Discours du Premier ministre devant le conseil de la collectivité européenne d’Alsace

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Jean Castex.

Publié 23/01/2021

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs les conseillers d’Alsace,
C’est avec un plaisir sincère et non feint que je me présente devant vous ce matin, dans ce bel hémicycle colmarien pour appuyer comme il se doit la récente installation de la nouvelle Collectivité européenne d’Alsace, qui a vu le jour le 1er janvier dernier.
Car l’évènement n’est pas, pour le Gouvernement de la République, anodin. Au-delà de la structure, qui représente certes une simplification de notre organisation administrative, c’est surtout le symbole, fruit de notre volonté commune, que je suis venu ce matin saluer. C’est un moment important pour tous les Alsaciens, puisqu’il marque la renaissance de l’Alsace en tant qu’entité politique au sein de nos institutions.
La France est une et indivisible et cela, nul ne le conteste, encore moins les Alsaciens, qui n’ont eu de cesse de manifester leur indéfectible attachement à la France, maintes fois exprimé au cours des derniers siècles. Car l’Alsace n’est pas devenue une province française par le seul fait des traités de Westphalie en 1648, elle l’est devenue en connaissance de cause, par adhésion, et après réflexion. C’est ce que rappelait avec finesse Fustel de Coulanges en 1870 dans sa célèbre controverse avec l’historien allemand Mommsen : « Mes yeux et mes oreilles me disent que son coeur est Français », écrivait-il en parlant de l’Alsace. Et, au gré des soubresauts de l’histoire, les Alsaciens ont constamment et vaillamment exprimé cet attachement. Durant la période révolutionnaire, sous l’égide du maire Dietrich qui fut le premier à entonner à Strasbourg la Marseillaise composée par Rouget de Lisle ; en 1870, avec la résistance héroïque de la population strasbourgeoise ; en 1919, encore, lorsque Poincaré et Clémenceau furent accueillis en Alsace par une foule enthousiaste, le même enthousiasme qu’elle réserva à de Lattre en 1944. Dois-je vous cacher l’émotion que j’ai ressentie à Faya Largeau, au Tchad où je me trouvais au milieu des soldats français le 1er janvier dernier ? Faya Largeau, point de départ du commandant Leclerc qui prit Koufra d’où il prononça son serment de libérer la cathédrale de Strasbourg.
Strasbourg, depuis longtemps symbole d’une Alsace qui ancre la France dans l’Europe, où bat le coeur démocratique de l’Europe avec le Parlement européen, la Cour Européenne des Droits de l’Homme et le Conseil de l’Europe, la plus ancienne et la plus large organisation intergouvernementale européenne. Les annulations successives de plusieurs sessions parlementaires à Strasbourg ont suscité des doutes et de l’incompréhension. L’affirmation et la consolidation du statut de capitale européenne de Strasbourg, en plus d’être un symbole de la réconciliation européenne, est un sujet d’intérêt national. Je veux être très clair, ce Gouvernement est mobilisé sans faille, dans un dialogue permanent et riche avec les élus locaux, conduit par le secrétaire d’État aux affaires européennes Clément Beaune, présent aujourd’hui à mes côtés. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire savoir à plusieurs reprises au Président du Parlement européen, nous ne céderons rien. Le Président de la République viendra prochainement, et pour la deuxième fois, signer le contrat triennal pour marquer l’engagement au plus haut niveau de l’État dans ce combat.
Mais la France, l’histoire de la France, la force de la France, ce sont aussi ses territoires, avec leurs identités, leur diversité, leurs singularités. Et ces territoires, ils comptent, j’affirme ici qu’ils veulent dire beaucoup pour les gens qui y vivent et qui en sont issus. Les identités locales, c’est ce qui perdure, c’est ce qui rassemble, c’est ce qui fournit des repères. C’est pourquoi nous devons les respecter. C’est pourquoi nous commettrions une faute lourde en les rayant d’un trait de plume.
Et c’est un occitan qui vous le dit ! Ces identités se nourrissent de nos paysages – vos monts vosgiens couronnés de châteaux médiévaux ne sont pas mes Pyrénées catalanes, de références partagées – les dessins de Hansi ici, Cyrano en Gascogne, ou encore d’accents – nous n’avons pas exactement le même, vous l’aurez remarqué. C’est cette diversité, ces mélanges, qui font la richesse de notre pays.
