Discours à l'occasion du 30ème anniversaire de l’Association Villes de France

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 13/12/2018

Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre

30ème anniversaire de l’Association Villes de France

Mercredi 12 décembre 2018
Seul le prononcé fait foi
Madame la présidente,
Monsieur le président du Sénat,
Monsieur le président délégué,
Messieurs les Présidents d’honneur,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les maires,
Chers amis,
Je me faisais un plaisir de vous retrouver pour une occasion heureuse, celle de célébrer un anniversaire. Célébrer les 30 ans c’est toujours joyeux mais j’ai bien conscience que cet anniversaire s’inscrit dans un double contexte particulier. Celui de l’attaque terroriste dont la ville de Strasbourg et les Strasbourgeois ont été les victimes hier soir et puis le contexte singulier lui aussi du mouvement social que connaît la France depuis près d’un mois et qui a très profondément impacté à la fois notre façon d’envisager le débat public, le développement économique d’un certain nombre des territoires de notre pays. Et qui a marqué les Français à la fois par l’ampleur du phénomène, la violence qui l’a parfois accompagné, la très forte solidarité aussi qui s’est manifestée à l’occasion de ce mouvement social.
Je voudrais dire comme tous ceux qui se sont exprimés avant moi ma très grande tristesse et aussi d’une certaine façon ma très grande colère, on peut l’exprimer calmement et froidement, face aux attaques terroristes que nous avons connues hier. Une enquête intense est désormais en cours sous la responsabilité du procureur de la République de Paris. Des moyens massifs sont mis à sa disposition pour faire en sorte que celui qui est aujourd’hui aux yeux de la loi le présumé puisse être interpellé dans les meilleures conditions le plus rapidement possible et présenté à la justice.
La détermination de tous ceux qui concourent à ces opérations est totale et il suffit de voir le sérieux avec lequel les enquêteurs, les moyens de la DGSI, la police judiciaire, les policiers, les gendarmes, les forces de secours se sont immédiatement et totalement mobilisés pour être à la hauteur de l’événement. Ce sérieux, ce professionnalisme, cette mobilisation fait honneur à notre pays, elle nous réjouit. Évidemment on ne peut pas se réjouir dans un moment de grande tristesse mais nous pouvons savoir aussi que lorsque nous sommes attaqués nous pouvons nous reposer sur des agents publics, des élus. Nos concitoyens qui savent très bien la façon dont ils veulent vivre, ont parfaitement idée des valeurs qu’ils veulent défendre et ont une forme d’exigence avec eux-mêmes qui les pousse souvent à dire ce qui est essentiel.
Un mot peut-être, plus qu’un mot d’ailleurs sur le mouvement social que vous évoquiez là encore tous avant moi. Dans ce mouvement des Gilets jaunes souvent commenté, analysé, disséqué, sur lequel le président de la République a dit au moment de son intervention et je peux le dire peut-être encore plus que lui, il existe à l’évidence une part de responsabilité dans son éclatement, dans son éclosion, dans sa manifestation. Je l’assume, j’en prends ma part. Mais si j’en prends ma part alors faisons comme tout ce que vous avez fait jusqu’à présent, tous ceux qui se sont exprimés avant moi, regardons-le en face et constatons qu’il vient de loin, constatons que cette colère s’est longtemps tue par pudeur, par fierté et qu’elle s’exprime aujourd’hui de façon collective parce que le désespoir est arrivé à un tel point qu’il faut qu’il s’exprime.
Reconnaissons que depuis bien longtemps les décisions et parfois les décisions de l’État ont pu conduire à des choix d’aménagement qui ont avec le temps donné à beaucoup de nos concitoyens le sentiment d’être piégés, de ne pas pouvoir s’en sortir. Il faudra qu’avec le temps, avec le travail, nous puissions apporter des réponses. Le président de la République a annoncé des mesures qui répondent aux questions de pouvoir d’achat qui ont été formulées mais nous savons que derrière ces questions de pouvoir d’achat il y a d’autres sujets d’identité, de considération, de perspective. C’est toutes ces questions qui doivent être traitées par le dialogue que le président de la République a voulu engager.
