Organisation des prochaines élections régionales et départementales : discours du Premier ministre au Sénat

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Jean Castex.

Publié 14/04/2021

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Le 1er avril dernier, je suis venu présenter au Sénat la situation sanitaire de notre pays marquée par une troisième vague et surtout un nouveau variant prédominant, ainsi que les mesures de lutte contre l’épidémie que, précisément, l’évolution de la situation appelait.
Voilà donc plus de dix jours que ces dispositions sont entrées en vigueur sur l’ensemble du territoire. Elles commencent à produire leurs résultats en termes d’incidence, même si c’est de manière hétérogène selon les régions, mais pas encore en termes de pression hospitalière, tandis que la communauté des soignants se mobilise plus que jamais pour y faire face, avec la compétence et le courage qui lui valent plus que jamais notre reconnaissance et notre soutien.
C’est dans ce contexte très particulier que j’ai évoqué devant votre Haute Assemblée la question du calendrier des prochaines élections départementales et régionales, fixées les 13 et 20 juin prochain, et des questions soulevées par le Conseil scientifique dans le rapport qu’il nous avait remis, sur le fondement de l’article 3 de la loi du 22 février 2021, sur les conditions de leur organisation.
A cette occasion, vous vous en souvenez, je vous avais proposé une orientation, une méthode et un rendez-vous.
L’orientation, vous la connaissez, vous m’avez entendu l’exprimer à plusieurs reprises et notamment ici même le 1er avril dernier. Elle a toujours été constante et repose sur un principe très simple : celui du maintien, car l’élection est un moment majeur de la démocratie et que, de surcroît, les élections dont nous parlons ont déjà dû être reportées.
Seules des considérations sanitaires pourraient nous conduire à déroger à ce principe ou à en aménager l’organisation, comme l’a démontré du reste l’expérience difficile des municipales de l’année dernière.
Ainsi, privilégier l’hypothèse du maintien, c’est aussi identifier clairement et lucidement, les difficultés que sa mise en oeuvre peut soulever.
Ces difficultés tiennent évidemment aux contraintes et aux incertitudes que la situation sanitaire peut faire peser sur notre vie collective dans les prochains mois ; elles tiennent plus particulièrement aux recommandations très précises que le conseil scientifique a formulées, qu’il s’agisse des conditions de déroulement de la campagne ou des opérations de vote, et, au-delà de la théorie, à notre capacité pratique à les mettre en application dans l’ensemble des communes de France ; elles tiennent enfin à ce que ces élections cumuleront deux scrutins, ce qui les distingue des municipales de 2020, organisés le même jour, ce qui exige de doubler le nombre de bureaux de vote, et donc de mobiliser deux fois plus de présidents et d’assesseurs.
Faut-il rappeler, par ailleurs, qu’après l’avis du conseil scientifique, nous avons renforcé, à compter du 4 avril et pour une période de quatre semaines, les mesures dites de freinage qui ne sont évidemment pas sans effet sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui, notamment s’agissant de la précampagne électorale ?
Après l’orientation, la méthode. C’est évidemment celle de la plus large consultation.
J’ai saisi les présidents des Assemblées, les présidentes et présidents des groupes parlementaires, les responsables des partis politiques représentés au Parlement et des associations d’élus locaux.
39 contributions me sont parvenues, je veux en remercier leurs auteurs, en particulier la vôtre Monsieur le Président, qui était assortie de nombreuses suggestions opérationnelles. Une assez large majorité de ces contributions – 25 pour être précis - a exprimé une position favorable au maintien des dates prévues. 11 n’ont pas pris position tandis que 3 étaient favorables au report.
Certaines, je dois le dire, la plupart, de ces contributions en sont restées à une position de principe, d’autres ont souligné les difficultés qui pouvaient se poser, quelques-unes étaient accompagnées de propositions de nature à y remédier.
L’importance du sujet et les conditions précises fixées par le conseil scientifique m’ont par ailleurs convaincu de procéder à une consultation directe des maires. Cette initiative, je l’ai constaté, en a étonné certains. Je voudrais vous dire que je trouve étonnant, précisément, que l’on puisse s’étonner d’une telle consultation, dans la mesure où le principal effort et la responsabilité de l’organisation de ces deux scrutins pèsera nécessairement sur les maires. Aussi, je tiens devant vous à les remercier, ici dans cette assemblée dont ils sont les grands électeurs, d’avoir parfaitement saisi l’importance de l’enjeu, puisque 69 % d’entre eux, c’est l’un des taux les plus élevés pour ce type de concertations, ont répondu et ce dans des délais très courts.
