Discours devant la Conférence des Villes – France Urbaine

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 20/09/2017

Discours de M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre
Conférence des Villes – France urbaine
Mercredi 20 septembre 2017
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le président de France urbaine, cher Jean-Luc MOULENC,
Mesdames et Messieurs les maires, présidents de métropoles et d’intercommunalités,
Mesdames et messieurs,
John Keegan, un des plus grands historiens militaire de notre temps, certes anglais, a coutume de dire qu’il ferme immédiatement un livre quand il lit la phrase : « Si à Waterloo… ». Et il lui arrive de mentionner toutes les hypothèses, si Grouchy était arrivé plus tôt, si Blucher était arrivé plus tard, si la nuit avait été plus longue, si, si, j’en passe et des meilleurs mais aussi, si la carte utilisée par Napoléon n’avait pas été erronée. Je ne vous parle pas de Waterloo parce que Waterloo intervient après les « 100 jours ». Je vous en parle parce que cette question de carte est intéressante. On connait au moins un exemple où cette anecdote a été malheureusement exacte. Elle se passe pendant la Première guerre mondiale, en plein front de l’Est. Le comte Alfred KORZYBSKI, comme nombre de ses compatriotes polonais, a rejoint les rangs de l’armée russe pour combattre les troupes allemandes, et il prépare son plan d'attaque par une étude détaillée des cartes d'état-major. Sauf qu’aucune de ces cartes ne signale la présence d’un profond fossé, et au petit matin, les mitrailleuses prussiennes qui y sont abritées déciment son bataillon.
Vous allez penser qu’après Waterloo, la décimation d’un bataillon russe en 1916 ajoute à cette matinée pourtant conviviale une touche un peu morbide…
Pas du tout.
Exilé ensuite aux Etats-Unis, cet Alfred KORZYBSKI va devenir un philosophe et scientifique de renom, à l’origine d’une maxime désormais célèbre : " La carte n'est pas le territoire"[1]. Autrement dit, il y a toujours un écart entre la réalité, et la représentation que nous nous en faisons.
L’Etat a des cartes, beaucoup de cartes, et il sait élaborer des plans de bataille. Mais nous savons d’expérience que la carte n’est pas exactement le territoire, et que pour gagner ses combats, l’Etat doit s’appuyer sur vous, qui êtes au plus près du terrain. Nous avons besoin que vous nous disiez la situation précise, vécue, partagée, de vos territoires. Pour qu’ensemble nous puissions œuvrer le plus intelligemment et le plus efficacement possible au service de tous les Français, dans une articulation entre vision globale et réalités locales qui soit la plus fluide, la plus ouverte et la plus confiante possible.
C’est précisément la vocation de la Conférence nationale des territoires, voulue par le président de la République, et que j’ai ouverte le 17 juillet dernier dans l’enceinte même du Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales. Vous aurez été sensibles à cette initiative j’espère, puisqu’elle rejoint l’une des propositions, pour ne pas dire l’une des revendications, de France urbaine. L’objectif de cette Conférence, quel est-il ? Il est de pouvoir y discuter en amont de toute décision affectant les collectivités locales. Il est de favoriser l’exercice d’une décentralisation assumée, agile et intelligente. Il est, pour reprendre les mots du président de la République, de nouer avec vous des pactes girondins. Il est, pour le dire d’un mot, de dialoguer. C’est la raison de ma présence ce matin.
Cette volonté de dialogue, elle ne procède pas d’une posture, elle procède d’une conviction profonde : celle que nous pouvons, et que nous devons, nous dire les choses avec franchise. C’est le Premier ministre qui vous dit cela, mais c’est au moins autant l’élu local que j’ai été pendant plus de quinze ans, que je suis encore d’ailleurs, et que je ne cesserais pas facilement d’être. Ce devoir d’explication franche et sans tabou, nous le devons aux Français. Nous le devons à leur légitime exigence de meilleure efficacité de nos politiques publiques. C’est pourquoi j’assume pleinement de vouloir traiter tous les sujets, y compris, et même en premier lieu, les sujets qui fâchent.
Je voudrais donc commencer par revenir sur deux points qui ont suscité beaucoup de débats ces derniers temps : les contrats aidés et la régulation budgétaire de l’été.
1. Concernant les contrats aidés tout d’abord
Je ne suis pas un homme de polémique. Alors je vais repartir des faits. Les faits, c’est que pour l’année 2017, le précédent gouvernement avait budgété 280 000 contrats aidés, contre 459 000 en 2016, soit une baisse de 40%. Ajoutez à cela que les deux tiers de ces contrats aidés ont été consommés au premier semestre, juste avant les élections présidentielles. Je ne fais pas de commentaires.
