Discours à l'occasion du 5ème Conseil national de l’industrie

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 15/11/2019

Seul le prononcé fait foi
Monsieur le président, cher Renaud,
Mesdames et messieurs les ministres,
Cher Philippe Varin,
Chers amis,
C’est bien connu, à Marseille, on aime le « Canard ». Je ne fais pas référence au volatile, ni à un célèbre journal, mais au premier hydravion que l’on doit à l’ingéniosité, à la ténacité aussi, de l’ingénieur marseillais, Henri Fabre. Les spécialistes de l’histoire de l’aéronautique me corrigeront si je me trompe, mais on raconte que si Henri Fabre l’a emporté sur ses concurrents – il n’était pas le seul dans le monde au début du 20è siècle à vouloir mettre au point cette invention – ce n’est pas parce qu’il était plus riche ou mieux entouré ; c’est parce qu’il avait su faire les bons choix techniques au bon moment. Et qu’il avait à la fois une vision de l’avenir et le sens du timing.
Si j’évoque la figure d’Henri Fabre et de son hydravion, c’est qu’il reflète assez bien la thématique de cette deuxième édition de « l’Usine extraordinaire » qui se déroule « entre ciel, terre et mer ». Il reflète aussi le lieu dans lequel nous nous trouvons. Henri Fabre, qui était issu d’une vieille famille d’armateurs, incarne enfin la tradition industrielle et commerciale de Marseille. Une industrie qui a su s’adapter, sur terre – avec le réacteur de Cadarache – dans les airs – avec la production d’hélicoptères à Marignane – et dans les mers, aux enjeux industriels de notre temps. Et la formidable mobilisation de la ville, de la région, de ses entreprises et de ses élus pour accueillir cette 2è édition, montre à quel point Marseille est prête à se battre pour son avenir industriel.
Il y a deux ans, nous avons engagé avec les filières du CNI et son vice-président, Philippe Varin, une vaste stratégie de reconquête industrielle. Parce que sans industrie, il n’y a pas de puissance. Ni de souveraineté. Fabriquer, c’est maîtriser son destin. Nous avons engagé cette stratégie – qui s’apparente presque à une révolte – parce que l’industrie, ce sont des dizaines de milliers d’emplois locaux. Et qu’en tant qu’ancien maire d’une ville industrielle, je ne peux imaginer la France sans usines ; comme je ne peux imaginer nos villes, nos villages, sans ouvriers. Parce que je sais aussi que la fermeture d’une usine, c’est toujours un drame. Et qu’inversement, l’implantation d’une usine, c’est un espoir qui renaît. Voilà l’enjeu.
Dans ce domaine, je ne ferai jamais assez bien, ni jamais assez vite. Durant des décennies, la France a perdu trop d’usines ; elle a détruit trop d’emplois. Quelle est la situation aujourd’hui ?
L’industrie recrée de l’emploi dans notre pays. 27 000 emplois nets depuis 2017. Et la France se classe au 1er rang des pays de la zone euro dans le domaine de l’attractivité industrielle. Nous l’avons montré une nouvelle fois ce matin, avec le choix d’implantation par Ceva Logistics de son siège mondial à Marseille, dans un secteur – la logistique – où il est crucial d’avoir des centres de décisions mondiaux.
Vous le savez aussi, dans l’industrie, comme ailleurs, il n’y a pas de positions acquises. En particulier dans le monde dans lequel nous vivons. Il n’y a que des positions à gagner ou à défendre.
Notre ambition est de faire de la France une grande puissance industrielle du 21è siècle. On ne tiendra pas cet objectif en utilisant des modes de production et des énergies du siècle dernier. On le tiendra en ayant recours aux matériaux, aux modes de production et aux énergies de demain qui ont en commun, d’être tous durables.
Pour organiser cette transition, pour réindustrialiser notre pays, le président de la République nous a demandé de préparer une stratégie collective à l’horizon 2025. C’est le sens du Pacte productif : je remercie à cet égard, le Conseil national de l’industrie, de s’en être emparé très tôt et d’avoir fait des propositions. Je veux aussi remercier Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher qui, durant ces six derniers mois, ont bâti les contours de ce pacte.
