Lancement de la banque des territoires

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 30/05/2018

Discours de M. Édouard Philippe, Premier ministre "Lancement de la banque des territoires".

Paris, mercredi 30 mai 2018
Monsieur le directeur général, cher Eric Lombard,
Madame la présidente de la commission de surveillance, chère Sophie Errante,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les maires et présidents d’exécutifs locaux,
Mesdames et messieurs, chers amis,
C’était donc à Dunkerque. Peut-être aurais-je préféré que ce soit au Havre, mais c’était à Dunkerque. Je me console en songeant que c’était quand même une ville portuaire. Et que des siècles auparavant, Le Havre avait reçu son compte d’investissements publics. Non de la part d’un de vos prédécesseurs, cher Eric Lombard, mais de François Ier. Donc à Dunkerque, en 1821 et pour la première fois de son histoire, la Caisse des Dépôts et Consignations, un peu forcée, reconnaissons-le, par le ministre de l’économie de l’époque Joseph de Villèle, accorde un prêt de 3 millions de francs pour réparer le pont de la citadelle et désenvaser le port. Un grand classique.
Après les ports, il y a eu les canaux. D’abord ceux de Bretagne, du Nivernais, du Berry et de la Loire [avec la Compagnie des Quatre Canaux soutenue par la CDC]. Puis, des théâtres municipaux, des hôpitaux, des logements sociaux. Jusqu’au bâtiment qui nous accueille aujourd’hui.
Deux siècles, voire un peu plus, que la Caisse des Dépôts et Consignations « équipe » et transforme la France. Deux siècles qu’elle investit dans son avenir, dans ses infrastructures, dans son appareil industriel, dans ses entreprises et dans ses territoires. Le tout, en pratiquant ce que d’autres théoriseront et résumeront plus tard – avec un certain succès – par une célèbre formule, le fameux « en même temps ».
On peut être une banque et « en même temps » avoir le sens du long terme. On peut investir au bénéfice de l’intérêt général et « en même temps » évoluer « dans le marché ». On peut être une institution financière de l’Etat, placée, selon la belle formule, « de la manière la plus spéciale, sous la surveillance et la garantie du Parlement » et en même temps, constituer un partenaire essentiel, solide, fidèle des collectivités. Parce que fidèle à la devise - « Foi publique » - qui figure sur son blason. Une devise dans laquelle on peut lire à la fois une idée de confiance et d’espérance.
On va avoir besoin de cette expérience. Cela n’aura échappé à personne : nous connaissons une période de grandes transformations. Je ne parle pas de celles que nous engageons avec le président de la République. J’y reviendrai tout à l’heure. Je parle de celles auxquelles nous faisons face : la révolution numérique. Le changement climatique. Les nouvelles mobilités. Comme souvent, ces transformations apportent leur lot de chances à saisir. Et de nombreuses collectivités les saisissent. C’est bien. Mais elles conduisent aussi à une vaste redistribution des cartes. À des déséquilibres. À des injustices, à des inégalités ou à des fractures. Un phénomène qui faisait déjà dire à Fernand Braudel « qu’une nation en train de se faire ou de se refaire n’est pas un personnage simple ».
Ces transformations impliquent donc de « rééquiper le pays ». Tout n’est pas à refaire. Mais beaucoup de choses sont à revoir, à réhabiliter, à construire et à réinventer. Y compris nos modes de financement et d’organisation. Je pense en particulier à ceux de l’Etat dont le fonctionnement demeure encore un peu « vertical », là où il faudrait un peu plus de souplesse et de coopération. C’est le sens de l’agence nationale de la cohésion des territoires dont nous avons lancé la préfiguration. Une agence qui additionne des compétences. Qui décloisonne. Qui organise la coopération autour de projets concrets.
Des projets qui sont nécessaires si nous voulons éviter que le « printemps des territoires » que vous évoquiez durant cette journée, ne se change pour quelques-uns en « bel été » et en « hiver » pour les autres.
D’où la nécessité pour les élus d’avoir une banque vers laquelle se tourner. Une banque qui parle leur langue. Qui comprend leurs contraintes et qui regarde un peu plus loin que leur « profil d’emprunteur ».
Nous, élus– je m’inclus dans le lot car après tout, je suis toujours conseiller municipal du Havre – nous en avions rêvé. Et vous, cher Eric Lombard, cher Olivier Sichel vous l’avez fait. Vous avez créé une banque. Pour les territoires. En particulier pour ceux qui, en raison d’un certain nombre de fragilités – économiques, financières, sociales – ne parviennent pas à financer leurs projets, à boucler un tour de table dans des conditions « normales » et avec des acteurs « classiques ». Des projets qui sont pourtant viables et dont ces collectivités ont besoin pour amorcer une dynamique.
