Discours à l'Allianz Forum, Berlin

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 15/09/2017

Discours de M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre

Allianz Forum - Berlin

Vendredi 15 septembre 2017
Seul le prononcé fait foi
Sehr geehrte Frau Botschafterin,
Meine Damen und Herren,
Liebe Freunde,
Ich werde nun etwas tun, was kein französischer Politiker tun sollte. Ich werde auf Deutsch zu Ihnen sprechen. Ein bisschen. Nur ein bisschen. Denn erstens ist mein Deutsch etwas „eingerostet“ und daher schwierig für mich. Und zweitens, da es nun mal eingerostet ist, wird es auch für Sie schwierig sein.
Ich habe bedeutende Momente in Deutschland erlebt. Darunter verstehe ich solche Momente, die den Eintritt in das Erwachsenenleben kennzeichnen. Das sind in Summe die wichtigsten. Ich habe von 1986 [neunzehnhundertsechsundachtzig] bis 1988 [neunzehnhundertachtundachtzig] in Deutschland gelebt in Bonn. Ich bin am Friedrich-Ebert-Gymnasium zur Schule gegangen, das sich – als kleine Anekdote – gegenüber dem Sitz der CDU und hinter dem der SDP befand. Ich habe also mein Franzosisches Abitur in Deutschland gemacht. Ich habe meinen 18. [achtzehnten] Geburtstag in Deutschland gefeiert. Seither hat mich Deutschland nie mehr richtig losgelassen.
  • Als Bürgermeister von Le Havre: Eines der Dinge, auf die ich am stolzesten bin, ist die Städtepartnerschaft, die uns seit 2011 [zweitausendelf] mit Magdeburg verbindet.
  • Als politischer Verantwortungsträger: Ich bin sicherlich ein Anhänger Europas, doch in erster Linie  bin ich ein Anhänger des Deutsch-Französischen. Vor sich sehen Sie einen Premierminister, der an der Spitze einer germanophilen Regierung steht.
  • Schließlich frage ich mich, inwiefern die Tatsache, dass ich zwischen den Sitzen der CDU und der SPD zur Schule gegangen bin, nicht vielleicht meine jüngsten und auch meine weiter zurückliegenden politischen Entscheidungen beeinflusst hat.
Während ich von diesen Jugendjahren berichte, denke ich an einige Verse von Schiller :
Wie sprang, von kühnem Mut beflügelt,

Beglückt in seines Traumes Wahn,

Von keiner Sorge noch gezügelt,

Der Jüngling in des Lebens Bahn.