J’ai bien dit « Pacte ». Non « plan ». Le succès sera collectif ou ne sera pas. L’Etat prendra ses responsabilités pour aider, soutenir ou orienter. Mais il y a un certain nombre de choses qui relèvent des filières, des entreprises, des collectivités et bien-sûr des partenaires sociaux. Ce pacte comprend se fonde donc sur des engagements réciproques. Nous les avons organisés autour de 4 thèmes. Permettez-moi d’en dire quelques mots et de préciser ce que l’Etat est prêt à faire de son côté.
Le premier thème d’engagement concerne la transition écologique.
Nous avons fixé un objectif de zéro émission nette de CO² en 2050. Cet objectif est crédible. Il est atteignable. Il est surtout à la mesure des attentes de nos concitoyens – immenses. Reste à construire la trajectoire pour y parvenir. Nous avons ainsi souhaité avec Philippe Varin :
Que les filières industrielles élaborent des feuilles de route pour y parvenir avec des points de passage en 2025 et 2030.
Nous avons demandé à 8 filières, celles dont les procédés et les usages contribuent le plus aux émissions de CO², de préparer d’ici la fin de l’année des plans d’action approfondis. L’idée n’est pas de les stigmatiser, mais de les encourager à amorcer un vrai virage. Et de se donner, filière par filière, un maximum de visibilité pour programmer les investissements.
Pour les aider, nous présenterons début 2020, un dispositif fiscal qui récompensera les investissements vertueux de transition écologique. Je souhaite que les industriels qui s’engagent dans la transition écologique puissent être incités à passer aux actes, en soutenant leurs projets, soit par un suramortissement, soit par une réduction directe de fiscalité de production. J’ai demandé à Bruno Le Maire de conduire une concertation avec les acteurs pour en définir les modalités les plus efficaces.
Un mot du cas particulier des industries dites « électro-intensives » comme celles du papier, du chlore, de l’acier, du ciment ou de l’aluminium. Ces industries représentent environ 80 000 emplois. Elles ont aussi une dimension stratégique. C’est pourquoi nous souhaitons leur donner la visibilité nécessaire pour leurs investissements, en préservant des dispositifs de soutien efficaces. Et nous accompagnerons leurs discussions avec leurs fournisseurs d’électricité, notamment pour que, comme les autres consommateurs français, elles bénéficient de cet atout historique que constitue le nucléaire.
Enfin, le président de la République l’a dit : nous voulons que l’Europe se dote rapidement d’un mécanisme aux frontières permettant d’éviter l’importation de produits à forte teneur en carbone qu’on ne pourrait plus produire en Europe. C’est une question à la fois d’équité, mais aussi de cohérence.
Le deuxième thème d’engagement, c’est l’innovation.
La France est une grande nation d’innovation. L’enjeu, comme je le rappelais tout à l’heure avec l’hydravion d’Henri Fabre, c’est de faire les bons choix technologiques. Au bon moment.
Pour y parvenir, nous voulons identifier les futurs marchés-clés. Mais l’Etat ne peut pas les identifier seul. C’est pourquoi, nous avons confié le soin à Benoît POTTIER et aux personnalités qualifiées du Conseil de l’innovation, que je veux ici remercier, de dresser une première liste d’ici la mi-décembre.
Ceux-ci devront répondre à des priorités de nature « sociétale » comme par exemple : mieux se soigner, mieux se nourrir. Je souhaite en particulier que nous construisons un plan de développement des industries vertes. Ces marchés devront avoir des effets d’entraînement sur toute l’économie. C’est le cas par exemple de l’hydrogène, du recyclage ou encore des machines intelligentes dont j’encourage la structuration en filière. Une fois que nous aurons établi cette liste, nous demanderons aux filières de s’engager sur des projets concrets. Des projets que nous soutiendrons.
Que ce soit dans le cadre des « grands défis » du Fonds pour l’innovation et l’industrie ; ou dans le cadre des grands projets européens – comme nous l’avons fait par exemple dans les domaines de la nanoélectronique ou des batteries.
