Discours d'Édouard Philippe à la Préfecture du Nord

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 28/06/2018

Lille, jeudi 28 juin 2018
Seul le prononcé fait foi
Merci, Monsieur le Ministre,
Monsieur le Premier Adjoint représentant
Madame la Maire,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs les Présidents et
Messieurs les Préfets,
D’abord, merci beaucoup. Merci d’être présents. Merci de m’accueillir chaleureusement, sous un soleil qui fait honneur aux Hauts-de-France et à Lille - qui ne surprend pas les habitués - mais qui est bien agréable. Merci beaucoup et merci beaucoup plus fondamentalement de vous engager, avec des motivations qui peuvent être différentes, avec même des enthousiasmes qui peuvent être différents, dans cet exercice que je crois très neuf et que je pense très prometteur.
Au fond, ce qui nous rassemble ici, c’est une réflexion, plus exactement un contrat – j’aurai l’occasion d’y revenir – mais c’est la question des relations financières entre l’Etat et les collectivités locales.
Depuis que je réfléchis sur ces sujets, depuis que je les pratique, je l’ai d’abord pratiqué comme étudiant en essayant de comprendre, ça m’a pris beaucoup de temps et je ne suis pas sûr d’en être venu à bout, puis ensuite comme élu, comme adjoint au maire, comme conseiller départemental, comme conseiller régional, puis comme maire. Et puis, maintenant, en tant que Premier ministre. Deux choses, deux caractéristiques - qui sont d’une certaine façon toutes les deux préoccupantes - me frappent dans la question des relations entre les collectivités territoriales et l’Etat.
La première, c’est que c’est horriblement complexe. Dire ça, c’est être en-dessous de la vérité. Le niveau de complexité de la machine que nous avons construite – quand je dis « nous » d’ailleurs, nous, élus locaux, Etat et parlementaires, depuis trente ou quarante ans – est à un niveau de complexité qui est proprement sidérant.
Je ne dirai rien du fond de la réunion à laquelle le ministre de l’Action et des Comptes publics participait avec moi hier après-midi. C’était une réunion dans le cadre de l’élaboration du budget de l’Etat. Nous penchions, avec le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, sur la partie du budget de l’Etat relative aux relations avec les collectivités territoriales.
C’est proprement démentiel. La complexité, les tuyaux, les corrections qu’on a à apporter à des mécanismes qui ont été inventés, mais pas supprimés, qui sont transformés, qu’on a ensuite péréqués, puis ensuite recompensés, puis surcompensés, puis décompensés. Je le dis avec une certaine fascination pour la complexité administrative et juridique, j’aime bien ça. Mais là, vraiment, je suis sidéré.
La deuxième caractéristique, c’est la méfiance. On peut se dire les choses simplement : une méfiance s’est installée depuis très longtemps sur la question des relations financières entre les collectivités territoriales et l’Etat, qui est à tous égards néfaste, mais qui est réelle. Elle est réelle peut-être parce que justement cette complexité fait qu’on a toujours l’impression, quand quelque chose bouge, qu’on va se faire avoir ailleurs !
Elle est probablement explicable parce que nous avons tous vécu des phases dans lesquelles les dotations qui étaient versées par l’Etat aux collectivités territoriales étaient d’abord gelées, ce qui présentait des inconvénients évidents pour ceux dont les besoins allaient croissants. Puis après avoir été gelées, elles ont été diminuées, réduites, venant réduire les ressources des collectivités territoriales qui devaient faire face à des demandes qui n’étaient pas, elles, décroissantes ou devant mettre en œuvre des programmes sur lesquels les collectivités ou leurs élus plus exactement s’étaient engagés.
Cette méfiance est réelle et elle ne vient pas de ce que les collectivités territoriales ne voudraient pas faire attention à l’utilisation de l’argent public, y compris quand l’argent public leur est versé par l’Etat. J’ai été dans ma vie beaucoup plus longtemps élu local que je ne serai jamais responsable ministériel. Je sais que les élus locaux dans l’ensemble veulent faire attention à l’argent public. Ils peuvent parfois faire des choix qui s’avèrent des mauvais choix. Quand ils font des mauvais choix, ils sont souvent sanctionnés, politiquement. Mais je n’en connais que très peu qui soient désinvoltes avec l’argent public, vraiment.
Pourtant, il y a cette méfiance. Pourtant, il y a ce sentiment qu’on ne comprend pas, on ne prévoit pas et on ne peut donc pas faire confiance.
Nous avons voulu nous placer sur un autre terrain, essayer de rompre avec cette habitude qui avait été prise de réguler la dépense publique générale et la partie nécessaire que les collectivités territoriales doivent prendre dans le contrôle de la dépense publique, essayer de le faire autrement qu’en diminuant leurs ressources.
Ce faisant, nous avons repris une idée qui venait des élus locaux et je vous remercie, Madame la Maire, Madame la Présidente de le dire, l’idée de la contractualisation financière avec les collectivités territoriales n’est pas une idée qui vient de l’Etat. C’est une idée qui vient des communes, qui vient de France Urbaine – vous l’avez évoquée – qui vient des communes. Nous l’avons reprise parce que nous pensons que c’est une bonne idée. Parce que contrairement à ce que j’ai pu entendre, l’idée d’une relation contractuelle entre l’Etat et les collectivités territoriales n’est pas simplement respectueuse de la décentralisation, elle est à certains égards l’incarnation même de la contractualisation.