Si j’osais, Monsieur le président délégué, je dirais que c’est le temps du débat, c’est véritablement le moment du débat. Le président de la République nous invite à un travail qui porte sur quatre axes et qui doit être intense. L’axe de la transition écologique, c'est-à-dire la définition de besoins précis et le travail sur des solutions adaptées pour trouver territoire par territoire car à l’évidence ils ne sont pas tous identiques et les questions ne s’expriment pas toutes de la même façon, trouver des réponses aux questions : comment se loger, comment se déplacer, comment accéder au travail. Toutes ces questions exigent des mesures d’accompagnement non pas pour le plaisir de définir des mesures d’accompagnement mais parce que cette transition écologique est là et qu’elle ne va pas cesser d’être là. Parce qu’elle pose dès aujourd’hui et déjà depuis quelques années des questions et des problèmes qu’il convient de régler tôt. Si l’on veut pouvoir les régler bien, nous allons devoir travailler sur ces sujets.
Le deuxième grand axe c’est l’axe de la fiscalité. A l’origine de ce mouvement social il y a le rejet d’une taxe. J’ai eu l’occasion de dire qu’au fond aucune taxe ne méritait de venir mettre en cause l’unité nationale mais derrière la critique sur cette taxe il y a des questionnements et parfois des critiques fortes formulées contre un système fiscal dans son ensemble. Une mise en cause parfois du consentement à l’impôt, comment organisons-nous l’irrigation financière de la puissance publique sous tous ses aspects, local, national, de solidarité ? Quels sont les bons prélèvements ? Quel est le bon niveau de dépenses ? Tous ces sujets sont souvent évoqués pendant les campagnes électorales, pendant les campagnes électorales locales, pendant les législatives, pendant les présidentielles bien entendu.
Mais sont-ils toujours évoqués avec le souci unique de pouvoir avancer sur ces questions fiscales, de pouvoir véritablement comprendre la meilleure façon de réparer ou de faire évoluer un dispositif dont chacun s’accorde à considérer qu’il est à la fois redoutablement complexe et parfois illisible et qu’il se caractérise, nous le savons tous, et pas depuis 18 mois, par un niveau de prélèvements sans réel équivalent et par un niveau de dettes qui s'accroît très rapidement. Il s’agit donc de travailler sur la fiscalité dans tous ses aspects.
Troisième objet du débat, notre démocratie, puisque la question des Gilets jaunes est une question de considération au sens très noble du terme de participation au débat. Si la question est de savoir comment faire entendre notre voix, alors la question qui est posée est aussi celle de la démocratie. Comment mieux représenter ? Comment mieux associer ? Comment faire en sorte de faire participer les citoyens aux débats nationaux ? Je n'oublie pas que j'ai été bien plus longtemps élu local que je ne serai Premier ministre, bien plus longtemps maire que je ne serai Premier ministre. Je le dis, j’ai fait six ans et demi de mandat comme maire, donc il n’y a pas photo. Comment faire en sorte que ce qui existe au niveau local et que nous pratiquons et qui fonctionne bien puisse s'exprimer au niveau national ?
Honnêtement, et ce n'est pas renoncer à ses responsabilités que de le dire, c'est beaucoup plus difficile de structurer un débat, de faire participer, d'avoir le sentiment justement que sa voix compte. Mais il va falloir que nous trouvions les moyens de mieux associer nos concitoyens, ceux qui s'intéressent déjà bien sûr mais aussi ceux qui veulent s'exprimer en dehors des corps intermédiaires ! Je vous garantis, Mesdames et Messieurs, que dire ce n'est pas une remise en cause des corps intermédiaires en aucune façon. C'est simplement constater qu'il y a beaucoup de Français qui ne trouvent pas forcément leur compte ou ont pas forcément le sentiment d'être entendus en passant simplement par ces corps intermédiaires dont nous avons besoin. Il faut donc imaginer, débattre de la meilleure façon d'inventer cela et ça n'est pas facile.
Et puis enfin le dernier sujet c'est l'organisation de l'État, j'entends le message sur l'éloignement progressif des services publics, sur la diminution de la qualité des services publics ou de la présence des services publics sur le territoire. Il a été exprimé fort et clair comme on dit à l’armée par les Gilets jaunes, très bien. Alors qu'en faisons-nous ? Comment organisons-nous la présence des services publics sur le territoire national dans un monde qui change, dans une France qui change, dans une France dont les mouvements de populations sont puissants ? Ils ne sont jamais massifs sur une année mais sur 10, 20 ou 30 ans, ils conduisent à des transformations profondes de la géographie, de la répartition sur le territoire. Comment faisons-nous pour réorganiser notre État, pour prendre en compte la révolution numérique? Comment faisons-nous pour lutter contre ce réflexe, qui est vrai au niveau de l'État mais pas simplement, qui consiste alors que nous avons procédé à la décentralisation depuis fort longtemps et que personne n'a envie de revenir dessus à des mécanismes de concentration y compris en régions ?