Nous les soutiendrons également en préparant, d’ici le printemps prochain, un nouveau programme d’investissement pour succéder au PIA 3.
Nous les accompagnerons, comme le président de la République l’a fait lors du dernier France digitale Day en septembre, en mobilisant les grands investisseurs institutionnels.
Autre levier : le levier réglementaire. C’est l’objet du nouvel appel à projets « France expérimentation » que nous lançons aujourd’hui et jusqu’au mois de mars. Je rappelle que 50% des demandes d’expérimentations qui ont été déposées lors de l’appel de 2018, ont connu une issue favorable. C’est autant de projets qui ont pu voir le jour grâce à l’allègement de la réglementation.
Nous les soutiendrons enfin dans le cadre des plateformes d’accélération vers l’industrie du futur : nous lançons aujourd’hui l’appel à projets pour les sélectionner. Il est doté de 50 M€.
Enfin, on ne pourra pas innover de manière durable, sans une recherche forte ; ce terreau particulièrement fertile dans lequel notre économie peut se ressourcer. La recherche est un facteur essentiel de notre développement économique. C’est aussi une composante majeure de notre réponse aux grands défis sociétaux. C’est pourquoi, j’ai annoncé le lancement d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour redonner du temps, des moyens et de la visibilité au monde de la recherche. Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation prépare, avec les acteurs de la recherche, les grandes orientations de cette Loi. Elle sera votée en 2020 et mise en œuvre dès 2021.
Le troisième thème d’engagement concerne les territoires.
J’ai rappelé tout à l’heure l’importance d’avoir une industrie forte pour nos territoires. Et je salue à cet égard, cher Renaud, l’engagement des régions et des collectivités pour faire de ce pacte productif, une réussite pour tous.
Vous le savez : nous avons engagé une vaste transformation de notre gouvernance et de notre organisation territoriale, pour laisser davantage de place à l’action des Régions dans le domaine du développement économique. Je n’y reviens pas.
Et nous souhaitons poursuivre cette politique de décentralisation. Nous avons commencé avec les Territoires d’industrie. La dynamique de cette initiative pilotée par les Régions est très positive. Demain, 8 territoires d’industrie seront signés dans la région Sud. 97 territoires devraient avoir finalisé leur plan d’action d’ici la fin de l’année. Je voudrais qu’on avance en 2020, sur quelques priorités nouvelles avec les Régions. La première concerne l’élaboration d’un vrai plan solide pour numériser nos TPE-PME. La deuxième priorité, c’est la décentralisation des décisions sur les projets des pôles de compétitivité. Enfin, je voudrais que nous bâtissions une méthode partagée entre l’Etat et les régions pour accompagner les entreprises en difficultés. Je sais que les régions ont des idées sur ces sujets. Nous allons nous engager sur ces chantiers ensemble.
Nous voulons enfin réfléchir à l’avenir de la fiscalité sur la production pour améliorer la compétitivité de nos territoires. Nous en parlons depuis un certain temps et nous partageons, je crois, le même diagnostic. Cette fiscalité bénéficie parfois à l’Etat. Mais elle bénéficie surtout aux différents niveaux de collectivités. Donc, pour la baisser, chaque niveau doit faire sa part du chemin. En ce qui concerne la C3S, l’Etat est prêt à y travailler. S’agissant de la CVAE, nous sommes prêts, cher Renaud, à confier un nouveau pouvoir fiscal aux régions pour qu’elles puissent la réduire dans le cadre de leur stratégie de développement économique. Je sais qu’il y a encore des réticences au sein des Régions à l’égard de ce pouvoir fiscal accru. Il me paraît important de poursuivre le dialogue pour définir les conditions et le calendrier qui permettront d’avancer ensemble. S’agissant enfin de la CFE, son dynamisme devrait être à l’avenir plus modéré grâce aux nouvelles règles de mise à jour permanente des bases après la révision des valeurs locatives. Mais au-delà, je souhaiterais que nous nous accordions sur une méthode de calcul de la CFE qui ne pénalise pas les locaux industriels, notamment ceux qu’emploient l’industrie manufacturière et le secteur logistique.
Le dernier thème d’engagements, ce sont les compétences.