Bis an des Äthers bleichste Sterne

Erhob ihn der Entwürfe Flug,

Nichts war so hoch und nichts so ferne,

Wohin ihr Flügel ihn nicht trug.
Da es mir an Sprachpraxis fehlt, werde ich den deutschen Teil meiner Rede hier beenden. In diesem kleinen Mangel sehe ich aber einen weiteren Grund, Sie öfter zu besuchen!
Si je suis un peu « moins insouciant et léger », pour reprendre les termes de Schiller, et un peu « moins libre d’inquiétudes » qu’il y a trente ans, je conserve des rêves et beaucoup d’espérance. Pas une espérance béate. Une espérance très concrète. Une espérance qui se nourrit d’abord des formidables atouts de mon pays. Je ne les découvre pas bien sûr, mais depuis ma nomination, au gré de mes déplacements et de mes rencontres, ces atouts m’émerveillent chaque jour toujours plus. Vous les connaissez : une situation et une diversité géographiques uniques au monde, des métropoles dynamiques, des secteurs industriels d’excellence, une inventivité, une créativité très riche, une culture très présente dans le quotidien des Français, un secteur touristique en plein boom. Je m’arrête là. Ces atouts, je veux que la France en soit fière. Je veux qu’elle les valorise, qu’elle en fasse un « vrai argument » d’attractivité – il n’y a pas que la fiscalité dans la vie des entreprises et des salariés ! -, sans arrogance, mais sans complexe.
Et puis, mon espérance prend sa source dans ce soir de second tour d’élection présidentielle. Un second tour durant lequel les Français ont choisi le sursaut plutôt que le repli, l’Europe plutôt que le populisme. Un choix qu’ils ont confirmé lors des élections législatives. Un choix qui s’est accompagné d’un profond renouvellement politique. Des visages et des pratiques. Je sais que de ce côté du Rhin, vous avez été nombreux à suivre ces élections. Peut-être avez-vous aussi été nombreux à saluer la sagesse, le courage, le discernement – appelez-le comme vous le souhaitez- des électeurs français.
Des électeurs qu’il ne faut pas décevoir. L’attente est immense. Pas seulement en France, mais aussi en Europe. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, tous nos partenaires ont besoin d’une France forte. L’attente est immense donc. Elle est légitime. Elle est suffisamment pressante pour qu’on change de stratégie. De méthode aussi. Je ne dis pas que mes prédécesseurs n’ont rien fait ou mal fait. Beaucoup, quel que soit leur bord politique d’ailleurs, ont pris des décisions intelligentes, courageuses. Reconnaissons aussi que faute de les avoir annoncés, faute de les avoir expliqués, certains rendez-vous importants ont été des rendez-vous manqués.
Des rendez-vous manqués qui se traduisent aujourd’hui par des déficits. De toute nature. Déficit public, déficit d’investissement, de compétitivité, déficit de compétences, déficit d’image aussi vis-à-vis d’entreprises étrangères qui hésitent à s’implanter en France. Déficit de confiance. Au-delà de leur aspect comptable, technique ou psychologique, ces déficits ont surtout une traduction commune. Une traduction humaine injuste, impitoyable, violente, dangereuse même pour la démocratie : la permanence du chômage de masse.
L’Allemagne, le Royaume-Uni, le Danemark l’ont montré : si le chômage de masse est une maladie grave, parfois chronique, elle n’est pas incurable. À condition bien sûr de formuler le bon diagnostic et d’y appliquer les bons remèdes. Vous en connaissez certains. Vous les avez appliqués. Rien d’étonnant : nos économies sont assez proches. Mais ces remèdes varient aussi. J’irais plus loin : ils doivent varier d’un pays à l’autre pour tenir compte d’histoires, de traditions, de structures économiques et sociales différentes. Aucune politique économique ne démarre d’une page blanche.
Je ne vais pas répéter ici le discours de politique générale que j’ai prononcé le 4 juillet dernier devant le Parlement français. Vous êtes chefs d’entreprise. J’évoquerai donc les quelques grandes transformations économiques et sociales que nous sommes en train d’engager sous l’autorité du président de la République. Des transformations qui vous concerneront peut-être si votre entreprise est présente en France ou si vous comptez investir chez nous (ce qui, comme vous allez le voir, pourrait se révéler très judicieux). Ces transformations sont au nombre de trois.
1re transformation : assainir nos finances publiques pour baisser les impôts des Français de manière durable.
Je pourrais citer une batterie d’indicateurs, mais je retiendrai un chiffre. Un chiffre qui veut tout dire : quand vous Allemands, vous prélevez 100 euros d’impôts et en dépensez 98, nous, Français, nous en prélevons 117 et en dépensons 125.
• Dès mon discours de politique générale, j’ai fixé le cap. En fait, un double cap : baisser la dépense publique de 3 points de PIB ; réduire la dette de 5 points de PIB d’ici 2022 ; réduire les prélèvements obligatoires de 20 milliards d’euros d’ici la fin du quinquennat. Ce cap, il est exigeant, il est difficile. Il est assez inédit. Mais il est incontournable si nous voulons restaurer notre crédibilité, recouvrer notre souveraineté, baisser les impôts et financer les priorités d’avenir.