L’Alsace, j’ai eu la chance d’y vivre plusieurs années il y a maintenant presque 20 ans et d’y exercer en tant que président de la chambre régionale des comptes. Ce sont aussi les grandes figures qui ont marqué son histoire. Permettez-moi d’avoir en ces murs une pensée pour ces hommes d’Alsace que j’ai eu la chance de côtoyer et dont l’amitié dont ils m’ont honoré et les enseignements qu’ils m’ont prodigués continuent à profondément me marquer. Huber Haenel d’abord, ici dans le Haut-Rhin qu’il représentait au Sénat, Adrien Zeller, ancien président du conseil régional. Deux hommes d’exception, attachés aux valeurs sociales et humanistes de l’Alsace, sont, je le sais, des sources d’inspiration pour beaucoup d’entre vous. Ils ont beaucoup compté pour moi. Comme a compté le Président Daniel Hoefel, dont je salue la présence dans cet hémicycle et auquel je suis heureux de souhaiter un très bel anniversaire.
Cette identité locale, il était illusoire, et même vexatoire, de penser possible de l’effacer de notre organisation institutionnelle. C’est pourquoi la réforme de 2015 a été fort légitimement très mal vécue ici. Pour la même raison qui conduisit à l’échec de la tentative malheureuse d’Edouard Herriot, en 1924, d’en finir avec le particularisme concordataire. En 2015 comme en 1924, quelle profonde méconnaissance de la réalité alsacienne. Au-delà de l’Alsace, je voudrais vous faire une confidence personnelle : je n’ai jamais été convaincu par la création de ces immenses régions, dont certaines ne répondent à aucune légitimité historique et surtout ne me paraissent pas répondre aux besoins grandissants de nos concitoyens pour une action publique de proximité.
Le désir de retrouver une Alsace reconnue, que vous avez unanimement et continument exprimé depuis 2015 ne constitue ni une lubie folklorique, ni une menace à l’unité de la républicaine comme on l’a parfois, malheureusement, entendu. C’est tout simplement une volonté légitime d’un territoire et d’une population d’être reconnue et respectée. Cela, le Président de la République l’a entendu et l’a compris dès 2017 en ouvrant la voie à une adaptation du cadre institutionnel. Cette volonté s’est rapidement concrétisée. En effet, il ne s’est écoulé qu’un peu plus de deux ans entre la remise du rapport Marx et l’installation de la CeA.
Durant ces deux dernières années, Jacqueline Gourault, dont je salue la présence à mes côtés, a su créer un cadre de dialogue et de confiance avec l’ensemble des élus et forces vives qui a abouti à la déclaration commune de Matignon du 29 octobre 2018, qui a entériné le principe du regroupement des deux conseils départementaux. Cette démarche a ensuite été enrichie par le travail des parlementaires et permis d’aboutir à la loi du 3 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace qui, elle-même, a été complétée par les ordonnances du 28 octobre dernier. En acceptant de donner à ce profond « désir d’Alsace » une traduction organique, le Chef de l’État, le Gouvernement et la majorité présidentielle ont prouvé qu’ils étaient à l’écoute des Alsaciens et de leurs élus. C’est le même esprit qui a guidé ma décision de recréer la commission du droit local, à laquelle vos parlementaires ont exprimé vigoureusement un légitime attachement.
Je tiens à saluer la qualité du travail fourni par toutes les parties prenantes, à commencer par les élus, et en particulier les présidents des ex-conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Frédéric Bierry, bien sûr, que vous avez porté à la présidence de la CeA. Chacun connait, cher Frédéric, votre engagement d’élu local et l’authenticité de vos convictions, que vous avez toujours défendues avec un sens de la concertation exemplaire.
Mais aussi, bien évidemment la ministre Brigitte Klinkert dont je sais le rôle dans la création de la CeA. Madame la Ministre, chère Brigitte, quand je vous ai proposé de rejoindre l’équipe gouvernementale, je savais que je faisais entrer une femme de conviction avec des compétences élevées en matière de solidarité et d’insertion, nourries par une grande expérience d’élue locale.