Avec deux enjeux majeurs. Le premier c’est celui de la concomitance d’un chômage élevé et d’un nombre d’emplois vacants importants. Le second enjeu c’est celui de l’évolution des compétences dans un contexte de très forte accélération technologique.
Pour y parvenir, nous devons construire ce que les entreprises appelleraient une « gestion prévisionnelle des emplois et compétences », au niveau national et région par région. Chacun doit s’engager à cela : entreprises, partenaires sociaux, collectivités. Cela implique notamment de définir clairement les besoins à moyen terme en anticipant les dynamiques économiques et démographiques. C’est l’objet de l’étude « Prospective des métiers et des qualifications (PMQ) » que nous remettrons France Stratégie et la DARES d’ici fin décembre.
Cela implique aussi de mobiliser la formation initiale et continue en alignant notre offre de formation avec notre ambition économique de 2025 et en profitant des transformations que nous avons engagées. J’y reviendrai cet après-midi à Sainte-Tulle. En juin 2019, notre pays comptait notamment 458 000 jeunes en apprentissage, un chiffre jamais atteint dans notre histoire. Autre exemple intéressant celui du volontariat territorial en entreprise que nous avons lancé il y a an et qui accueille, au moment où je vous parle, ses premiers jeunes. Voilà des atouts à mobiliser.
On peut raisonnablement envisager à terme, de diviser par deux le nombre d’emplois non pourvus. Nous proposons d’expérimenter cette démarche de « ressources humaines régionales » dans une région volontaire avant de la généraliser.
Enfin, il existe un sujet qui permet de donner un tour plus concret à l’ensemble des thèmes que je viens d’évoquer : c’est la mobilisation nationale pour l’emploi et la transition écologique.
Le président de la République a lancé cette mobilisation lors de sa conférence de presse du mois d’avril dernier.
J’ai réuni à plusieurs reprises, les représentants des élus locaux, les partenaires sociaux et les associations pour identifier et lever, un à un, tous les freins à l’embauche : qu’il s’agisse de problèmes d’apprentissage, de formation ; ou tout ce qui rend plus difficile la recherche d’emploi comme les problèmes de garde d’enfants, de transports du quotidien ou de logement.
Les ministres Muriel Pénicaud, Agnès Pannier-Runacher et Emmanuelle Wargon ont débuté à ma demande en octobre un tour de France des solutions. À partir de ces constats, nous allons identifier les solutions qui émanent des territoires ; les faire reconnaître ; le cas échéant les dupliquer ; nous regarderons aussi les verrous législatifs ou réglementaires qu’il faut faire sauter. Les lois mobilités, ELAN et formation professionnelle nous fournissent beaucoup d’outils qui doivent contribuer à ce tour de France des solutions.
Voilà en ce qui concerne ce point d’étape du futur pacte productif. Bruno Le Maire vous proposera bientôt une méthode pour préparer d’ici la fin de l’année, le recueil des engagements de chacune des parties. De manière à ce que le Président de la République puisse présenter, si ces engagements sont au rendez-vous, au début de l’année prochaine, le Pacte productif dans son ensemble.
« Très jeune, j'ai pensé que se donner des ailes serait la plus belle découverte que l'homme pouvait faire. Puis, j'ai eu l'impression que, au point où en était la science, j'arrivais probablement à l'époque où cette découverte devenait possible. Enfin, j'en venais à me dire que j'avais peut-être certains éléments de réussite si je m'attaquais à ce problème, et que, par conséquent, je devais le faire ». Ces quelques mots d’Henri Fabre peuvent encore nous inspirer. Notre pays a plus que « quelques éléments de réussite » dans sa main pour innover et renouer avec son destin industriel. Avec Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher, nous voulons être à vos côtés, faire un pack, et nous battre chacun à notre poste, industriels, élus locaux et gouvernement, pour que davantage d’usines s’implantent ou s’agrandissent dans nos territoires. Notre avenir est dans nos usines. Il est entre les mains de nos ouvriers, de nos ingénieurs, de nos chercheurs, de tous ceux qui inventent et de tous ceux qui produisent « La France de demain ».

Partager la page


Le choix de la rédaction