Discours du Premier ministre Jean Castex - Sessions nationales de l'IHEDN

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Jean Castex.

Publié 18/06/2021

Madame la ministre des Armées, chère Florence,
Madame la présidente de la Commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblé nationale,
Monsieur le chef d'état-major des armées,
Monsieur le secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale,
Monsieur le directeur de l'IHEDN,
Madame l'ambassadrice, présidente du conseil d'administration,
Messieurs les offiers généraux,
Chers auditeurs,
« La défense, c'est la première raison d'être de l'État. Il ne peut manquer sans se détruire lui-même ». Vous conniassez ces mots du Général DE GAULLE, tirés du second discours de Bayeux. Ils prennent évidemment, en ce 18 juin, un relief tout particulier. Je ne peux les évoquer aujourd'hui sans voir se découper dans l'ombre la haute silhouette du Général qui, devenu président de la République, vint si souvent ici, en cette enceinte, transmettre aux stagiaires et auditeurs de l'École militaire, sa foi en la France. Je les ai bien à l'esprit en m'exprimant devant vous, auditeurs de l'IHEDN, comme l'ont fait avant moi tous mes précedesseurs de la cinquième République. Je les ai à l'esprit comme vous, tant la défense nationale n'est pas l'affaire seulement des dirigeants, tant elle n'est pas l'affaire seulement des militaires, tant elle n'est pas, même, seulement l'affaire des seuls responsables publics.
En 1983, Pierre MAUROY s'exprimant devant vos prédécesseurs, s'était attaché à le souligner avec force, en disant : « L'esprit de défense ne s'acquiert pas du jour où l'on doit porter les armes. Il n'est pas séparable de la formation globale du citoyen, dans sa famille, à l'école, à l'université ». Oui, la défense nationale est un grand dessein commun, celui de tous ceux qui sont ici réunis, officiers et hauts fonctionnaires, citoyens et élus de la nation, responsables privés ou publics, avocats ou journalistes.
C'est bien là, d'ailleurs, le principe qui a présidé à la création de l'IHEDN, que de vous rassembler pour réfléchir à notre défense. Ici, les forces vives de la nation viennent à la rencontre de l'armée et c'est de cette rencontre, de ce brassage social et intellectuel que naît cet esprit de défense indispensable à notre pays. C'est la raison pour laquelle le cursus exigeant que vous avez choisi est essentiel pour la République.
En voyant votre assemblée, je mesure à quel point l'IHEDN est un creuset indispensable, une véritable institution républicaine. Vous le savez, depuis sa création en 1936, cette institution a oeuvré sans relâche, par l'étude et le débat, à penser cette idée de défense nationale qui fut indissociable de l'avènement de la République dont nous avons collectivement célébré le 150e anniversaire le 4 septembre dernier.
Signe de sa vitalité, l'IHEDN au cours des trois Républiques qui ont façonné son histoire, s'est toujours adapté. Aujourd'hui encore. Il se transforme en profondeur, et je tiens, mon général, à saluer votre action. Je sais que vous quitterez bientôt vos fonctions. Ce sera l'adieu aux armes après une carrière en tout point exemplaire, que je veux d'ores et déjà saluer, comme je salue l'action de madame l'ambassadrice de France Sylvie BERMANN, qui a accepté la lourde tâche de présidente du conseil d'administration. Vous avez mené ensemble et avec succès la réforme importante qui sera mise en oeuvre à la rentrée prochaine. En rassemblant dans une session unique toutes les grandes questions qui structurent aujourd'hui la défense et la sécurité nationale, ce nouveau cursus permettra à l'Institut de porter de manière nouvelle le message qui a toujours fait sa raison d'être.
Oui, la défense et la sécurité nationale sont au croisement des enjeux stratégiques, des défis de l'industrie d'armement, des questions d'indépendance numérique et de cyberdéfense, de la défense économique comme des questions maritimes qui seront du reste des thématiques majeures de l'Institut à la rentrée prochaine.
Dire cela, Mesdames et Messieurs les auditeurs, c'est dire que vous devez adopter, dans vos réflexions, un point de vue qui est proche de celui du Premier ministre auquel l'IHEON a été naturellement rattaché, un point de vue global, pluridisciplinaire, transversal.
11 n'est pas, je le disais, de politique de défense utile si elle n'est pas en phase avec la nation, le peuple et ses aspirations. Une politique de défense déterminée, mais isolée, puissante, mais qui divergerait de la société, brillante, mais décalée des réalités, ne serait qu'une dangereuse illusion. Inversement, il est peu de politiques publiques qui ne croisent les enjeux de sécurité nationale ou plus largement, de résilience, Monsieur le secrétaire général. Il est peu de domaines où il ne faille envisager l'éventualité de circonstances extrêmes.