Je savais aussi que je faisais entrer l’Alsace dans mon Gouvernement. Je veux dire ici, devant cette assemblée réunie, combien je me félicite de ce choix. Rémy With, qui a pris votre succession à la tête du conseil départemental du Haut-Rhin, a poursuivi les efforts que vous aviez engagés.
Pour autant, je sais que cela n’a pas toujours été simple. Que vous avez su passer outre les difficultés et les méfiances réciproques, tirer les leçons du référendum de 2013. Que ce soit sur la question du siège ou de la gouvernance, vous êtes parvenus à des équilibres qui permettent aujourd’hui d’avancer. Dans cette recherche de consensus, l’État a pris toute sa part, en garantissant très tôt que les circonscriptions administratives de l’État resteraient inchangées, que nous conservons bien deux préfectures, une à Strasbourg, l’autre ici à Colmar. Je sais que d’autres collectivités ont parfois pu montrer moins d’empressement et de diligence à favoriser ce rapprochement. Par notre intelligence collective, nous avons pu adapter, différencier, faire du cousu-main et confier à la CeA, au-delà des compétences de droit commun des départements, des compétences propres.
Vous l’avez dit, Monsieur le Président, la création de la Collectivité européenne d’Alsace est tout à la fois un aboutissement et un commencement. L’enjeu désormais, c’est d’installer cet ensemble dans le quotidien de votre territoire, d’en démontrer la plus-value.
Pour cela, de nouveaux champs d’action s’ouvrent à vous, grâces aux compétences nouvelles dont vous êtes dotés et qui répondent aux spécificités locales.
La première de ces spécificités, et l’on sait combien elle a marqué l’histoire, c’est d’être une terre frontalière. Vous avez maintenant un rôle de chef de file et de pilote pour la coopération transfrontalière dans cette région du Rhin supérieur. La crise sanitaire nous a permis de mesurer la solidité des liens de solidarité dans la région rhénane, avec les transferts de patients vers l’Allemagne et la Suisse alors que l’Alsace était touchée de plein fouet par la première vague, ce qui me permet d’avoir une pensée très émue pour tous les morts, les malades et leurs proches ainsi que tous les personnels de santé qui ont fait, en Alsace comme dans le reste du pays, monte d’une abnégation sans limite. Il faudra aller plus loin, et l’Etat se tient à vos côtés, pour tendre vers un espace encore plus intégré, ce que permettront la renaissance de lignes ferroviaires comme Colmar-Freibourg et Haguenau-Rastatt.
La CeA vous permettra également de mettre en valeur vos considérables atouts touristiques et patrimoniaux puisqu’elle coordonnera l'action des collectivités territoriales et de leurs établissements publics dans ce domaine.
Je ne peux énumérer toutes vos compétences, tant votre champ d’action, sur la base du socle des attributions départementales, est vaste. Investissez, monsieur le président, mesdames messieurs les conseillères et conseillers d’Alsace, ces missions essentielles. Administrez la preuve concrète de l’utilité de cette nouvelle collectivité pour tous les habitants de ce magnifique territoire. Le temps est désormais à l’action, pour que ces nouvelles compétences se traduisent en réalisations visibles au service de nos concitoyens. Pour vous accompagner et contrer les effets de la crise, je demande à la préfète de région d’entamer sans délai avec vous la négociation d’un accord de relance, qui permettra de co-financer, avec l’État des projets pourvoyeurs d’activité et d’emplois pour les deux années à venir. Une fois cette étape franchie, je suis favorable à ce que nous allions plus loin et que nous élargissions les compétences de la collectivité européenne d’Alsace, dans le cadre d’un dialogue riche et approfondi avec l’ensemble des parties prenantes.
Monsieur le Président, mesdames et messieurs, une nouvelle page s’ouvre pour Alsace. C’est aux Alsaciens de l’écrire. À l’heure où notre pays est frappé par une crise sanitaire qui s’éternise, par une crise économique et sociale aux effets souvent dramatiques, alors que l’Alsace n’est épargnée ni par l’une ni par l’autre, c’est dans l’unité et le rassemblement, comme ceux que nous scellons aujourd’hui, que se trouvent les ressorts du sursaut. Je sais pouvoir compter sur le courage, le dynamisme et le sens du devoir de l’Alsace et des Alsaciens. Ils savent – et vous savez – pouvoir compter sur moi et sur le Gouvernement de la République.
Vive la République, vive la France.

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