Pour faire face à l’urgence, nous avons ouvert entre 30 et 40 000 contrats aidés supplémentaires, et nous avons décidé de les allouer en priorité à quatre secteurs :
  • l’Education nationale, où 50 000 contrats ont été prévus pour accompagner les élèves en situation de handicap ;
  • L’Outre-mer, avec près de 12 000 contrats au second semestre ;
  • L’urgence en matière sociale et de santé
  • Les communes rurales.
La situation est loin d’être pleinement satisfaisante, j’en conviens tout à fait. Vous avez eu à gérer des cas difficiles, chacun dans vos villes, j’en ai bien conscience. Mais je ne peux pas laisser dire que nous n’avons pas pris nos responsabilités sur le sujet. Voilà pour le court-terme.
Maintenant, il faut distinguer les sujets. Nombre de contrats aidés répondent véritablement à des besoins prioritaires. Ceux-là, Il n’est pas question de les supprimer. En revanche, ayons l’honnêteté de nous dire les choses, est-il normal que des emplois pérennes et indispensables au fonctionnement du service public soient gérés à coup de contrats aidés ? Ce n’est pas ma conviction. Au-delà de l’urgence des jours et semaines à venir, nous avons donc décidé :
  • d’une part de revenir à l’esprit originel des contrats aidés, en les recentrant sur les publics les plus éloignés de l’emploi. La ministre du Travail a d’ailleurs missionné Jean-Marc BORELLO, président du groupe SOS, pour rencontrer les acteurs de l’insertion et formuler des propositions
  • d’autre part, de porter nos efforts sur des dispositifs plus efficaces, capables de sortir durablement du chômage les personnes les moins qualifiées.
Car derrière la question des contrats aidés, c’est la question de l’emploi qui est en jeu. Quelle politique de l’emploi voulons-nous pour notre pays ? Voulons-nous continuer à mener une politique de l’autruche coûteuse et inefficace ? Ou bien allons-nous enfin mettre en œuvre une véritable politique de l’emploi, une politique ambitieuse, courageuse, à la hauteur de nos défis ?
Les contrats aidés, cela peut faire baisser ponctuellement les statistiques du chômage. Mais dans la durée, cela ne nous fera jamais sortir du chômage de masse, et même, cela l’entretient de façon pernicieuse. Notre ambition est tout autre. Nous voulons financer des dispositifs qui favorisent une insertion professionnelle durable : c’est-à-dire la formation, c’est-à-dire l’apprentissage. C’est pourquoi nous avons décidé d’engager 15 milliards d’euros sur la durée du quinquennat pour financer le grand plan d’investissement dans les compétences. Et nous allons également lancer une concertation pour refonder notre système d’apprentissage, et développer ainsi l’offre des entreprises en direction des jeunes.
2. Concernant maintenant la régulation budgétaire de cet été, et au-delà, concernant le pacte financier que l’Etat veut nouer avec vous.
Là encore, repartons des faits. Les faits, c’est que les dotations exceptionnelles ont augmenté de 1,2 milliard d’euros ces deux dernières années. Sur ces 1,2 milliards d’euros, nous avons effectivement annulé pour cette année 300 millions d’euros. Cette annulation de crédits gelés a porté uniquement sur des projets non engagés. Nos prédécesseurs avaient d’ailleurs fait exactement de même en 2016, sans que cela ne soulève aucun débat.
Alors je vous en prie, ne laissons pas croire aux Français que le Gouvernement saigne les territoires. C’est faux, et c’est d’autant plus faux quand on regarde le projet de loi de finances que nous préparons pour 2018. Mais il est important de commencer par rappeler dans quel cadre nous l’avons conçu. Car il n’est pas ici question d’ajustements ponctuels. Non, comme pour l’emploi, l’Etat doit concevoir et mettre en œuvre une politique d’ensemble, avec une vision globale des enjeux budgétaires pour le pays.
Je veux donc revenir sur le pacte financier que j’ai évoqué lors de la Conférence nationale des territoires, et dans lequel ces mesures s’inscrivent et prennent sens. Je ne vous rappellerai pas la situation des finances publiques. Vous connaissez l’évolution des effectifs dans les trois fonctions publiques. Rien de tout cela n’est soutenable. Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, et je le redirai autant de fois que nécessaire, nous devons diminuer notre montant de dépenses publiques. Et les collectivités territoriales doivent prendre leur part à cet effort. Pour que cet effort se traduise dans la réalité, et contrairement à ce qui s’est toujours fait jusqu’ici, nous n’avons pas voulu recourir à une baisse brutale des dotations. Nous pensons qu’il est possible de faire autrement, plus intelligemment, en appelant à votre sens des responsabilités.