Puisque nous parlons des villes de France et de villes qui à une époque ont pu être qualifiées de villes moyennes, reconnaissons que nous avons constaté depuis des années ce mécanisme de regroupement pas à Paris mais dans les métropoles régionales ou dans les grandes villes des forces vives, de l'analyse intellectuelle, des structures de réseaux. Nous l'avons constaté et il est ancien. Comment faire en sorte de réorganiser notre État pour qu'il soit plus proche, plus simple, peut-être un peu moins normatif et un peu plus managé ? Comment est-ce qu'on fait pour être meilleur ? C'est la question qui nous est posée. Elle ne pourra être résolue que par le dialogue et la discussion.
Ce débat nous voulons faire en sorte qu'il soit très territorial. En vérité nous sommes en train de concevoir un process qui n'a rien d'un jardin à la française. J'aime les jardins à la française, comme tous les Français, mais je sais qu’en matière d'organisation d'un débat les jardins à l'anglaise et le caractère foisonnant peuvent avoir leur mérite et leur charme. J'ai trop le souvenir d'un débat très organisé il y a quelques années qui n’avait pas été un succès. Ce débat si on veut qu'il soit réel, puissant, utile, ne peut pas être un débat organisé dans les préfectures par les préfets. Ce n'est pas une critique des préfets quand je dis ça, c'est simplement un constat, il faut qu'il soit le plus territorialisé possible, il faut qu'il soit d'une certaine façon le plus souple possible.
Et c'est évidemment aux maires qu’il reviendra s'ils le souhaitent, il ne s'agit pas d'imposer, de participer à l'organisation de ce débat dans leur commune. Ce sont eux qui savent le meilleur moment, le meilleur endroit et probablement la meilleure façon de lancer ce débat. Nous voulons évidemment nous appuyer sur eux, les accompagner en leur donnant un certain nombre d'instruments qui leur permettra de faire remonter ce qui ressortira de ces débats. Il ne peut pas être simplement territorial car si nous voulons réfléchir à la définition d'un certain nombre de solutions nous devons, je le disais tout à l'heure, nous appuyer sur ces corps intermédiaires qui sont indispensables pour le travail et la négociation des éléments qui viendront répondre à ces besoins précis exprimés.
Ce grand débat, ce grand dialogue est indispensable et il va commencer dans les jours qui viennent. Il durera jusqu'en mars. Il faut que ce soit intense. Il faut que ce soit concentré dans le temps et surtout il faut que ça débouche sur un processus qui exigera des décisions, décisions qui devront être prises par le Parlement. Car j'ai aussi vu dans le mouvement des Gilets jaunes parfois, pas de façon générale, quelque chose qui relevait de la remise en cause de la démocratie représentative. Or, nous savons tous parce que si nous avons été élus quelles que soient les fonctions que nous exerçons, le Premier ministre n'est pas élu. Je le rappelle à ceux qui auraient oublié, tous les élus locaux ici ont été élus. Nous savons que cette élection, cette démocratie représentative est une immense richesse et qu'il faut la préserver. Au niveau national cela veut dire que c'est à l'Assemblée nationale et au Sénat qu'il reviendra de tirer les conséquences, dans un dialogue là aussi constitutionnel, avec le Gouvernement de ce qui aura été dit et de ce qui devra être décidé.
Vous avez cité, Madame la présidente, des villes exceptionnelles et j'observe, mais je ne le prends pas mal, qu'aucune de celles-ci n'étaient normandes. Aucune de ces villes n'était normande mais pourtant elles sont belles les villes normandes, elles sont exceptionnelles. Nous allons devoir inscrire avec les maires, certains l'ont évoqué ici, le travail des mois et des années qui viennent dans la volonté de définir ensemble un certain nombre de solutions.
Vous avez cité, je vous en remercie, Madame la présidente, Jacques MEZARD qui est avec vous d'une certaine façon l'autre parent de ce plan « Action cœur de ville ».
