Hommage national aux victimes de terrorisme : discours du Premier ministre, Édouard Philippe

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 19/09/2017

Madame la ministre d’Etat, madame la Garde des Sceaux,
Monsieur le préfet,
Madame la déléguée interministérielle à l’aide aux victimes,
Mesdames et messieurs les présidents d’associations,
Mesdames et messieurs,
Il y a eu janvier 2015. Il y a eu le 13 novembre 2015, le 14 juillet 2016. Encore plus près de nous, il y a eu le 3 février 2017 au Carrousel du Louvre, le 20 avril 2017 sur les Champs-Elysées, le 9 août 2017 à Levallois-Perret. Il y a eu aussi le marché de Noël de Berlin le 19 décembre 2016, ce soir de concert à Manchester le 22 mai 2017, la Place de la Catalogne et Cambrils le 18 août 2017. Il y a tous ceux que vous venez de rappeler. Et il y a la trop longue liste de ceux d’avant comme Saint-Etienne du Rouvray en juillet 2016, Toulouse et Montauban en mars 2012, qui demeurent à jamais dans nos coeurs.
Ces dates, ces lieux, ne sont pas des dates et des lieux de manuels d’histoire. Cette histoire tragique du terrorisme, nous la vivons tous – victimes, familles de victimes, forces de sécurité, élus, responsables nationaux-, au quotidien. Ces dates, nous nous en rappelons. Ces lieux, nous les connaissons. Des lieux de fête pour certains. Des lieux de beauté pour d’autres. Des lieux du quotidien pour tous.
Il y a les dates. Il y a les lieux. Il y a les chiffres des bilans, froids, effroyables. Il y a les photos des drames bien sûr, mais aussi celles des victimes avant le drame. Des photos qu’un père, une mère, un conjoint, un ami, a prises au temps du bonheur. Un bonheur dont nous ne mesurons jamais assez le prix, nous, les « gens heureux ». Il y a les noms.
Et puis il y a les souvenirs. Souvenirs des absents bien sûr. Souvenirs de cette minute tragique qui, dans la chair ou dans l’esprit, a laissé une trace indélébile. Ces souvenirs, nous ne pourrons évidemment jamais les pénétrer, ni même les partager.
Avec ce chemin du souvenir commence le plus difficile : « se convaincre que la vie est encore vivable » pour reprendre les mots de Jorge Semprun dans L’écriture ou la vie. J’imagine que parfois on y parvient. Avec le temps, les sollicitations, les soucis, les divertissements. Parce qu’il le faut. Pas vraiment pour soi d’ailleurs, mais pour les autres. Il suffit, comme le dit Semprun « d’une distraction de la mémoire remplie à ras bord de balivernes, de bonheurs insignifiants » pour que la douleur réapparaisse. Intacte, inentamée. Comme un coup à l’estomac.
En représentant le président de la République qui, comme vous le savez se trouve en ce moment même aux Nations Unies, je suis venu sans prétention. Avec de la compassion. Avec des convictions. Avec une volonté ferme et absolue. Mais sans prétention. Surtout pas celle de soulager ou de comprendre totalement votre douleur. Je n’ai pas connu la mort aveugle. Cette simple vérité suffit malheureusement à nous séparer.
Alors forcément on butte. On butte sur ce qu’il y a de pire : l’injustice, l’absurdité. Ou l’injustice de l’absurdité. L’intelligence, la raison, la compassion nous poussent à essayer de contourner l’obstacle. Les hommages se succèdent. Les officiels, comme moi, parlent. Mais l’absence, le vide, l’angoisse demeurent. La solitude aussi. Comment donner du sens à l’absurdité ? Comment repeupler ces terres désolées ?