Monsieur le Maire, je me souviens que la première expérience professionnelle que j’ai eue, c’était dans ces murs. En 1991, j’ai fait mon premier stage au département du Nord. On m’avait demandé de réfléchir à ce qu’était la relation contractuelle dans les contrats de plan Etat/région et qu’elle pouvait être la place des départements. Comme quoi les questions sont anciennes, permanentes. La relation contractuelle entre l’Etat et les collectivités territoriales n’est pas incompatible avec la décentralisation, bien au contraire.
L’objectif, par ces contrats – et je le dis là aussi le plus clairement possible parce que parfois, ce n’est pas complètement répété – n'est pas de faire baisser la dépense publique locale. L’objectif, c'est de faire en sorte que l’augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales soit maîtrisée. Il ne s’agit pas de faire en sorte que vous dépensiez moins ; il s’agit de faire que l’augmentation de la dépense ne soit pas supérieure à une limite dont nous considérons qu’elle est la limité qui engagerait l’ensemble du pays, au-delà d’un endroit où nous voudrions aller. Il s’agit de limiter la progression de la dépense publique locale. Et le chiffre pivot qui a été fixé pour l’ensemble des dépenses de fonctionnement globalement des collectivités territoriales, est 1,2 % de progression des dépenses de fonctionnement, +1,2 % par an.
Un mot d’abord, pour dire que c'est plus que la moyenne des années précédentes. Au cours des années précédentes, parce que justement l’Etat avait pris dans vos dotations et avait diminué les dotations, la moyenne de la dépense publique locale de fonctionnement était inférieure à 1,2 %.
Nous avons ciblé 322 acteurs de la dépense publique locale : EPCI, métropole, département, région, et commune, qui représentent près de deux tiers de la dépense publique locale. Autant travailler avec ceux qui représentent la « masse », si j’ose dire, et fixer un objectif général à tous les autres en sachant qu’ils vont essayer de respecter le contenu de leur budget.
Ce principe d’un taux qui limite la progression de la dépense publique locale de fonctionnement a été discuté. Il n’est pas sorti tout droit, tout armé de la tête de Gérald DARMANIN. Nous l’avons discuté. Nous l’avons discuté à Cahors, à l’occasion d’une conférence nationale des territoires. Et le dispositif tel qu’il a été discuté à Cahors a été introduit dans la loi de programmation des finances publiques. C’est ce dispositif qui s’applique aujourd’hui et qui a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
Pourquoi je rappelle cette discussion de Cahors ? Parce que c’est une discussion entre le Gouvernement et les collectivités territoriales, les associations d’élus. Nous avons intégré toute une série de choses qui nous avaient été demandées et qu’il était légitime de prendre en compte. Nous avons intégré le principe d’une modulation de ce taux en fonction des réalités locales, des efforts passés, des progressions de populations, de toute une série d’indicateurs, permettant à certains d’entre vous de dépasser le 1,2 % et à d’autres d’être un peu en-dessous.
Nous avons précisé le périmètre de la dépense publique qu’il fallait prendre en compte et nous avons prévu des règles spécifiques, s’agissant de dépenses ou de nature de dépenses particulière. C’est ainsi que par exemple, nous avons sorti du périmètre dans lequel nous allons contrôler l’évolution de la dépense publique de fonctionnement, les questions liées à la mise en œuvre des politiques d’investissement dans les compétences signées par les régions ; ou les éléments relatifs aux Fonds européens qui sont assurés par les régions. Nous l’avons sorti, à la demande des régions, parce qu’effectivement cela avait un sens de les sortir du périmètre.
Nous avons – je m’adresse en particulier au président de Conseil départemental – intégré un certain nombre de remarques formulées par les présidents de Conseils départementaux, en créant des règles relatives à la prise en compte de la dynamique des dépenses, notamment les dépenses d’AIS, pour faire en sorte, non pas de dire « ça ne compte pas », parce que c’est une partie importante des dépenses de fonctionnement, mais pour faire en sorte d’avoir une règle plus juste, plus tenable et donc plus intelligente.
Et puis nous avons commencé les signatures ! Ou plus exactement, les préfets, les directions, les collectivités ont commencé les discussions.
Certains vont signer, d’autres non. Sur les 322 collectivités susceptibles de signer parce qu’elles étaient dans la cible, nous aurons probablement un peu plus de 200 signataires. Un certain nombre de collectivités qui n’étaient pas dans la cible ont décidé, volontairement, de s’inscrire dans cette logique. Madame la Maire, vous êtes la seule représentante de cette catégorie particulière dans le Nord et je suis heureux de vous saluer et de vous remercier pour cet engagement remarquable.