Vous avez bien sûr tous en tête le chiffre de 13 milliards. Les 13 milliards d’euros d’économies que l’Etat vous demande de réaliser sur cinq ans. Mais il est une précision de taille qu’il est bon de rappeler dans cette assemblée. C’est qu’il ne s’agit en aucun cas d’une baisse nette de votre dépense locale. Nous, nous vous demandons de maîtriser sa hausse, c’est très différent ! C’est-à-dire que vos dépenses vont bien continuer à augmenter en valeur absolue. Mais nous vous demandons d’infléchir la courbe, afin de limiter cette augmentation. Il faut donc raison garder.
Si chacun joue le jeu, contient ses dépenses de fonctionnement et réduit son endettement, alors nous n’aurons pas besoin de revenir à la rigidité des mécanismes correctifs. Pour les grandes collectivités, qui pèsent lourd dans la dépense locale, nous prévoyons l’introduction d’un mécanisme contractuel qui fixera précisément les objectifs à atteindre. De même, nous attendons d’elles qu’elles respectent une règle d’or renforcée, afin d’améliorer leur trajectoire de désendettement. C’est du bon sens budgétaire. Le pari que nous faisons avec vous est un vrai pari de confiance. Nous devons être à la hauteur de ce pari, sans quoi le retour de bâton sera d’autant plus fort pour nous tous lors du Projet de loi de Finances 2019.
En attendant, que prévoyons-nous pour le Projet de loi de Finances 2018 ? Et bien après trois ans de baisse nette de la Dotation Globale de Fonctionnement de l’ordre de 9,3 milliards d’euros, les concours financiers aux collectivités territoriales ne baisseront pas en 2018. Ils seront même en hausse au global de près de 384 millions d’euros. C’est un choix politique très fort du président de la République et du Gouvernement.
Concernant l’investissement public local, nous savons combien il est important pour notre croissance économique. C’est pourquoi l’Etat continuera d’investir massivement sur les territoires. Nous avons ainsi décidé de pérenniser les dotations d’investissement, qui avaient augmenté de manière tout à fait exceptionnelle ces deux dernières années. Elles seront mobilisées pour poursuivre les contrats de ruralité, pour accompagner notre politique de dédoublement des classes à l’école primaire, et pour financer des investissements nécessaires à la transformation de nos territoires.
Vous avez besoin de prévisibilité sur vos ressources, c’est tout à fait normal. Nous devons donc engager ensemble une réflexion d’ensemble sur la fiscalité locale. Cela fait partie des sujets de la Conférence nationale des territoires, et c’est bien dans ce cadre que s’inscrit la réforme de la taxe d’habitation. Quelques mots sur cette taxe. C’est aujourd’hui est un impôt doublement injuste. D’abord, parce qu’il pèse particulièrement lourd sur les classes populaires et moyennes. Ensuite parce que la taxe d’habitation est souvent plus élevée dans les communes pauvres que dans les communes riches, qui ont d’autres ressources à leur disposition. Nous voulons réparer cette injustice et redonner du pouvoir d’achat aux Français. D’ici à 2020, 80 % des foyers soumis à la taxe d’habitation n’auront plus à la payer. Mais à tous ceux qui auraient encore des inquiétudes ou des incertitudes à ce sujet, je le dis et je le redis : il n’y aura pas d’impact pour les collectivités. L’Etat procèdera par voie de dégrèvement, c’est-à-dire qu’il paiera à la place du contribuable local. Par ailleurs, à l’issue de la réforme, la compensation sera calculée en 2020 sur la base des taux votés en 2017. Liberté et responsabilité. Nous sommes pleinement dans l’esprit de la conférence nationale des territoires.
Voilà pour ce qui concerne le chantier du pacte financier. Tout ceci doit être précisé vendredi, lors d’une réunion que les ministres respectifs de l’Intérieur, de l’Action et des comptes publics, et de la Cohésion des Territoires, organisent avec le président du Comité des Finances locales, ainsi que les présidents d’associations d’élus membres de la Conférence nationale des territoires.
3. Pour les autres chantiers initiés lors de la conférence des territoires
Je rappelle que nous avons prévu d’engager une réflexion d’ensemble sur la double question des structures et des compétences, avec toujours comme ligne de conduite la volonté de concilier libertés locales et stabilité globale du dispositif, en promouvant un droit à l’expérimentation, un droit à la différenciation, et un droit à la délégation, notamment de compétences.