J’ai en effet décidé, mesdames et messieurs les sénateurs, de cette consultation après le retour de leurs associations représentatives, afin d’en compléter les aspects organisationnels, mais je voulais avoir ces retours avant la tenue des débats au Parlement, que j’avais annoncé, sur le fondement de l’article 50-1, dont le premier était programmé hier à l’Assemblée nationale.
Je veux remercier les maires pour leur réactivité et la qualité de leurs réponses, qui évidemment ne surprendront personne ici, tant ces élus montrent depuis le début de cette crise leur disponibilité et leur engagement en tous points exemplaires, au service de notre pays.
Leurs préconisations, leurs très nombreuses contributions, comme les interrogations qu’ils ont soulevées enrichissent considérablement l’information tant du Gouvernement que du Parlement dans le cadre du présent débat. Ce n’est pas surprenant puisqu’elles émanent de celles et de ceux dont c’est précisément la responsabilité que d’assurer l’organisation matérielle des opérations de vote.
D’autant que les élus municipaux interviennent dans le processus électoral comme agents de l’Etat. L’Etat manquerait donc de loyauté à l’endroit des maires s’il ne les associait pas à une décision qui les concerne au premier chef. Et surtout, au vu de leurs légitimes inquiétudes, s’il ne les accompagnait pas au plus près dans l’organisation de ces opérations, dans le contexte très particulier que nous connaissons.
Contrairement à ce que certains commentaires ont parfois laissé entendre, je le dis de manière très solennelle, cette consultation n’était dirigée contre personne, et certainement pas contre les associations d’élus pour lesquelles j’ai le plus grand respect. Je sais d’ailleurs que le Sénat lui-même a pour habitude – et cela me semble bien normal – de consulter directement les élus locaux et que d’ailleurs deux consultations de ce type sont actuellement en cours. C’est une bonne méthode.
Il s’agissait tout simplement, je vous le redis, de compléter utilement les réponses des associations d’élus en donnant une dimension très concrète et très opérationnelle aux questions de principe soulevées à bon droit par les contributions des grandes associations d’élus.
Vous connaissez le résultat de cette consultation : 56 % des maires se sont prononcés en faveur du maintien, 40 % pour le report et 4 % n’ont pas souhaité prendre position. Ces résultats montrent à eux seuls combien le sujet est complexe, plus complexe que ce que je peux entendre ici ou là et combien était nécessaire cette consultation pour comprendre les ressorts et les motivations et des inquiétudes qui se sont exprimées.
Voilà pour la méthode. J’en viens enfin au rendez-vous que je vous avais proposé et qui nous réunit aujourd’hui sous la forme de ce débat, au titre de l’article 50-1 de la constitution, et du vote qui le conclura.
Car il faut qu’en toute transparence chacun puisse s’exprimer et s’engager, au regard des enjeux qui sont sur la table, puisqu’il s’agit de concilier deux principes de portée constitutionnelle : la liberté du suffrage et la protection sanitaire de nos concitoyens.
Ce débat et ce vote, je vous propose donc de l’organiser sur la proposition, qui vient confirmer l’orientation dont je vous avais déjà fait part, de maintenir à juin les élections régionales et départementales et d’assortir ce maintien de conditions très précises, tenant à la campagne comme au vote, que je vais développer devant vous dans un instant. Cette position est celle qui apparait au Gouvernement comme prenant le mieux en compte à la fois l’avis du Conseil scientifique du 29 mars dernier et le résultat de l’ensemble des consultations que nous avons conduites depuis lors et que je viens de vous rappeler.
S’agissant en premier lieu de la campagne électorale, celle-ci devra donc être adaptée.
Comme le rappelle le Conseil scientifique, c’est elle qui demeure et qui est de nature à entrainer une multiplication des occasions de contacts physiques, et donc d’accroître les risques sanitaires.
Cette campagne sera donc différente, et du reste, la totalité des forces politiques consultées en convient. Nous allons donc encourager l’usage des outils de campagne dématérialisés:
- le ministère de l’Intérieur mettra en place, comme pour les dernières municipales, un site internet permettant aux électeurs de disposer de l’ensemble des professions de foi des candidats aux deux élections ;
- un débat télévisé, qui sera aussi diffusé à la radio, sera organisé entre les candidats des régionales avant chacun des deux tours des élections.
