Il faut promouvoir des accords d’intéressement « clefs en main », préparés au niveau des branches, qui pourront être repris facilement par les PME.
Simplifier également les dispositifs pour les salariés. Comment ? En assurant une transparence et une portabilité totales des droits acquis, car il est souvent trop complexe de basculer des dispositifs d’une entreprise à une autre. Dans un monde où les salariés sont de plus en plus mobiles, c’est essentiel.
Si vous êtes des « premiers de cordée » pour l’intéressement, vous l’êtes aussi pour l’innovation.
C’est la sagesse des grands : ils n’ont jamais innové seuls. L’innovation est souvent – pas toujours mais souvent – une réussite collective.
L’Oréal est d’ailleurs implantée dans ce qu’on appelle la Cosmetic Valley. C’est un pôle de compétitivité. Un écosystème riche qui lui permet de travailler avec une galaxie de startups et de PME innovantes, avec 6 universités et 200 laboratoires de recherche.
Les liens entre la recherche et l’industrie sont vitaux dans une économie de connaissance comme la nôtre. C’est pourquoi, Frédérique Vidal, la ministre en charge de la recherche et de l’innovation, et Bruno Le Maire, ministre en charge de l’économie et des finances, vont rencontrer les chercheurs et les représentants des universités pour essayer d’imaginer les dispositifs qui permettent de mieux associer la recherche et l’entreprise.
Dans PACTE, nous renforcerons aussi la flexibilité de la procédure de délivrance du brevet. Il s’agit d’inciter les entreprises à faire le choix de se protéger en France. Et il s’agit de renforcer leur confiance en la protection qu’offrent les brevets en France.
Enfin, je tiens à le préciser, l’innovation a besoin d’un cadre réglementaire strict, intelligent et réactif. On doit garder un très haut niveau d’exigence pour les consommateurs, mais on doit être très réactif dans nos procédures pour favoriser l’innovation et les bénéfices en matière de santé publique. Il peut arriver que certains considèrent qu’on règlemente mieux lorsqu’on réglemente plus lentement. Cette question de « timing » est vitale pour l’innovation, la production et l’emploi. Nous devons dire à l’ensemble des acteurs « venez innover chez nous, venez produire chez nous ». Le très haut niveau d’exigence réglementaire qui est le nôtre n’est pas un carcan, il est rapidement adaptable en fonction du progrès technologique et des innovations. Cette question du temps que l’on met à pouvoir mettre un produit sur le marché est souvent une question décisive en matière de localisation industrielle et donc en matière d’emploi.
Enfin, l’innovation nécessite aussi des investissements publics. Je salue l’action de Bruno Le Maire qui a, en janvier dernier, mis en place le fonds pour l’innovation et l’industrie, doté à terme de 10 milliards d’euros, destiné à financer l’innovation de rupture, c’est-à-dire les inventions qui assureront la croissance de demain.
La protection des entreprises stratégiques, troisième axe dans la loi PACTE.
Si la beauté est éternelle, une entreprise qui en fait commerce l’est-elle pour sa part ?
Tout ce que j’ai évoqué aujourd’hui, la plus grande implication des salariés dans l’entreprise, la force et la robustesse de notre écosystème d’innovation, tout cela ancre profondément une entreprise comme L’Oréal sur le sol français.
Et nous y veillons, car nous sommes extrêmement vigilants à ce que cet ancrage se perpétue.
Dans quelques jours, le pacte d’actionnaires qui lie la famille Bettencourt au groupe Nestlé va expirer. Le groupe Nestlé s’est exprimé hier et a précisé qu’il n’a pas souhaité renouveler ce pacte.
Face à la nouvelle période qui s’ouvre, je suis serein. A la fois serein et vigilant. Depuis 40 ans, L’Oréal a des actionnaires fidèles et soucieux de l’entreprise. Nous faisons confiance à leur esprit de responsabilité.
Mais nous devons être vigilants dans le cas de L’Oréal bien sûr, et plus généralement, pour l’ensemble des entreprises qui comptent pour la France.
C’est pourquoi, dans le cadre de PACTE, nous avons souhaité, avec Bruno Le Maire, muscler notre dispositif de veille et de protection des entreprises stratégiques. Nous souhaitons que nos usines, nos technologies, nos sièges sociaux, nos centres de décisions, nos centres de R&D s’épanouissent en France et s’y ancrent.
Nous souhaitons le faire sans aucune brutalité protectionniste. Je n’ai jamais compris comment, quand on connaît l’histoire, on peut défendre ce protectionnisme. J’ai toujours pensé que les protectionnistes étaient les ennemis de leur pays, quand ils menacent l’innovation. C’est peut-être parce que je viens d’une ville maritime, j’ai toujours été sensible à l’appel du large.
Et sans parler de grand large, je voudrais que les tenants du protectionnisme viennent ici pour expliquer comment ce serait une bonne chose que de fermer les frontières, à vous qui exportez 92 % de votre production.
Et, « en même temps », nous ne devons pas être naïfs.
Et les grands pays qui nous entourent, les grands blocs économiques qui sont à la fois nos partenaires et souvent nos amis et nos concurrents ne le sont pas plus que nous. Il le sont même parfois un peu moins.
C’est pourquoi, dans PACTE, nous créons et renforçons un arsenal de mesures qui visent justement à protéger nos entreprises car il faut consolider les instruments de protection des intérêts français.
Je note que c’est ce que font la Chine et les Etats-Unis depuis longtemps. C’est ce que, sous l’impulsion du Président de la République, l’Europe commence à faire davantage.
Et nous, qu’allons-nous faire ?
