Discours du Premier ministre à l’occasion du 75ème anniversaire du Débarquement de Normandie

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 11/06/2019

Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre
à l’occasion du 75ème anniversaire du Débarquement de Normandie
Cérémonie internationale
Jeudi 6 juin 2019
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et messieurs les anciens combattants,
Mesdames et Messieurs, chers élèves, chers amis,
Des deux côtés du mur, l’attente était interminable. Le mur de l’Atlantique, 4 000 km de côtes hérissées de canons, de mines et de bunkers, scindait le monde en deux. Pas seulement géographiquement. Mais en deux visions de l’homme et de l’histoire.
Après des mois d’entraînement, 156 000 soldats des forces alliées avaient les nerfs à vif. Toutes leurs pensées étaient tendues vers ces cinq plages du débarquement, Omaha, Utah, Gold, Juno et Sword. Certains y retourneraient, après la guerre, avec leurs femmes et leurs enfants. Pas tous. Mais tous savaient pourquoi ils combattaient : « the elimination of Nazi tyranny over the oppressed peoples of Europe, and security for ourselves in a free world » : tels furent les mots du général Eisenhower, le commandant suprême des forces alliées, le 6 juin 1944. Les armes à la main, le monde libre s’apprêtait à renverser le totalitarisme nazi.
La veille du débarquement, l’Europe est exsangue. L’Occupation a durement éprouvé les valeurs et l’unité d’un vieux continent oublieux de son humanisme. Dans la campagne normande, tant de fois rougie par les guerres fratricides, les chefs de la résistance française retiennent leur souffle. Les batailles de la propagande et de la désinformation font rage. Et, tout-à-coup, le 1er juin, sur les ondes de la BBC : « Les sanglots longs des violons de l’automne ». Le 5 juin, un second vers légèrement retouché par l’histoire, ne les « blesse » pas, comme chez Verlaine, mais les « berce » d’une ardeur qui n’a plus rien de monotone.
Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, les premiers combattants de la Libération prennent leur envol. Ce sont les 101e et 82e divisions de parachutistes américains et la 6e division aéroportée britannique. Lorsque ces 18 000 héros posent le pied sur le sol français, minuit vient de sonner à l’église de Saint-Lô. Beaucoup sont pris au piège de la souricière nazie mais la 82e division parvient à prendre Sainte-Mère-Eglise. La Libération de l’Europe a commencé.
Dans le silence de la nuit, que rompent les premières notes de la cornemuse de Piper Bill et le vrombissement des moteurs, le vent et la houle font vaciller sept mille pavillons de guerre, qu’escortent des milliers d’avions. Marins, soldats et pilotes voient se dessiner les côtes de l’autre rive, « the far shore », qui sera, pour certains, la destination de leur dernier voyage. Issue des quatre coins du monde, c’était l’armada du monde libre qui allait relever l’Europe. Vague après vague, leur progression commence à esquisser le V de la Victoire.
La marée était basse, sur presque toutes les plages. C’était une condition de réussite pour distinguer les obstacles installés par Rommel. Mais à 6 h 35, l’aube est encore glaciale en ce début de juin normand. Eisenhower avait d’ailleurs décidé de reporter le D-Day de 24h, à cause des conditions météorologiques, exécrables. Quand les premiers GI’s débarquent sur Omaha Beach, ils sont transis de froid et, comme tous les soldats du monde avant toutes les batailles, ils ont peur.
En quelques minutes, l’heure H prend le visage de l’Apocalypse. Entravés par leur équipement et par les corps noyés ou déchiquetés de leurs camarades, ces hommes sont pris dans un déluge de feu et d’acier. Ces « band of brothers » n’ont pas eu le temps de secourir leurs frères d’armes. Pendant des heures, ils reçoivent une ration supplémentaire du sang, de la sueur et des larmes que Churchill avait annoncés à son peuple, dans son premier discours de mai 1940.
Et comme l’avait prédit Churchill, dans son second discours de juin 1940, ils se battent « sur les plages » et « sur les terrains de débarquement », sur les dunes et « dans les champs », « with growing confidence and growing strength, […] whatever the cost may be ». Quatre ans après le sauvetage de Dunkerque, le Débarquement ouvre une tête-de-pont sur les côtes du Calvados et de la Manche, une Brèche pour arracher les Européens « aux mâchoires de la mort et de la honte ».
Avec la bataille de Normandie, la deuxième phase de l’opération Overlord commence. Le bocage normand est libéré dans la douleur. Saint-Lô est surnommée la « Capitale des ruines » par Samuel Beckett qui y sert à l’hôpital de la Croix-Rouge. Caen, Lisieux, deviennent des villes martyres. Trois mois après le Débarquement, Le Havre sera écrasée par plus de bombes, en deux jours, qu’il n’en était tombé sur Londres pendant le Blitz. Les Havrais, dont je suis, et dont la ville fut entièrement rasée, connaissent le prix de la Victoire.