Le Gouvernement lancera une grande campagne de sensibilisation au vote ainsi qu’une campagne d’information sur les compétences des conseils régionaux et départementaux.
Le Conseil scientifique recommande par ailleurs l’interdiction des meetings physiques et des réunions publiques, à l’intérieur comme à l’extérieur. Dans la période de restrictions sanitaires que nous connaissons actuellement, une telle règle me paraît justifiée. Je souhaite toutefois qu’elle puisse être réévaluée, dès que l’amélioration de la situation sanitaire nous permettra d’envisager la reprise progressive de certaines activités et l’ouverture de certains établissements recevant du public. Nous serons amenés à présenter dans les prochaines semaines nos différents scénarii sur la sortie des mesures de restriction en cours. Il est raisonnable, en tout cas j’en forme le voeu, de penser que d’ici au 1er tour des élections, la levée de ces restrictions se traduira pour les candidats par de nouvelles possibilités de faire campagne.
D’autre part, les règles qui encadrent les déplacements au-delà des 10 kilomètres autour du domicile constituent évidemment un obstacle à la liberté de déplacement des candidats et de leurs équipes de campagne. Ces règles seront aménagées sans délai afin d’autoriser les déplacements des candidats dans le ressort de la circonscription électorale, ainsi que des militants qui les accompagnent, sur la base d’une attestation du candidat ou, à défaut, de son mandataire financier.
Pour prendre en compte l’allongement de la campagne, nous allons, comme pour les municipales de juin 2020, augmenter la durée des prêts accordés par les personnes physiques.
D’autres questions très concrètes se posent sur la distribution des tracts dans les boites aux lettres, le collage des affiches, le porte-à-porte, qui appellent des réponses précises sur les conditions strictement encadrées dans lesquelles ces pratiques seront possibles. Le ministre de l’Intérieur publiera une circulaire sur ces sujets d’ici la fin de la semaine.
S’agissant du déroulement du scrutin lui-même, il nous appartient de prendre toute disposition utile à l’effet d’assurer la sécurité sanitaire des personnes concourant aux opérations de vote et, plus généralement, de tous les électeurs.
Comme pour le second tour des municipales de juin dernier, un protocole sanitaire sera mis en place de façon à garantir le respect des gestes barrières et la sécurité sanitaire dans les bureaux de vote.
Le recours au vote par procuration sera à nouveau facilité : la loi du 22 février 2021 offre à chaque électeur la possibilité de disposer de deux procurations et le dispositif « MaProcuration.gouv.fr », dont vous aviez souhaité la mise en place, a été créé par le décret du 11 mars dernier. Il permet d’établir une procuration de façon presque totalement dématérialisée.
Le Conseil scientifique recommande la vaccination ou, à défaut, le dépistage de l’ensemble des membres des bureaux de vote. Cette préconisation, et de nombreux maires nous l’ont fait savoir, peut paraître difficile à mettre en oeuvre, notamment dans les petites communes mais pas seulement, où, bien souvent, les membres des bureaux de vote ne sont identifiés que quelques jours – voire quelques heures – avant le scrutin.
Rappelons d’abord qu’à la mi-juin, environ 30 millions, soit une grande partie, de nos concitoyens, auront pu bénéficier d’au moins une première injection. Certes, tous n’auront pas eu leur rappel, tous n’auront pas été forcément vaccinés depuis 10 jours – délai indiqué pour que le vaccin soit protecteur – mais cela signifie que plus de la moitié – et nous espérons faire mieux - des personnes de plus de 18 ans sera protégée.
C’est pourquoi le Gouvernement propose de mettre en place un dispositif spécifique : trois semaines avant le premier tour, les communes seront invitées à faire connaître la liste des personnes non vaccinées membres des bureaux de vote et fonctionnaires mobilisés le jour du scrutin afin qu’une vaccination puisse leur être proposée.
Le conseil scientifique, je le disais, prévoit par ailleurs qu’à défaut de vaccin, les membres des bureaux de vote devront réaliser un test.
Il pourra s’agir d’un test PCR ou d’un test antigénique réalisé dans les 48 heures précédentes. Il pourra aussi s’agir d’un autotest réalisé juste avant, et l’Etat dotera à cet effet les communes de lots d’autotests leur permettant de tester, le jour du scrutin, tous les participants aux opérations de vote qui n’auraient pas eu d’autres solutions.
