Discours d'Edouard Philippe aux Assises de l'eau

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 29/08/2018

Discours du Premier ministre - Conclusion de la 1ère séquence des assises de l’eau.

Discours de M. Édouard Philippe, Premier ministre
Conclusion de la 1ère séquence des assises de l’eau
Chaillol, le mercredi 29 août 2018
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le secrétaire d’Etat,
Monsieur le président du Conseil régional,
Monsieur le président du Conseil départemental,
Monsieur le maire,
Mesdames et messieurs les députés,
Madame la sénatrice,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le directeur général,
Mesdames, messieurs,
« Sous des dehors bénins – écrit Erik Orsenna dans son ouvrage "L’avenir de l’eau, petit précis de mondialisation", l’eau adore agresser. Elle n’y peut rien, c’est sa nature. Les minéraux des roches sont ses premières victimes ». Je serais tenté d’ajouter que les réseaux d’eau et d’assainissement en sont les secondes. Surtout quand ces réseaux datent dans leur grande majorité, des Trente Glorieuses. Et que l’on n’a pas assez investi dans leur entretien et leur renouvellement.
Une conséquence de ce sous-investissement, c’est le gaspillage qui augmente. On l’a vu : près d’1 litre sur 5 se perd aujourd’hui dans les réseaux. Ce gaspillage est un non-sens économique et écologique.
Vous le savez, l’eau, l’assainissement sont des compétences essentielles et historiques des élus locaux. Certains ont les moyens humains et financiers d’y faire face, d’investir. Tant mieux. D’autres, en général dans les zones rurales, éprouvent les plus grandes difficultés à assumer cette compétence. C’est pourquoi, lors du 100è Congrès des maires de France, le 24 novembre dernier, le président de la République a répondu à l’appel de milliers de maires de petites communes, en annonçant l’organisation d’« Assises de l’eau » dont la première séquence vient de s’achever.
Cette première séquence avait pour but de nous mettre collectivement dans la peau d’un élu gestionnaire de son réseau. De bâtir un diagnostic partagé des difficultés, parfois insurmontables, contre lesquelles il se débat. Et d’y apporter des solutions communes, souples, intelligentes de manière à amorcer très vite un mouvement de rattrapage.
Avant d’entrer dans le détail des mesures qui sont issues de ces assises, je voudrais d’abord redire notre attachement au modèle français des agences de l’eau et de la gestion par bassin.
Le récent rapport du CGEDD et de l’IGF qu’ont commandé Nicolas Hulot et Gérald Darmanin a ainsi souligné la pertinence de l’organisation des agences par grand bassin hydrographique. Parce que cette organisation a du sens du point de vue écologique et que sa gouvernance- qui s’appuie sur les comités de bassin – permet de réunir tous les acteurs de l’eau autour d’une même table.
C’est d’ailleurs parce que le dialogue, la concertation locale sont si essentiels en la matière, que nous avons voulu permettre aux régions qui le souhaitent d’assurer les missions d’animation et de concertation dans le domaine de la gestion et de la protection de la ressource en eau, en coordination avec les comités de bassin. Après la Bretagne et le Grand-Est, la région Sud a souhaité s’engager en ce sens. C’est l’objet du décret que j’ai signé le 9 juillet dernier, et qui va conforter la Région dans son ambition environnementale et dans l’exercice de sa politique sur l’eau, qui mobilise 18 M€/an.
Quelques mots maintenant sur le cadrage du 11è programme qui prévoit 12,6 milliards d’euros de budget durant les six prochaines années :
D’abord, cela place ce programme à un niveau certes inférieur au précédent, mais supérieur à celui d’encore avant. Cette contraction, vous le savez, était prévue. Elle intervient après un « pic » d’investissement atteint lors de la mise aux normes des stations d’épuration. Une mise aux normes qui est désormais derrière nous.
Cette contraction était prévue. Elle était aussi nécessaire. Les agences, comme tous les autres organes ou opérateurs publics, doivent prendre leur part dans l’objectif de maîtrise de la dépense publique et de baisse de la pression fiscale.