Enfin, il n'est pas de vision politique qui n'agrège ces réalités hétérogènes, complexes ; je le mesure tous les jours dans l'exercice de mes fonctions, particulièrement en temps de crise. Périclès disait que si toutes les bonnes choses affluent vers la cité en raison de sa grandeur, celle-ci ne peut se limiter à seulement se défendre. Ces aphorismes de l'Athènes du cinquième siècle avant notre ère sur la défense de la cité nous suggèrent des questions qui restent pertinentes en 2021, si l'on veut agir. Permettez-moi d'en partager
quelques-unes essentielles avec vous ce matin. La première, celle qui doit être au départ des vôtres, est bien sûr celle du regard que nous posons sur le monde.
Et je crois que nous devons éviter collectivement deux écueils opposés.
Le premier écueil qui peut se présenter en France comme dans certaines enceintes internationales, serait à n'en pas douter celui d'un irénisme déconnecté des réalités. Nous sommes sortis de la guerre froide, il y a plus de 30 ans. Ce fut une période de risque majeur dont nous avons sans doute perdu la mesure. La fin de cette période a pu générer l'illusion de la fin de la guerre, et certains ont même un peu imprudemment annoncé celle de l'histoire.
Aujourd'hui, cette illusion se dissipe, car ceux qui ont ainsi parlé de l'histoire la connaissaient visiblement fort mal. À la guerre improbable des blocs a succédé la réalité des micro-conflits et du risque d'affrontement de grandes puissances. Au modèle de guerre symétrique vient se substituer celui de l'asymétrie, du terrorisme et de la guerre hybride. Les exercices de maîtrise des armements semblent démodés, remplacés par le retrait des organisations multilatérales et la reprise de la course aux armes de guerre. Et pourtant, certains voudraient que nous signons le traité d'interdiction des armes nucléaires pendant que d'autres s'offusquent que nous puissions exporter des armes ou conserver les
données de connexion qui permettront de prévenir les actes terroristes.
Ne vous trompez pas sur mes propos. Aussi irréalistes soient-elles, ces positions appartiennent au débat démocratique et ce débat est sain. Mais il vous appartient, vous, auditeurs de l'IHEDN, de faire entendre une voix différente, une voix équilibrée, une voix qui rappelle le tragique de l'histoire et la redoutable banalité du mal, une voix ancrée dans la réalité des conflits qui ont servi de trame de fond à vos travaux, car c'est la voix inspirée par la pratique et la raison, c'est-à-dire celle qui pourra fonder une action crédible. Cette voix, pourtant, ne doit pas être une voie belliciste, car le deuxième écueil serait de promouvoir la seule vision d'un monde hobbesien, où le comportement de
chacun des États serait déterminé par son seul appétit de domination, où chaque citoyen serait un ennemi en puissance tapi au coeur même de nos cités ; ce n'est pas le message que porte la France.
Le président de la République a souhaité à de nombreuses reprises réaffirmer avec force notre attachement au multilatéralisme, au dialogue exigeant avec tous, et en particulier avec les États qui manifestent le plus clairement leur quête de puissance. La France propose à ses partenaires de partager une vision ambitieuse de l'Europe sur tous les terrains du monde. Vision plus encore nécessaire demain qu'elle ne l'était en 1957, au moment du traité de Rome. Le message de paix qu'elle promeut est fort parce qu'il est ancré dans l'expérience de la guerre. Et il ne sera crédible qu'aussi longtemps qu'elle n'oubliera pas que la paix est une réalité fragile. Et sur le territoire national, le confortement de
l'autorité de l'État est indissociable d'un effort renouvelé pour promouvoir la liberté de tous, l'égalité des chances et le principe de fraternité comme trait d'union entre tous les citoyens. Dans ce domaine encore, pas de politique équilibrée, sans vision du monde, à la fois lucide et ouverte. Cet équilibre est toujours à réinventer. Il renvoie à une deuxième question qui structure notre débat démocratique, comme les délibérations du Gouvernement et sur lesquelles vous avez certainement réfléchi.