Ceux qui ne signent pas seront évidemment respectés mais ils ne se trouveront pas dans la même situation que ceux qui ont signé. Si globalement au niveau national, les dépenses locales de fonctionnement dépassent le taux moyen de 1,2 %, nous avons indiqué dès le début – c’est bien le principe du mécanisme – que nous irons rechercher l’année suivante le dépassement. Nous irons le rechercher dans des conditions qui seront forcément un peu plus sévères chez ceux qui n’ont pas signé que chez ceux qui ont signé.
De la même façon, ceux qui, individuellement dépasseraient la cible ne se trouveront pas dans la même situation s’ils ont signé ou s’ils n’ont pas signé. C'est naturel, sinon ça serait une signature purement formelle.
Le taux qui a été choisi de 1,2 % pour l’augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales est supérieur à nos objectifs d’augmentation des dépenses de fonctionnement de l’Etat. Je voudrais y insister. 2017, ça a été un budget que nous avons, avec le ministère de l’Action et des Comptes publics, exécuté. Mais nous ne l’avons pas conçu. Il a été conçu et approuvé par d’autres que nous et nous l’avons exécuté. Nous avons dû, pour l’exécuter, procéder à un certain nombre d’opérations de sincérisation qui ont été évoquées par la Cour des comptes. Nous avons dû faire face à un certain nombre de mauvaises surprises. Vous avez évoqué les mauvaises surprises qui peuvent arriver aux collectivités territoriales, il en arrive aussi à l’Etat. Par exemple, une recette importante annulée par le Conseil constitutionnel qui fait un petit trou ou, plus exactement, une obligation de remboursement de 10 milliards pour l’Etat aux entreprises.
Mais dans le budget 2018, notre objectif, c’est bien de fixer un rythme de progression des dépenses de fonctionnement de l’Etat qui est inférieur à ce 1,2%. Pourquoi ? Pas du tout parce que l’Etat est plus vertueux, mais parce que les collectivités ont fait, depuis plus longtemps que l’Etat, des efforts plus sévères. Il est donc juste que nous nous assignions un objectif plus exigeant que celui qui a été reconnu aux collectivités territoriales.
Deux derniers mots, d’abord, pour dire que nous parlons d’argent, ce qui est important mais ce qui n’est pas essentiel. S’agissant des politiques publiques, s’agissant d’Action Cœur de Ville, s’agissant de la rénovation urbaine, s’agissant de l’ensemble des politiques publiques – elles sont très nombreuses – qu’il nous faut mettre en œuvre en bonne intelligence, ces contrats ne sont pas l’alpha et l’oméga. Ils parlent d’argent et sont donc importants parce qu’ils nous permettent d’envisager des politiques publiques en commun mais ces politiques publiques sont encore plus importantes dans mon esprit et nous aurons l’occasion de discuter ensemble – nous avons déjà commencé s’agissant d’un certain nombre d’opérations – des politiques publiques que vous souhaitez mettre en œuvre, que nous voulons mettre en œuvre, qu’il nous arrive de soutenir et d’accompagner.
Deuxième chose, sur la décentralisation. J’entends la remarque qui a été dite sur l’inquiétude sourde mais parfois pas muette sur de l’avenir de la décentralisation. Vous avez cité vous-même, Monsieur le Maire, l’article 72 de la Constitution. Je le connais bien. Il se trouve que dans le projet de loi de révision constitutionnelle qui a été proposé à la discussion des députés et bientôt à celle des sénateurs, il y a une modification de l’article 72. Il ne vous a pas échappé, Monsieur le Maire, que cette modification n’a pas pour objet de revenir sur la libre administration des collectivités territoriales, mais qu’elle a au contraire pour objet de permettre aux collectivités territoriales d’aller plus loin dans leur pouvoir de différenciation, d’aller plus loin dans la façon d’exercer leurs compétences et de se distinguer, lorsqu’elles le souhaitent et uniquement si elles le souhaitent, de la façon dont les mêmes collectivités exercent leurs compétences.
Il me semble que lorsqu’un Gouvernement propose au Parlement d’aller aussi loin dans la différenciation, d’aller au-delà de ce qui existe aujourd’hui, qu’il est difficile de dire que ce serait le signe d’une méfiance vis-à-vis du principe même de la décentralisation. Ce que je peux vous garantir c’est que ni le ministre de l’Action et des Comptes publics ni le Premier ministre qui, encore une fois, ont été élus locaux avant tout, ont un vrai attachement à la capacité et à l’action publique locale.
Nous savons que ce sont les investissements locaux qui font vivre le territoire, nous savons que c’est dans les grandes métropoles, dans les agglomérations que se joue la compétitivité de demain notamment. Je ne le dis pas par opposition aux autres mais parce que c’est un fait, une évidence et une conviction que nous partageons.
Merci beaucoup donc d’entrer dans cette nouvelle grammaire, dans cette nouvelle logique, de la comprendre, de l’expliquer. J’espère qu’ensemble, nous réussirons à la fois à faire en sorte que vous puissiez mettre en œuvre les engagements que vous avez pris et, en même temps, à faire en sorte que les finances de notre pays soient maîtrisées au plus grand bénéfice de nos concitoyens. Merci beaucoup.

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