Pour autant, les situations d’un bassin varient de l’un à l’autre. Je sais que cette évolution engendre des difficultés à très court terme pour certains bassins : j’ai eu l’occasion de m’en entretenir avec Martial Saddier, président du comité de bassin Rhône-Méditerranée. Certaines agences sont plus rurales que d’autres et ont des défis différents à relever. C’est pourquoi, nous voulons rééquilibrer les ressources des agences en fonction de leurs besoins.
C’est le sens du courrier qui a été adressé à la fin du mois de juillet aux présidents de comité de bassin. En outre, les agences pourront désormais faire preuve de solidarité entre elles : celles qui ont de la trésorerie pourront consentir des prêts à celles qui rencontrent des difficultés transitoires.
Ce nouveau cadrage implique par ailleurs un recentrage des interventions des agences de l’eau, autour de deux priorités :
La première c’est la solidarité territoriale, notamment vis-à-vis des territoires ruraux, dans le cadre de ce qu’on appelle le « petit cycle de l’eau », c’est-à-dire le circuit domestique.
La seconde priorité concerne l’adaptation au changement climatique et la préservation de la biodiversité. Autrement dit le « grand cycle de l’eau », le cycle naturel en somme.
Avec ce recentrage, les agences vont donc évoluer de manière progressive, d’une logique de « mutuelle de l’eau » à une logique d’opérateur, ce qui va impliquer de faire des choix dans l’attribution de certaines aides qui ne seront plus automatiques.
Enfin, ce recentrage doit permettre de mieux utiliser les ressources des agences de l’eau pour créer des effets de levier au bénéfice d’autres sources de financements : c’est tout l’enjeu de cette première séquence des assises dont je vais maintenant présenter les conclusions.
Un mot pour remercier très sincèrement les participants de cette première séquence. Remercier Jean Launay, son coordinateur, les membres de son comité de pilotage, de ses groupes de travail, à Paris et dans tous les bassins. Les remercier de leur temps, de leurs compétences, mais aussi de l’intelligence collective dont ils ont fait preuve pour proposer des solutions fines, souples, adaptées aux territoires.
Des solutions qui s’organisent autour de 4 grandes priorités :
La première consiste à renforcer la connaissance des réseaux d’eau et d’assainissement.
J’ignore si certains se souviennent de cette formule qu’on trouve dans plusieurs œuvres de Marcel Pagnol – je pense à La Gloire de mon père et à Jean de Florette- : « Une source, ça ne se dit pas ! ».
Eh bien, les temps ont changé et un maire, un président de syndicat, un président d’intercommunalité, doivent pouvoir se situer par rapport à la moyenne de leur département. L’ennui, c’est qu’ils sont environ 50% à ne pas renseigner l’outil d’information sur leur service d’eau et d’assainissement.
Je ne leur jette pas la pierre. Les diagnostics coûtent cher. Ce sont des démarches qui prennent du temps. On n’y pense pas forcément.
Mais, plus on connaîtra avec précision l’état des réseaux, plus on pourra aider. C’est pourquoi nous allons prévoir de nouvelles obligations de publication des résultats des services d’eau et d’assainissement ; de leur côté, les agences de l’eau offriront une aide qui couvrira, dans certains cas, jusqu’à 50% du coût du diagnostic.
La deuxième priorité vise à améliorer les conditions d’emprunt des collectivités.
Ces investissements, parfois très lourds, ne peuvent se financer que par l’emprunt. Et on le sait tous : ce qui importe, ce n’est pas tant l’emprunt, que les conditions d’accès à cet emprunt. Pour faciliter cet accès, nous avons demandé à la Caisse des Dépôts, dont je salue le directeur général, Eric Lombard, de se mobiliser à nouveau en faveur de ce type d’infrastructures aux côtés des banques privées. Une mobilisation qui prendra la forme de prêts avec une maturité longue adaptée à ce type de projets, c’est-à-dire jusqu’à 60 ans, à des taux attractifs, qui pourront représenter 2 Md€ sur 5 ans.