Cette question, c'est celle de l'articulation entre la nécessité de nous adapter à l'évolution du monde, singulièrement aux nouvelles menaces, et la fidélité à nos valeurs fondatrices. 11 faut le réaffirmer, la réactivité de l'Etat comme des responsables est une attente légitime de nos concitoyens et une condition du bon exercice de la démocratie. La fulgurance des attaques cyber, la brutalité de la crise sanitaire, la lâcheté imprévisible de l'acte terroriste, la désinhibition de certaines puissances dans leur politique du fait accompli caractérisent les événements qui appellent des réponses rapides. L'État, mais pas seulement lui, doit être chaque jour plus agile, car l'absence de réponse est elle-même en soi une réponse, mais c'est généralement une mauvaise réponse. Comme le dit si bien la devise du Charles-de-Gaulle à bord duquel nous nous trouvions il y a juste une semaine : être inerte, c'est être battu.
Pour réagir à bon escient, les conditions sont connues, mais elles sont délicates à réunir. Il faut maîtriser des domaines techniques chaque jour plus nombreux. Il faut anticiper pour ne pas se laisser surprendre. Il faut se connaître pour créer la confiance. Il faut enfin décider sous le feu souvent de critiques, certes parfois injustes, mais toujours recevables dans le débat dans un cadre démocratique.
Toujours, vous trouverez face à vous ceux qui, ayant l'aisance de ceux qui ne sont en charge de rien, recommandent surtout de ne rien faire, comme si l'angélisme du commentateur devait guider les actions du pouvoir politique.
N'oubliez jamais, comme le disait Charles PÉGUY, que si les idéalistes ont les mains bien blanches, c'est qu'ils n'ont pas de mains. Car il faut pourtant agir et agir vite dans un monde de plus en plus complexe et imprévisible. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles le Gouvernement a engagé une ambitieuse réforme de la haute fonction publique, et en particulier de sa formation initiale et plus encore continue. Je le dis devant vous ce matin à dessein, la France dispose d'une haute fonction publique de très haute qualité.
La crise l'a encore démontré. Et demain, il faut qu'elle le soit plus encore, qu'elle soit plus mobile et mieux formée à l'entrée dans la vie active, mais aussi en cours de carrière, un peu sur le modèle de l'Ecole de guerre qui forme nos officiers supérieurs depuis la fin du 19ème siècle, cette Ecole de guerre installée ici en cette Ecole militaire où dès 1750 Louis XV avait décidé de donner une formation éclairée, aux futurs chefs de son armée. Et je sais que l'IHEDN poursuit cette tradition et développe la capacité de décision par le partage des expériences, la quête d'une meilleure compréhension des enjeux et la promotion d'une vision prospective.
Pourtant, si la réponse à la crise ne va pas sans réactivité, elle ne va pas non plus sans sang-froid. Vous le savez, nous vivons dans le règne de l'émotion médiatique. Nous devons agir en acceptant que les informations soient à la fois éphémères, parcellaires, incertaines et parfois outrancières. Nous devons tenir compte du particularisme de chaque situation.
Alors au coeur de la crise, les valeurs que portent nos textes fondamentaux doivent être des guides pour l'action, alors même que parfois, certains y voient des obstacles juridiques insupportables, à lever au plus vite. L'attachement à notre pays et la connaissance de son histoire doivent alors être une boussole.
Dans la pandémie que nous vivons et dont nous espérons tous la fin, en cette période de forte amélioration, le Gouvernement n'a eu de cesse de trouver le meilleur compromis possible, le meilleur équilibre entre exigences de la sécurité sanitaire et des mesures qu'elle commandait et préservation des libertés publiques, entre responsabilisation des citoyens et action collective, entre associations des acteurs des territoires et nécessité de trancher.
Dans un autre domaine, celui du renseignement, madame la présidente, il fallait permettre à nos services spécialisés de s'adapter à l'ère de WhatsApp, de la 5G. J'ai voulu permettre une analyse moderne et efficace des données, mais sans rien céder à la préservation de la vie privée, et tel est l'objet du projet de loi débattu actuellement au Parlement.
De même, il faut que la lutte contre les manipulations de l'information d'origine étrangère soit une garantie et évidemment pas une atteinte à la liberté d'expression dans un cadre démocratique.
C'est pourquoi le nouveau service de vigilance contre les ingérences numériques étrangères, abrité au SGDSN, disposera d'un comité scientifique et d'éthique. Bref, vous l'aurez compris, il nous faut en permanence nous doter des outils pour faire efficacement face à nos adversaires et à leurs nouvelles modalités d'actions. Mais en nous gardant de tomber dans le piège qui nous conduirait par un mimétisme destructeur qu'ils appellent sans doute de leurs voeux à leur ressembler. C'est un défi central pour les démocraties et les États de droit. C'est un défi actuel.