Nous avons voulu définir une politique publique dirigée sur cette « strate » de collectivités territoriales, qui pour la première fois depuis 1973 n'est en rien l'imposition par l'État d'une stratégie. C'est tout le contraire, il appartient aux communes de définir la stratégie qu'elles veulent mettre en œuvre et c'est à l'État qu’il appartient d'accompagner la mise en œuvre de cette stratégie en mobilisant les instruments qui existent et en faisant en sorte que ces stratégies puissent devenir des réalités dans le milieu urbain. « Action cœur de ville » est un bon exemple et c'est un exemple à suivre.
Nous devons discuter ensemble de la fiscalité locale et j'ai indiqué au Congrès des maires que nous étions prêts. Plus exactement qu'il nous fallait discuter de la fiscalité locale et que nous étions également prêts à évoquer les questions relatives aux dotations. C'est formidable les dotations aux collectivités territoriales, c'est simple, c’est prévisible et c'est extrêmement simple à expliquer. Tout le monde ici peut expliquer par exemple comment elles vont évoluer d'une année sur l'autre dans sa commune, je suis sûr ! Non, en vérité je n'ai jamais vu personne capable de l'expliquer et j'ai rarement vu, moi le premier, des élus capables d'expliquer et de prévoir comment ça allait se passer, pourquoi ? Parce que les critères sont incroyablement nombreux et donc forcément surprenants. Comment est-ce que nous pouvons faire en sorte d'améliorer ce dispositif, de le rendre plus prévisible ? Voilà un sujet que nous avons mis sur la table, que nous sommes prêts à discuter et je n'ai aucun doute, Mesdames et Messieurs, que ce sera un sujet redoutablement difficile et redoutablement complexe. Mais est-ce que ça doit nous empêcher de l'évoquer ? Non, au contraire, commençons rapidement, ça nous permettra d'arriver à bon port.
C'est la même chose sur les irritants, ce qu'on appelle parfois les irritants de la loi NOTRe. Le président de la République a indiqué pendant sa campagne et après son élection qu'il ne souhaitait pas remettre en cause les éléments constitutifs de l'organisation territoriale qui résultaient de décisions passées, parfois peu anciennes, parfois contestables, parfois contestées par certains mais néanmoins qui étaient devenues l'organisation territoriale de notre pays. Mais une fois qu'on a dit ça on voit bien que toute une série de questions se posent et il faut donc essayer vraiment dans le détail, dans le micro-détail, d'améliorer ce qui peut l'être. Là encore le Gouvernement a fait part de sa volonté de mettre sur la table ce dossier des irritants de la loi NOTRe sans revenir sur les schémas complets mais en essayant de faire du sur-mesure soit territorial, soit dans la répartition des compétences.
Au fond, ce que je voudrais dire pour conclure, c'est que nous sommes confrontés à une situation qui n'est pas simple dans un monde qui lui-même est dangereux.
Nous devons avoir en tête ce que le titre d'un livre récemment publié de Nicolas MATHIEU, « Leurs enfants après eux ». Evidemment ils viendront dans le temps après nous, est-ce qu'ils doivent dans l'ordre des priorités passer après nous ?
Ca n'est pas certain, j'ai même tendance à penser que ça ne doit pas être le cas et si nous ne voulons pas que nos enfants passent après nous y compris dans l'ordre des priorités nous devons avoir conscience des enjeux de temps long ou plus exactement des exigences de temps long. Des urgences immédiates, encore une fois j'en ai parfaitement conscience, je crois en avoir parlé ce soir.
De cette question de la transition écologique qu'on est toujours facilement porté à mettre un peu sur le côté tellement elle est contraignante à court terme mais elle est implacable à long terme. De cette question de la dette. Ce n'est pas une obsession de comptable, ce n'est pas une obsession magique de tel ou tel chiffre. Comme le dit parfois un de mes amis « l'enfer n’est pas à 3,1% et le paradis à 2,9% », bien sûr que non, mais de la capacité que nous avons à laisser une situation à nos enfants qui leur permet d'être maîtres des choix qu'ils auront à faire y compris budgétairement. C'est un enjeu redoutable car tout le monde peut s'accorder sur ce point en terme général mais lorsqu'on rentre dans le détail et dans la discussion c'est plus difficile de se mettre d'accord et cette exigence paraît parfois s'atténuer dans le débat quotidien.
Alors au fond ce que je voudrais faire ici, avec des élus qui savent penser et mettre en œuvre le développement à long terme de la collectivité dont ils ont la charge, c’est de nous inviter à avoir le même esprit au niveau national et essayer de penser et de mettre en œuvre un projet à long terme avec cohérence, avec constance et avec l’amour du pays.
Merci beaucoup !

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