Dès le printemps, nous avons pris les mesures qui s’imposaient pour que la France repasse sous la barre des 3% sans augmenter les impôts. J’ai conscience que vu d’ici, la performance peut laisser circonspect. Mais croyez-moi : il y a quelques mois, cela semblait impossible. Ce n’est évidemment qu’un début. Dans une semaine, je présenterai le projet de budget pour l’année 2018. Ce budget fera des choix. Des choix clairs, politiques :
  • Choix de maîtriser la dépense publique : pour la première fois depuis 2007, la France contiendra de façon pérenne son déficit sous la barre des 3%.
  • Choix de refonder certaines de nos politiques publiques dont les résultats ne sont plus à la hauteur des sommes que nous y consacrons : cela concerne en priorité les politiques de l’emploi, du logement et des transports.
  • Choix aussi de financer nos priorités nationales : la défense, l’éducation, l’enseignement supérieur, la transition écologique, la justice, la  police.
• Mais ce budget fera un autre choix. Un choix important, là encore assez inédit, en tous cas depuis 5 ans, celui de baisser fortement les impôts :
  • Les actifs bénéficieront dès 2018 d’un allègement massif de cotisations sociales salariales. Ainsi, nous faisons en sorte que le travail paye mieux.
  • 80% des ménages profiteront également de la suppression de la taxe d’habitation, qui est un impôt très français, c’est-à-dire ancien, injuste et incompréhensible.
  • Enfin, nous augmenterons la « prime à l’activité » qui encourage la reprise d’un emploi en réduisant ce que les économistes appellent les « effets de seuil ».
Ces baisses d’impôt profiteront également aux entreprises :
  • Le 11 juillet dernier, j’ai annoncé des mesures en faveur de l’attractivité financière de la place de Paris : suppression de la taxe sur les transactions financières intra-journalières et de la quatrième tranche de la taxe sur les salaires ;
  • En 2019, nous transformerons et pérenniserons le CICE sous la forme de baisses de cotisations sociales patronales ;
  • Nous ramènerons également le taux de l’impôt sur les sociétés de 33,3% aujourd’hui à 25% en 2022, soit à un niveau proche de la moyenne des pays européens (qui est de 23%).
Au total, le projet de budget 2018 redistribuera près de 10 milliards d’euros de prélèvements obligatoires aux Français. En 18 mois, nous aurons atteint la moitié de l’objectif total de baisse du quinquennat.
• Avec ce budget, je présenterai la trajectoire financière de notre pays pour les 5 années à venir. L’objectif, quel est-il ? Il est de donner de la visibilité, de la prévisibilité, de la stabilité aux ménages bien sûr, mais aussi aux entreprises. En clair : on dit maintenant ce que l’on va faire, on le fait et on ne touche plus à rien.
2e transformation : créer un environnement favorable à l’investissement.
Toutes les études le montrent : la croissance potentielle de notre pays est trop faible. Elle est d’1,2% là où celle de l’Allemagne se situe à environ 2%. Une des raisons est la faiblesse de l’investissement. Nous voulons y remédier. De deux façons.
• La première consiste à réorienter l’épargne française vers les entreprises.
Quelle est la situation ? Le poids cumulé des impôts sur le capital est en France près du quart supérieur à celui de la moyenne de la zone euro. Il faut taxer le capital, bien sûr. Nous continuerons à le faire. Mais dans une juste mesure. Cette juste mesure, c’est la moyenne de ce qui se pratique en Europe ; c’est ce seuil où, à fiscalité égale, une entreprise ou un particulier va choisir d’investir en France plutôt qu’ailleurs. Sur ce sujet, reconnaissons-le, la fiscalité française faisait un peu figure d’épouvantail. Il fallait adresser un signal fort. Ce signal prend la forme de deux mesures fiscales très puissantes :
  • L’introduction d’une « flat tax » sur les revenus de l’épargne de 30% : on supprime l’incroyable maquis fiscal qui foisonnait jusqu’à présent et on le remplace par un mode de prélèvement simple, lisible et efficace.
  • La deuxième mesure est la suppression de l’impôt sur la fortune et son remplacement par un impôt sur la fortune immobilière : on cesse de taxer l’argent qui travaille, celui qui permet aux entreprises d’investir et de créer des emplois.
• La seconde vise à mobiliser l’investissement public.
D’un côté, nous réduisons nos dépenses courantes. Massivement. De l’autre, nous investissons. Massivement aussi. Ce n’est pas à vous que je vais expliquer qu’il faut investir. Pas n’importe où, pas n’importe quand, ni n’importe comment. Mais il faut investir.
  • Nous mobiliserons 10 milliards d’euros de cessions de participations publiques pour abonder un fonds d’investissement en faveur de l’innovation. En clair, on « réinvestit » du capital dans des secteurs à très forte croissance.
  • Nous travaillons également à la préparation d’un grand plan d’investissement dont le montant cumulé (à l’issue du quinquennat) sera de 50 mds d’euros. Ces investissements concerneront tous les secteurs d’avenir, à commencer par le plus important : celui des compétences et de la formation. Mais aussi : la transition écologique, la santé, le numérique etc.
3e transformation : attaquer le chômage « de tous les côtés ».