Réagir à la crise, c'est apprécier le seuil à partir duquel un problème sectoriel devient plus général, c'est réagir de manière à la fois déterminée et articuler le court terme et le long terme, en ancrant l'action dans une connaissance intime de la France et de son histoire. Éclairer la décision présente, urgente, par le long terme et par nos valeurs fondatrices et historiques. Pour cela, il ne suffit pas de réagir, il faut aussi anticiper et ceci nous amène à une troisième grande question, qui est au coeur de toute décision politique en même temps qu'elle représente la question stratégique par excellence. Elle est celle de la place du risque et de son acceptation dans nos sociétés modernes et démocratiques. Et
c'est sans doute une question fondamentale que l'on peut se poser ici à l'IHEDN. Sans doute cette question se pose-t-elle différemment, selon que l'on pense à la sécurité nationale au sens strict, ou aux questions de défense.
Vous avez, je crois, réfléchi cette année à la sécurité nationale. Vous avez abordé ces dimensions de la sécurité qui sont celles de la nation, soit parce qu'elles concernent l'ensemble des citoyens, soit parce qu'elles traduisent la vulnérabilité des institutions ou des installations, qui, suivant le terme consacré, revêtent une importance vitale pour notre pays. La question première de la sécurité nationale se pose chaque jour. Mais elle n'est pas uniquement l'affaire du Gouvernement. Et sans doute n'est-elle pas d'abord l'affaire du Gouvernement. Cette question centrale, c'est en effet la question de l'évaluation des risques. Et elle se pose dans deux sens différents et, à vrai dire, paradoxaux. Dans nos sociétés qui ont oublié la tragédie, qui n'ont connu ni la guerre ni les grands drames de l'histoire, on le mesure bien lorsque l'on voit la sidération dans laquelle la crise sanitaire a plongé les opinions publiques occidentales, qui avaient sans doute trop rapidement renvoyé les épidémies au Moyen-Age. Dans nos sociétés où l'individu tend à se concentrer sur un domaine de compétence qui est d'autant plus étroit qu'il est plus complexe, la tendance est d'abord parfois à la sous-évaluation du risque, à l'incrédulité face
à la menace. Et cette légèreté face à la menace, d'autres sociétés l'ont parfois payée au prix fort. On dit« les autres peut-être, nous jamais».
Demain sera comme hier, veut-on se persuader et de toute façon, l'État s'en occupera. Le coronavirus a d'abord, dois-je le dire, été assimilé à une grippe passagère. Il en est ainsi encore trop souvent dans nos administrations comme dans nos entreprises, de la menace cyber. Et je me tiens d'ailleurs au passage à saluer la Chaire Cyber, de l'IHEDN, qui participe de cet effort, comment diraisje, d'éveil collectif. Il en est ainsi parfois du risque de catastrophes naturelles qui devrait, depuis longtemps, nous inciter à plus de prudence dans nos programmes urbanistiques. Inversement, et sans doute pour les mêmes raisons de perte de référence sur l'échelle du tragique de l'histoire, le risque est parfois largement surévalué, « irrationalisé », si vous me permettez cet aphorisme, en dehors de tout fondement scientifique. La peur, voire la panique, brouille tout sens commun et conduit à des raccourcis définitifs qui font le bonheur des prophètes en catastrophisme. « L'État nous ment » nous dit-on alors. Nous oscillons entre ceux qui pensent que l'État peut tout et ceux qui disent que l'État nous ment. Les vaccins, la 5G, hier, les trains à vapeur - je vous invite à relire ce qui s'était dit à l'époque dans la bouche de grands savants - sont ainsi régulièrement suspectés de générer les pires effets, le plus souvent en dehors de toute expérience concrète. Dans une société habituée et attachée à sa quiétude, tout peut devenir danger. Et les marchands de complots prospèrent alors. Au pays de Pasteur, on en vient à craindre le vaccin et à penser qu'une politique de santé publique cache en réalité les plans secrets d'intérêts particuliers. Là aussi, vous, auditeurs de l'IHEDN pouvez porter une voix crédible, une voix mesurée, une voix raisonnable. Elle doit identifier les risques avérés pour les réduire. Elle doit aussi valoriser la prise de risque qui est toujours nécessaire pour avancer. En matière de défense nationale, me semble-t-il, la question se pose différemment. Parce que dans ce domaine, le risque est celui de la concrétisation d'une menace. Il est celui qui est propre à toutes dialectiques avec un adversaire. Et le risque est le signe d'un monde en mouvement qui présente des opportunités. Vous avez cette année plus longuement à réfléchir aux phénomènes d'instabilité géopolitique, de fragilité du système international, de menaces qui pèsent sur la paix.