Afin de limiter les concentrations de flux d’électeurs, et comme de nombreuses forces politiques l’ont proposé, les préfets seront invités à étendre les horaires des bureaux de vote, de 8h à 20h, dans toutes les communes où, après échange avec les maires, cela semblera pertinent.
Dans les communes, et elles sont nombreuses, où les deux bureaux de vote relatif à chaque scrutin sont installés dans une même salle, des mesures seront prises pour préciser les textes relatifs à la mutualisation des équipements et de certaines fonctions des membres des bureaux de votes.
Afin de limiter le nombre de personnes mobilisées par les opérations de dépouillement, celles-ci pourront se faire soit simultanément mais dans deux salles distinctes ou dans une salle suffisamment grande pour permettre de le faire dans de bonnes conditions de sécurité sanitaire. Les dépouillements pourront aussi avoir lieu l’un après l’autre, dans une même salle, avec les mêmes personnes.
Nous autoriserons d’ailleurs les membres du bureau de vote et les assesseurs, à participer au dépouillement si cela s’avérait nécessaire. Vous savez tous que ce n’est pas actuellement autorisé par la législation.
De même, nous examinerons la possibilité d’autoriser que ces opérations puissent se faire à l’extérieur sous certaines conditions, par exemple dans la cour ou sous le préau de l’école.
De nombreuses inquiétudes émanent des maires de communes de taille modeste et on peut évidemment les comprendre. C’est la raison pour laquelle les préfets et les sous-préfets seront chargés de les accompagner de manière individualisée dans la préparation et l’organisation des scrutins. L’Etat ne laissera pas des maires de petites communes livrés à eux-mêmes et c’est la raison pour laquelle cet accompagnement préfectoral débutera très prochainement, afin d’identifier le plus précocement possible les difficultés prévisibles et d’y apporter les solutions adaptées.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je le disais, un certain nombre de mesures que je viens de vous présenter relèvent de la loi. Les dispositions correspondantes seront intégrées à un projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire qui sera présenté d’ici la fin de ce mois en Conseil des ministres.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Sénat, voici donc le cadre général que je soumets à votre approbation. Sa déclinaison opérationnelle va supposer des actes juridiques et matériels nombreux et importants, à adopter pour certains d’entre eux dans des délais très rapprochés. C’est un défi !
Nous devrons en effet être en mesure de répondre à de nombreuses conditions, adopter de nouvelles dispositions législatives et réglementaires, déployer des moyens d’information novateurs et inédits, accompagner les mairies dans l’organisation matérielle du scrutin, et enfin, et c’est évidemment très important, compter sur le bon avancement de la campagne de vaccination.
Les semaines qui nous séparent du scrutin ne seront pas de trop pour relever ce défi collectif. C’est pourquoi, pour nous donner le temps utile, nous avons décidé de décaler d’une semaine supplémentaire les dates des élections. Une semaine de plus, cela représente entre 2 et 3 millions d’électeurs vaccinés supplémentaires. Hier, par exemple, la France a vacciné plus de 450 000 personnes. 450 000 personnes multipliées par 7, ce n‘est pas négligeable. Un décret en conseil des ministres interviendra dès la semaine prochaine pour fixer les élections aux 20 et 27 juin au lieu des 13 et 20 juin.
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Je viens donc cet après-midi devant vous solliciter l’approbation de la Haute Assemblée sur la stratégie que je viens de vous soumettre et sur ses modalités opératoires. Mais je viens aussi vous proposer de vous associer au plus près à sa mise en oeuvre d’ici la tenue des scrutins.
A cet effet, un comité de suivi permanent, présidé par Jean-Denis Combrexelle, ancien président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, et animé par le ministère de l’Intérieur sera constitué. Il associera les représentants des partis politiques représentés au Parlement, les groupes parlementaires et les associations d’élus. Il examinera au fil de l’eau toutes les questions juridiques et organisationnelles de la campagne et du scrutin.
J’ajoute, pour votre complète information, qu’un préfet sera désigné par le ministre, pour piloter les sujets à caractère logistique, en vue de venir en soutien des maires dans l’organisation du scrutin, y compris au regard des enjeux liés au dépistage et à la vaccination.
Le ministre de l’Intérieur, dont je veux saluer devant vous l’implication à mes côtés, sera chargé au nom du Gouvernement de mettre en oeuvre l’ensemble des orientations que je viens de vous exposer, orientations mesdames et messieurs les sénateurs, sur lesquelles j’ai l’honneur de vous demander de débattre avant de bien vouloir vous déterminer sur leur bien-fondé.
Je vous remercie.

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