Toujours pour faciliter cet accès aux financements, la Caisse des Dépôts et les agences de l’eau se coordonneront pour proposer aux collectivités des offres financières qui combinent prêts à maturité longue et subventions. Et pour les régions volontaires, les aides européennes.
Troisième priorité : la solidarité.
C’est un choix. Le choix de la solidarité territoriale. Un choix qui va se traduire de manière très concrète. Comment ? Eh bien, désormais, les subventions des agences de l’eau qui concernent le « petit cycle de l’eau » bénéficieront en grande partie aux zones les moins favorisées, en particulier rurales. Des zones dont on sait qu’elles n’auront pas les moyens de faire face au « mur » - non d’eau mais d’investissement – qui se profile.
Ce sont donc près de 2 mds d’euros d’aides – soit une enveloppe en hausse de plus de 50%- que les agences consacreront, durant la période 2019-2024- au renouvellement des réseaux de ces zones les moins favorisées. Avec des taux d’aides qui pourront s’élever jusqu’à 70%. Pour financer cet effort de solidarité, nous procéderons au redéploiement progressif des aides au fonctionnement ainsi que des anciennes aides à la conformité réglementaire.
D’autres aides cibleront quant à elles, des innovations. En particulier celles qui intéressent l’usager-consommateur. Des innovations qui permettent par exemple d’améliorer le goût de l’eau, d’en suivre la qualité, de procéder à des travaux sans creuser des tranchées pour ne pas perturber l’activité d’une ville.
D’autres aides cibleront la gestion des eaux pluviales, qui est un défi important dans les zones urbaines : près d’1 milliard d’euros d’aides pourront y être consacrés.
Encore une chose en ce qui concerne le prix de l’eau : l’accès à l’eau, son prix, demeurent une préoccupation pour nos compatriotes les plus pauvres.
Nous avons la volonté d’accélérer le déploiement de la tarification sociale de l’eau : nous proposerons dans ce but aux collectivités volontaires de mettre en place un dispositif de « chèque-eau » et d’en confier la gestion à l’opérateur national du chèque énergie.
Dernière priorité : l’accompagnement, l’aide à l’ingénierie.
Il faut avoir été élu local pour se rendre compte de la complexité juridique, technique et financière de la gestion de l’eau et de l’assainissement. Et de la responsabilité que cela représente pour les élus. Surtout quand ils ne disposent pas des ressources humaines pour les épauler.
Près des deux tiers des 2 500 maires et présidents de syndicats qui ont répondu au questionnaire des assises, ont ainsi fait part d’un besoin d’accompagnement.
Ce soutien, cet accompagnement, nous allons leur apporter par l’intermédiaire des agences. Il pourra prendre plusieurs formes : assistance à maîtrise d’ouvrage, marchés cadres avec des bureaux d’études, constitution de groupements de commandes. L’idée, vous l’aurez comprise, c’est de ne pas laisser une équipe municipale seule face à des décisions aux conséquences parfois très lourdes.
Ces mesures vont donc nous permettre de diviser par deux la durée du cycle de renouvellement de nos réseaux pour rattraper le retard accumulé. Pour économiser, mieux utiliser une ressource stratégique. Pour reconquérir aussi la confiance des Français : 99% d’entre eux bénéficient en effet d’une eau de bonne qualité, mais 20% ne font pas confiance à l’eau du robinet. Et 47% boivent de l’eau en bouteille tous les jours avec ce que cela implique comme production de déchets plastiques.
Il y a sans doute un peu de marketing derrière tout ça. Mais d’autres facteurs entrent en ligne de compte. C’est pourquoi, d’ici la fin de l’année, le comité stratégique de la filière eau, dont je salue le président, Antoine Frérot, formulera des propositions pour harmoniser le goût de l’eau potable qui varie selon les endroits ; pour offrir une information transparente aux consommateurs ; pour améliorer aussi le service rendu aux usagers.