Ces phénomènes sont réels, mais sont-ils plus aigus que pour les générations passées ? Je n'en suis pas certain. Le principe de précaution peut aussi consister à limiter les risques. Et dans ce domaine, il consiste à les connaître, à les accepter et à en tirer parti. Limiter les risques, c'est paradoxalement savoir en prendre. La semaine prochaine, j'irai devant le Parlement présenter la situation de notre programmation militaire. Je défendrai avec Florence PARLY, dont je salue l'action déterminée et efficace depuis 4 ans, notre ambition dans ce domaine, porté par la LPM promulguée en 2018 par le Président de la République, qui a voulu cette inflexion majeure. Pour un pays comme le nôtre,
disposer d'une armée, ce n'est pas seulement, ce n'est pas sans doute, d'abord, vouloir nous protéger à l'abri de longs murs comme l'Athènes de Périclès, que cette stratégie finit d'ailleurs par conduire au désastre. Si nous en doutions, mai 1940 et la faillite de la ligne Maginot serait là pour nous le rappeler. De même, en 2021, la question stratégique qui se pose à la France aujourd'hui, ce n'est pas de savoir comment empêcher une occupation imminente du territoire ou prévenir l'asservissement de sa population. Cela pourrait le devenir, paradoxalement, si nous nous contentions de défendre nos seules frontières, si nous abdiquions notre rôle dans le monde. La question stratégique qui se pose
à la France, c'est précisément de savoir quel rôle nous voulons jouer dans un monde d'instabilité et de résurgence des appétits de puissance. Disposer d'une armée, c'est garantir nos intérêts vitaux et c'est l'objet de la dissuasion nucléaire. C'est protéger nos concitoyens et nos intérêts partout où ils se trouvent. Mais c'est aussi revendiquer la juste place qu'il nous faut jouer dans le monde. C'est adapter et renouveler avec toujours davantage de fierté, mais aussi sans doute davantage de modestie, la mission universelle qui est celle du pays des Droits de l'Homme, c'est courir le risque de la responsabilité comme nous le faisons aujourd'hui au Sahel, au Levant ou dans la région I ndo-Pacifique.
C'est dire finalement qui nous sommes et qui nous voulons être. Raymond BARRE, autre de mes grands prédécesseurs, lorsqu'il m'a précédé à cette tribune, c'était le 11 septembre 1980, avait déjà exprimé cette idée. « Tous les peuples, disait-il, connaissent dans leur histoire les défis et les épreuves, ceux qui les surmontent en sortent grandis. Ceux qui s'abandonnent ou renoncent ne comptent plus dans le jeu mondial. La France, poursuivait-il, a jusqu'ici toujours su trouver en elle la volonté et les ressources nécessaires pour faire face et rester elle-même ».
En 2021, elle continue de le faire. Et c'est le sens de notre politique de défense comme de notre action diplomatique. Encore devons-nous nous en donner les moyens, ce qui suppose une France forte, une économie prospère, des finances publiques résilientes. Il n'y a pour cela pas d'autre voie que celle de la relance, de la réforme et de la transformation dans laquelle le président de la République a engagé notre pays.
Car vous le savez bien, mesdames et messieurs, tout se tient. C'est une question d'indépendance. Cette notion d'indépendance qui aura été, mesdames et messieurs les auditeurs, au coeur de vos échanges cette année. La crise que nous traversons nous a rappelé toute l'importance de notre indépendance et tous les risques qu'entraîne son abaissement. Or, vous le savez, il n'y a pas d'indépendance sans un regard réaliste posé sur le monde. L'indépendance est un leurre si elle ne consiste qu'à réagir sous le coup de l'émotion et aux
soubresauts de l'actualité. En revanche, est vraiment indépendant celui qui sait prendre des risques pour protéger sa liberté et celle de ses concitoyens, celui qui consent les efforts et les changements nécessaires pour s'en donner les moyens. C'est en cela finalement que ll'indépendance est plus que jamais l'affaire de la nation toute entière.
Chers auditeurs de l'IHEDN, là où vous serez au coeur de la cité dans vos fonctions professionnelles, vous aurez à coeur de promouvoir l'esprit de défense, le respect de nos valeurs fondamentales et l'amour de notre pays. Ce cher et vieux pays, pour terminer, et pas seulement parce que nous sommes le 18 juin, en évoquant à nouveau le Général qui aimait à dire« La France vient du fond des âges, les siècles l'appellent. Mais elle demeure elle-même au long du temps ». Cette responsabilité qui fut la sienne et celle des hommes de son temps est désormais la nôtre.
Je veux vous remercier, mesdames et messieurs, pour votre engagement au service finalement de notre bien le plus précieux c'est-à-dire notre liberté de nation indépendante.
Vive la République et vive la France !

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