- D’abord, en nous réunissant ici, aux Invalides, là-bas, sur la Place de Catalogne, sur la Promenade des Anglais, à Manchester, dans les écoles. Nous réunir pour ne pas oublier. Parce que nos sociétés de l’immédiateté ont beaucoup de qualités, mais elles ont un gros défaut : elles ont la mémoire courte. Se réunir pour ne pas oublier. Se réunir pour se recueillir. Dans toutes les langues, dans toutes les religions (ou non), selon tous les rites. Une prière, une pensée, un silence. Quand Semprun, toujours lui, ferme les yeux de son ancien professeur Maurice Halbwachs à Buchenwald, que prononce-t-il en guise d’oraison ? Un vers de Baudelaire. Donc oui, tout est bon pour se recueillir.
- Redonner du sens à l’absurdité, c’est aussi briser la chaîne de la violence. La force est nécessaire. La France l’emploie, avec détermination, avec courage, à l’étranger, mais aussi ici, dans nos rues, devant nos lieux de culture, nos bâtiments officiels. La force, oui. La haine, la violence, la suspicion, la vengeance, non. Le prix de nos sociétés est justement de savoir user de la force avec raison. Votre dignité, vos témoignages, ceux d’aujourd’hui et ceux de tous les jours, les mots aussi que vous venez d’employer, des mots doux, des mots justes, sont des antidotes. Et des armes lourdes – lourdes de larmes, de pudeur et de courage- au service de la liberté et de nos valeurs.
- Redonner du sens c’est aussi nous protéger. Nous protéger, sans paranoïa mais avec vigilance, contre un danger diffus, permanent, immédiat. Je veux ici rendre hommage à celles et ceux qui, au grand jour ou dans le secret, en France ou à l’étranger, risquent leur vie pour préserver la nôtre.
- Redonner du sens, repeupler ces terres désolées, le président de la République l’a dit pendant l’hommage aux victimes de l’attentat de Nice, c’est aussi « le combat de la culture, de l’intelligence, de l’école ». Ce combat de l’intelligence en France, c’est celui des Lumières, de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, des valeurs universelles de la République. Un combat de la culture et de l’intelligence qui se déroule dans ce que Malraux appelait « la région cruciale de l’âme où le mal absolu s’oppose à la fraternité ».
- La fraternité, justement. Elle s’exprime dans les secondes qui suivent le drame. De différentes façons. Ce sont des hommes et des femmes qui, dans un geste fou, bien au-delà du courage, tentent d’arrêter un assassin. Cette fraternité, ce sont des passants qui procurent les premiers soins aux victimes. Ce sont les pompiers, les infirmiers, les médecins qui arrachent les vies à la mort les unes après les autres. Cette fraternité, c’est enfin la solidarité de la Nation. Pas seulement celle qui se déclenche au moment du drame, mais celle d’après, celle du quotidien, du temps long, du temps froid.
Si je suis présent ici aujourd’hui au nom du président de la République, c’est pour vous exprimer, vous garantir cette solidarité dans la durée. Je ne connais rien de pire, rien de plus cruel ni de plus absurde, que d’ajouter de la tracasserie, du souci, de l’incertitude à la douleur. Le 12 juillet dernier, j’ai nommé Mme Elisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l’aide aux victimes. En le faisant, j’ai souhaité que cette action recouvre sa dimension interministérielle. Parce qu’elle n’est pas l’affaire d’une administration, d’un service, mais de toute la République.
Une République qui pleure aujourd’hui et pour longtemps, celles et ceux qui sont morts ou qui souffrent en son nom. Mais la République ne pleure jamais sans raison. Ni sans force. Les héros grecs et romains qui ont façonné notre imaginaire pleuraient bien volontiers. Pleurer était un attribut de la vertu romaine.
Non, nous ne pleurons pas sans raison. Nous pleurons des femmes et des hommes qui sont nos fils et nos compagnes. Nos concitoyens.
Qui nous entendent, là où ils sont, leur dire qu’ils nous manquent, mais que nous sommes là, debouts, tristes, résolus, ensemble, soudés et, au fond, invincibles.

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