Je l’ai dit : c’est l’objectif ultime. Je ne connais pas meilleure sécurité que des compétences, un savoir-faire, une expérience professionnelle. Et je ne connais pas meilleure « mesure » de cohésion sociale qu’un travail utile, stable, correctement rémunéré. Pour y parvenir, il faut attaquer le chômage de tous les côtés. Cela implique de relever simultanément 3 défis.
• Le 1er défi, c’est celui du coût du travail. J’ai évoqué tout à l’heure les mesures que nous allons prendre pour réduire le poids des cotisations sociales, en transférant une partie du coût de notre protection sociales des cotisations vers l’impôt (CSG). N’y voyez un quelconque esprit de revanche, mais notre modèle d’assurance sociale sera un peu moins « Bismarckien » et un peu plus « Beveridgien ». Retenez simplement que le coût du travail en France va baisser de façon drastique durant les prochains mois.
• Le 2è défi, c’est celui de l’adaptation de notre code du travail aux nouveaux besoins des salariés et des entreprises : besoin de souplesse, besoin de sécurité, besoin de dialogue, besoin de prévisibilité, besoin de simplicité aussi.
Le 31 août, j’ai présenté le contenu des 5 ordonnances qui réforment le code du travail français. Les 36 mesures qu’elles contiennent entreront en vigueur d’ici une dizaine de jours. Je ne vais pas toutes les détailler ici. D’abord, parce que ce serait trop long. Ensuite, beaucoup de ces mesures tiennent compte de ces spécificités françaises que j’évoquais en introduction. Nous conservons les grands principes de notre droit du travail – qui demeure au cœur de notre modèle social-, mais nous le faisons évoluer sur certains points clefs.
  • C’est le développement massif du dialogue social, en particulier dans les plus petites entreprises.
  • C’est la sécurisation (pour tout le monde) de la rupture de contrat de travail.
  • C’est la simplification (et le renforcement) des instances de représentation du personnel dans les entreprises de plus de 50 salariés.
  • C’est le développement du contrat de chantier.
  • C’est la prise en compte de la pénibilité de manière plus simple.
Je m’arrête là. Vous en avez saisi la logique : on sécurise, on assouplit, on accorde de nouveaux droits, on diffuse le dialogue social. Pourquoi une telle réforme a-t-elle été possible ? Je vois au moins deux raisons. D’abord, et c’est assez rare chez nous, nous avons clairement dit durant la campagne ce que nous allions faire. Les Français nous ont donné un mandat très clair sur tous les sujets relatifs à la « libération de notre économie ». Et puis, nous avons concerté, longuement, en respectant tout le monde. Qu’est-ce que l’on constate ? On constate une chose : quand on respecte le dialogue social, quand on respecte ses représentants, la démocratie sociale peut s’épanouir et produire ses pleins effets.
• Le 3e défi est celui des compétences.
Quelques mots rapides sur le constat. De plus en plus d’élèves sortent du système scolaire sans maîtriser les savoirs fondamentaux. Quand ils ont un diplôme, les jeunes éprouvent les pires difficultés à s’insérer dans l’emploi. Les entreprises veulent embaucher, mais ne trouvent pas les profils dont elles ont besoin. D’où une action en 3 temps.
  • 1er temps : l’école. Nous avons décidé de concentrer les moyens sur l’apprentissage des savoirs fondamentaux, en particulier dans les quartiers les plus difficiles : dédoublement des classes de CP, aide aux devoirs dans les collèges etc.
  • 2e temps : nous allons refondre et investir massivement dans notre système de formation professionnelle. Tout le monde en connaît les faiblesses : complexité, éparpillement, manque de sérieux de certaines formations. Tout le monde reconnaît que le système actuel est à bout de souffle, en tous cas qu’il ne fonctionne pas aussi efficacement qu’il le devrait. Nous allons engager ce vaste chantier, toujours en étroite concertation avec les organisations syndicales.
  • 3e temps : l’apprentissage. Ce n’est pas en Allemagne que je vais en vanter les mérites ! Voilà un exemple de « recette » ou de « remède » qui marche partout. Et depuis la nuit des temps.
Conclusion :
J’évoquais tout à l’heure les atouts de la France. Je ne sous-estime pas non plus les écueils ou les risques qui émaillent le chemin que je viens de tracer devant vous. Vous me permettrez, pour donner un peu de cœur à l’ouvrage au marin que je suis, d’appeler de nouveau Goethe à la rescousse, en particulier ces quelques vers de son poème « Colomb » : « Courage, brave navigateur ! La raillerie peut attaquer tes espérances, les bras de tes marins peuvent tomber de fatigue… Va toujours ! Toujours au couchant ! Ce rivage que tu as deviné, il t’apparaîtra bientôt dans toute sa splendeur. »
Je l’ai dit aussi en introduction : les partenaires de la France, et en premier lieu l’Allemagne, ont besoin d’une France forte. Un vieux proverbe allemand dit « Gleichheit macht freundlichkeit » c’est à dire « l’amitié nait de l’égalité ». Je ne reviendrai pas sur l’agenda européen des prochaines semaines. Vous avez devant vous un rendez-vous électoral important. Il faut évidemment le respecter. Ensuite seulement, nous pourrons rebâtir un projet européen robuste, « ce château périssable/ Que le souffle du monde a jeté sur le sable » (Gérard de Nerval, introduction de son recueil « Petits châteaux de Bohème »).

Partager la page