Le rythme des réunions que nous aurons tous les six mois permet de cadencer efficacement le travail et d’arriver à des résultats concrets à chaque étape. Plusieurs chantiers intéressent directement les villes de votre réseau.
Le premier d’entre eux est celui du renforcement de l’articulation entre métropoles et département. Je souhaite que, passées les échéances électorales de ces prochains jours, les préfets de région puissent engager le travail de concertation sur le terrain. Je l’ai dit en juillet : Paris n’imposera pas un canevas systémique et impératif. Dit autrement, notre souhait n’est pas d’imposer la fusion des 22 départements et métropoles concernés au niveau national. En revanche, là où il est possible d’aller plus loin, l’Etat appuiera avec détermination les démarches de rapprochement. De même que nous soutiendrons les fusions de départements ou de communes, dès lors qu’elles répondent à l’intérêt général. Les citoyens attendent ces rapprochements. Et c’est en unissant leurs forces que les territoires concernés pourront notamment se mesurer à d’autres métropoles européennes.
Deuxième chantier qui vous concerne très directement, celui de la fracture territoriale. De ce point de vue, les métropoles ont une responsabilité vis-à-vis des villes et des territoires qui les entourent. Elles doivent pleinement jouer leur rôle d’entraînement, en matière de logement, de transports, de qualité de l’air, de cohésion sociale. Il y a urgence à réaliser cette alliance des territoires que vous appelez de vos vœux, sans quoi on continuera de nourrir des sentiments d’exclusion, d’assignation à résidence, et de rejet des grandes villes et des métropoles.
Dans ce contexte, l’Etat jouera pleinement son rôle. Tout d’abord concernant le traitement des quartiers prioritaires de la politique de la ville : le budget 2018 conforte son appui aux quartiers et au renouvellement urbain. Ensuite en apportant tout soutien à des projets de mobilité de proximité, qui créent ou facilitent les liens entre territoires, comme j’ai pu le dire hier, à l’ouverture des Assises de la mobilité. Il apportera également son appui aux actions de nature à transformer notre rapport à la consommation énergétique à travers la rénovation thermique des bâtiments publics par exemple.
Dernier point essentiel : le logement. Nous devons rassembler toutes nos énergies pour construire la ville de demain. Le ministre chargé du Logement, Jacques MEZARD, présente aujourd’hui même notre stratégie d’ensemble pour le logement. On ne construit pas assez et trop cher en France, particulièrement dans les zones tendues. Nous devons mobiliser le foncier pour réussir à construire des logements peu chers. Le foncier, même en zone tendue, n’est pas un bien rare. Il faut le libérer au service du logement, et à des prix acceptables. C’est pour cette raison que la fiscalité foncière sera revue, afin d’accélérer nettement les constructions au lieu d’encourager la rétention. Nous relancerons aussi de grandes opérations d’urbanisme, par une contractualisation renouvelée avec les collectivités territoriales, dans le cadre de projets partenariaux d’aménagement. Les procédures devront être simplifiées, et nous travaillerons dans le cadre de la Conférence Nationale des Territoires à un accompagnement financier ou fiscal de ces opérations.
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Mesdames et Messieurs,
Si j’en juge par la liste des trente chantiers identifiés à l’issue de la Conférence nationale des territoires de juillet, nous nous attelons tous ensemble à un projet d’une immense ambition, à l’envergure inédite. Et il n’y aura pas de tabou ; l’Etat est prêt à ouvrir tous les sujets. Bien entendu, cela ne veut pas dire que nous arriverons à nous mettre d’accord sur tout. Nous aurons des débats, des divergences de vue. Mais nous aurons aussi des points de convergence, beaucoup plus nombreux je l’espère, car nous partageons bien la même préoccupation de ne pas faire les choses pour nous-mêmes, mais pour notre pays.
On a coutume de dire que le mandat de maire est le plus beau des mandats. Je suis convaincu que c’est vrai. Par sa puissance d’incarnation, par sa maitrise des marges des manœuvres, son autorité politique, sa vision, le maire est l’élu par excellence.
Avoir été maire, et singulièrement maire du Havre, a été un bonheur et un plaisir. Cela n’a rien à voir avec la fonction de Premier ministre. Et je ne comparerai pas les deux ici. Mais l’esprit avec lequel un maire façonne sa ville est un esprit unique, précieux, ouvert, pragmatique, attentif, dépourvu presque par nécessité du sectarisme politique. Cet esprit, insufflons-le dans nos relations. C’est mon ambition. Et c’est, j’en suis convaincu, dans l’intérêt de nos villes, de nos métropoles et de notre Pays. Je vous remercie.
[1] Qui a inspiré à Michel Houellebecq le titre de son livre « La carte et le territoire ».

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