Aujourd’hui, 75 ans après le Jour-J, nous devons encore notre liberté aux combattants de l’opération « Overlord ». Certains des soldats qui périrent cet été-là s’étaient illustrés en Afrique, en Sicile ou à Salerne. Certains voulaient se montrer dignes d’un père qui avait lui-même affronté la Première guerre mondiale. D’autres n’avaient rien demandé. Ils partaient à contre coeur et ignoraient sans doute qu’ils avaient l’étoffe des héros. Ils n’étaient pas tous les enfants des Poilus. Mais ils se battaient tous pour mettre un terme à cette guerre mondiale qui avait commencé en 1914.
En Normandie, un souvenir vif de ce débarquement se transmet de générations en générations ; de ce débarquement qui continue à marquer nos paysages et nos histoires familiales. Notre fierté et notre reconnaissance restent intactes. Aucun français, aucun peuple européen n’oubliera le sacrifice des soldats américains, canadiens, britanniques, australiens, néo-zélandais, polonais, belges, de tous ceux qui ont traversé les terres et les mers pour notre liberté. Face aux représentants de tous ces pays, présents aujourd’hui en Normandie, je veux témoigner notre profonde et éternelle gratitude.
Et nous n’oublions pas non plus les jeunes Allemands tombés sur ces plages. En 1944, ils étaient les soldats ennemis. Aujourd’hui, eux aussi reposent près d’ici. Et leurs enfants, ou leurs petits-enfants, ne sont pas seulement nos alliés, ils sont aussi nos amis.
La fierté et la reconnaissance que nous conservons pour les soldats de la Libération, nous les éprouvons aussi pour ceux qui ont hérité de leur bravoure. Ceux qui donnent leur vie pour défendre nos valeurs, partout dans le monde. Je pense évidemment, avec une très grande émotion, au maître Cédric de Pierrepont et au maître Alain Bertoncello qui sont morts en héros, au Burkina Faso, dans la nuit du 9 au 10 mai dernier. Ces marins appartenaient au prestigieux commando Hubert, qui doit son nom à un lieutenant de vaisseau mort le 6 juin 1944 à Ouistreham, après avoir débarqué avec les bérets verts du commando Kieffer.
Tous nos concitoyens qui mènent des missions hautement périlleuses contre le terrorisme s’inscrivent dans la lignée glorieuse des héros de cette bataille.
Quelques mois après les cérémonies du Centenaire de 1918, Mesdames et Messieurs, nous célébrons aujourd’hui une concorde. La concorde entre nos peuples européens, qu’il nous revient de préserver inlassablement. D’abord en écoutant les vétérans qui nous transmettent la sagesse et l’humilité inestimables de leurs témoignages. Le flambeau qu’ils nous tendent est repris symboliquement par ces jeunes filles et ces jeunes garçons qui viennent de lire, dans la diversité de leurs mots, de leurs témoignages, de leurs langues, le même appel à la paix.
Il est aussi repris par les enseignants ou les parents qui emmènent leurs enfants voir les vestiges de l’opération Overlord. J’ai souvent pour l’avoir vécu moi-même, été surpris ou ému par le regard d’enfants qui, découvrant les cimetières militaires, ces alignements qui viennent d’être évoqués, lisent les noms, essaient de deviner les âges. Et parce qu’ils voient les noms comprennent ou ressentent l’absence et la proximité avec des jeunes gens à peine plus âgés qu’eux-mêmes, venus parfois de très loin et dont ils bénéficient encore du sacrifice.
Le flambeau que nous tendent les vétérans est repris par tous ceux qui aident à comprendre la réalité de la guerre, dans ce qu’elle a à la fois de plus héroïque et de moins glorieux, comme la prix Nobel de Littérature biélorusse Svetlana Alexievitch. Dans La guerre n’a pas un visage de femme , elle raconte une guerre méconnue, la guerre vécue par les femmes qui n’étaient pas seulement du côté des civils mais qui furent aussi tireurs d’élite, démineuses, agent de liaison. Elle nous rapporte leurs témoignages pour que « le lecteur en ressente une nausée profonde, que l’idée même de guerre lui paraisse odieuse. Démente. »
Elle rapporte le témoignage d’une brancardière dont la haine s’évanouit, à Berlin, quand elle croise les mêmes yeux d’enfants affamés que ceux qu’elle a laissés dans son pays. Et elle remarque que ces combattantes lui racontent, autant que l’effroi et les larmes qui ne coulaient plus, leur désir de vivre et de donner la vie, malgré tout. Il nous revient à tous de raconter l’effroi et les larmes, mais aussi et surtout d’agir pour affirmer notre désir de vivre. De vivre en paix. Dans la concorde des nations. De vivre libre.
Je vous remercie.

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