Cela n’aura échappé à personne : il a fait chaud cet été. Très chaud. Les effets du réchauffement climatique se font sentir, chez nous, en Métropole, dans les Outre-mer, mais aussi en Grèce, Californie, en Suède, en Inde, partout dans le monde. Et les conséquences se font déjà ressentir sur les ressources en eau.
D’où une nécessité : celle de nous adapter. Pas quand il sera trop tard. Dès maintenant. Nous adapter, nous préparer à la raréfaction de la ressource en eau. Ça implique d’ arrêter de considérer l’eau comme une ressource inépuisable et de la réinscrire dans le fonctionnement plus global de la nature. On ne peut pas protéger la ressource en eau, sans protéger les milieux aquatiques. Les zones humides, par exemple, jouent un peu le rôle « d’éponges ». J’ai confié au sénateur Jérôme Bignon et à la députée Frédérique Tuffnell, le soin de me faire des propositions d’ici la fin de l’année pour agir concrètement pour enrayer la disparition des zones humides, dans le cadre d’une mission parlementaire.
Cette mission s’inscrit pleinement dans l’objectif de la seconde séquence des assises de l’eau, qui s’ouvrira le mois prochain : comment permettre aux territoires et à l’ensemble des acteurs de s’adapter aux conséquences du changement climatique sur l’eau ?
Cette nécessité de s’adapter au changement climatique, de protéger les ressources naturelles, elle concerne bien sûr la politique de l’eau. Mais elle concerne aussi l’ensemble de nos activités.
Plus largement, en matière d’environnement, nous avons fait des choix parfois difficiles, mais que nous assumons totalement :
C’est la fin de l’exploitation des hydrocarbures en France et dès le mois de juillet 2017, d’un objectif de neutralité carbone en 2050 ;
C’est l’alignement de la fiscalité du diesel sur celle de l’essence et la hausse de la taxe carbone, tout en offrant des solutions très concrètes aux Français pour ne pas les pénaliser ;
Ce sont les mesures que nous avons prises pour lutter contre la pollution plastique et favoriser le recyclage dans le cadre de notre feuille de route sur l’économie circulaire.
C’est la mobilisation que la France a lancée au niveau européen pour sortir au plus vite du glyphosate. Si la France ne s’était pas engagée dans cette discussion le sujet aurait été moins vite.
C’est la fixation d’un objectif très simple: 50% de produits bio ou écologiques dans la restauration collective publique d’ici la fin du quinquennat.
Nous choisirons donc d’aller toujours le plus loin et le plus vite possible. Ce qui n’empêche pas de le faire avec méthode, sans naïveté non plus, mais avec une détermination sans faille. Nous ferons des annonces le mois prochain sur la mobilité propre, en particulier sur le plan vélo et l’amélioration de la qualité de l’air dans les villes les plus polluées de France ; nous présenterons à l’automne la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui va permettre de mettre en œuvre les engagements pris comme la fermeture de toutes les centrales à charbon dans le quinquennat.
Ces efforts au niveau national resteront vains si nous ne parvenons pas à mobiliser l’Europe et le reste du monde. Parce que nous ne sauverons pas la planète à nous seuls. Et parce qu’on ne peut pas demander toujours plus à nos agriculteurs, à nos entreprises, à nos concitoyens sans exiger des autres qu’ils fassent aussi leur part du chemin. Mais nous pourrons d’autant mieux le faire que nous serons exemplaires.
La France est aujourd’hui incontestablement un des pays européens les plus engagés sur les enjeux écologiques : nous continuerons notre travail de conviction auprès de nos partenaires européens dans le cadre de la réforme de la PAC, et pour le climat. Parce qu’il n’y a pas et il n’y aura pas de planète de rechange. Et parce que le jugement que nous aurons à assumer sera le plus difficile qui soit dans la mesure où il s’agira de celui de nos propres enfants.

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