Premièrement, nous allons renforcer le décret de 2014 qui oblige les investisseurs étrangers à obtenir, pour certains secteurs, une autorisation du Ministre de l’Economie et des Finances lorsqu’ils souhaitent investir dans une entreprise.
Cette autorisation leur est généralement accordée en contrepartie d’engagements à mettre en œuvre à l’issue de l’opération. J’ai demandé à Bruno Le Maire d’étendre le champ de ce décret aux secteurs d’avenir sur lesquels nous sommes aujourd’hui insuffisamment outillés. Je pense aux technologies clés de l’intelligence artificielle, au spatial, au stockage des données ou encore aux semi-conducteurs.
Nous allons ensuite renforcer le dispositif de suivi des engagements, en prévoyant, dès l’autorisation des investissements, un mécanisme de contrôle par un audit externe régulier. Lorsque des engagements sont pris, ils doivent être auditables et respectés. C’est la moindre des choses.
Nous allons enfin compléter la liste des sanctions applicables en cas de non-respect des engagements, afin que ces sanctions soient réellement dissuasives.
Dans le même ordre d’idées, nous allons assouplir le cadre juridique de création des actions spécifiques, ces fameuses « golden share » qui permettent à l’Etat de disposer de droits exceptionnels, par exemple sur les transferts de propriété intellectuelle, sur les décisions d’implantations hors de France, ou sur certaines cessions d’actifs.
Troisièmement, nous allons rendre plus efficace l’organisation de l’Etat en matière de veille et d’anticipation des risques, notamment en cas d’entrée au capital ou de prise de contrôle hostile. Il existe aujourd’hui un Conseil de Défense et de Sécurité Nationale, sous la présidence du Président de la République.
Nous le réunirons dans une formation économique afin d’assurer un pilotage de ces questions sensibles.
Quatrièmement, nous avons récemment renouvelé Nicolas Dufourcq à la tête de Bpifrance et nous lui avons demandé de travailler, en bonne coordination avec l’Agence des Participations de l’Etat, à la mise en place d’une enveloppe d’intervention financière pour assurer la protection de nos entreprises, notamment nos pépites susceptibles d'être la cible d’acquisitions hostiles.
Toutes ces dispositions ne visent pas à sortir l’économie française du monde dans lequel elle vit. Bien au contraire. Il n’a échappé à personne qu’avec l’élection du Président de la République et l’action du gouvernement, nous voulons faire en sorte que notre pays soit ouvert au monde et qu’il prenne toute sa place dans le monde. On peut être ouvert et vigilant.
La consolidation du capital des grandes entreprises françaises. C’est également l’une des priorités de la loi PACTE. Car lorsque l’actionnariat est patient, de long-terme et ancré dans le réel, ce mode de détention du capital permet d’assurer une réelle souveraineté économique et stabilise notre économie.
Pour cela comment allons-nous faire ? Tout d’abord, nous allons inciter les salariés à participer plus directement au capital de leur entreprise, car c’est la meilleure manière pour que les entreprises restent françaises. La France dispose d’un potentiel évident : près de ¾ des sociétés cotées ont développé des plans d’actionnariat salarié et environ 4% de leur capital est détenu par les salariés. Il faut amplifier cette tendance pour qu’elle devienne un atout de stabilité du capital de nos entreprises.
L’épargne des ménages français est abondante. Leur taux d’épargne est parmi les plus élevés en Europe. Mais nous voulons maintenant développer les produits d’épargne-longue. Je pense notamment à l’épargne-retraite : nous voulons simplifier le maquis de produits existants pour les rendre plus attractifs auprès des salariés. Je pense aussi aux nouvelles formes d’assurance-vie, eurocroissance et unité de compte, que nous souhaitons encourager. Promouvoir cette épargne longue, davantage investie en actions, c’est consolider le capital de nos entreprises. Bruno Le Maire dévoilera, dans quelques semaines, des mesures qui vont dans ce sens et qui seront intégrées au projet de loi.
Enfin, afin d’éviter l’ouverture du capital de nos entreprises à tous vents, nous devons faciliter la transmission des entreprises, notamment familiales. Pour cela, nous assouplirons les conditions des pactes Dutreil, y compris pour les entreprises cotées. Cela permettra d’éviter que la transmission ne soit un moment de vulnérabilité pour les entreprises.
Enfin, nous voulons faciliter la mise en place de fondations d’actionnaires en France, avec un cadre juridique adapté, inspiré de celui des pays nordiques, comme le Danemark. L’idée est de permettre à des actionnaires de long terme de détenir des participations dans une entreprise et d’accompagner son développement, tout en investissant dans la société les dividendes touchés par la fondation, ce qui favorisera les actions d’intérêt général.
Au mois de mai 2017, les Français avaient un choix, et il se trouve qu’au mois de mai c’était un choix entre une forme de repli frileux et un forme de confiance dans l’avenir. Un certain nombre d’entre nous se sont engagés pleinement dans cette voie d’un avenir que nous regardons en face, avec confiance, avec lucidité aussi. Avec l’idée claire qu’il y a beaucoup de chose à réparer dans notre pays si nous voulons aller au terme de nos ambitions.
Une des façons de préparer notre avenir, de réparer notre pays c’est de le doter d’entreprises puissantes qui vivent bien, qui se développent bien. Qui créent un lien particulier entre les salariés, qui sont la première richesse, et les perspectives à long-terme.
Mesdames et messieurs, si nous voulons regarder l’avenir avec confiance, il nous faut continuer à travailler, transformer et réparer et regarder l’avenir tel qu’il est, le monde tel qu’il est. Nous avons de formidables atouts à faire valoir, de formidables défis à relever.
Quand je suis ici à Lassigny, je regarde l’avenir avec confiance.
Je vous remercie.

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