Une banque des territoires, c’est donc d’abord une banque de financements et d’investissements. Une banque qui mobilisera 20 milliards d’euros par an pour financer les projets des collectivités et des acteurs du logement social. Des projets locaux. D’intérêt général. Des projets capables de structurer un territoire et de produire de la valeur. De la valeur économique bien sûr. Mais aussi de la valeur sociale et environnementale. Et j’ajouterais, de produire du sens.
Et puis, une banque pour les territoires, c’est une banque de « services ». Des services de proximité, faciles d’accès, y compris sur internet. Des services que des élus ne trouvent pas ailleurs. Je pense par exemple au conseil et à « l’ingénierie financière ». Tous les maires, tous les présidents d’exécutifs et tous les premiers ministres vous le diront : investir n’est pas un acte anodin. C’est un acte qui engage. Pas seulement vous ou votre majorité. Mais vos successeurs, vos administrés, les investissements et les impôts de demain. Quand on dirige une grande collectivité, on peut compter sur des services techniques très compétents. Mais quand on préside une collectivité de taille plus réduite, on est souvent seul devant la décision. Et pour prendre cette décision difficile, lourde, avec, je dirais, un maximum de sécurité et de sérénité, on a besoin d’une expertise. On a besoin, comme on dit en bon français d’un « sparring partner ». Ce service très humain que vous allez proposer, au sein de la CDC et de ses directions régionales, qui consiste au fond à rompre avec une forme de solitude du décideur, est extrêmement précieux.
Je ne mésestime pas, cher Eric Lombard, cher Olivier Sichel, les efforts de réorganisation de cette grande maison qu’est la CDC, d’explication et de formation que la création de cette banque implique, au sein d’une gouvernance rénovée de la CDC. Je voudrais profiter de ma présence ici pour adresser, par votre intermédiaire, mes plus chaleureux remerciements aux salariés du groupe Caisse des dépôts et Consignations qui ont accepté de relever ce beau défi avec un sens de l’efficacité et de l’intérêt général qui les honore. Ils ont choisi l’intérêt général. Que souligne votre beau slogan, avec la Banque des Territoires, « l’intérêt général a choisi sa banque ».
Des remerciements d’autant plus sincères que nous – j’entends par « nous », l’Etat, les collectivités locales, les bailleurs sociaux – allons avoir besoin de leurs compétences et de leur expérience. J’évoquerai trois domaines. Trois domaines dans lesquels l’Etat, la Caisse des Dépôts et la Banque des Territoires vont agir dans une logique de très forte complémentarité.
Le premier domaine, c’est celui des « cœurs de ville ». Des villes qui, en général, sont elles-mêmes des « cœurs de territoires ». Vous connaissez le phénomène : une boutique ferme, puis deux, puis trois. Les habitants prennent l’habitude de faire leurs courses dans la grande ville la plus proche. Les maisons se vident. Si bien qu’on ne croise plus grand-monde dans ces « cœurs de ville ». Et quand un cœur n’est plus irrigué, en général, il cesse de battre.
D’où le plan « Action cœur de ville » cher à Jacques Mézard. Son but : ranimer, irriguer à nouveau le cœur de 222 villes de France qui vont bénéficier d’une convention de revitalisation de 5 ans pour faire revenir des habitants et des commerces dans leur centre-ville.
Dans le cadre de cette convention, des cofinancements de l’Etat, des collectivités et de la Caisse des dépôts permettront d’engager des projets de réhabilitation et de mise en accessibilité. La Caisse mobilisera près d’1 milliard d’euros sur ses fonds propres et 700 millions d’euros sous la forme de prêts. Essentiellement pour investir dans de nouveaux équipements, rénover des logements et créer des nouveaux services urbains.
Après « Cœur de villes », suivra une autre initiative de même nature, annoncée par le Président de la République la semaine dernière : « Cœur de quartiers ». L’idée est là aussi, de faire revenir de l’activité, des services, dans des quartiers fragiles de métropoles et d’agglomérations.
Le deuxième grand domaine, c’est celui du logement.
Je ne reviens pas sur le rôle historique que joue la Caisse dans le financement du logement social. En 2017, ce sont 100 000 logements sociaux construits et 300 000 logements réhabilités grâce à son soutien et à la transformation de l’épargne populaire des Français confiée à la CDC. Je ne reviens pas non plus sur le détail du projet de loi ELAN dont le but est de créer un « choc d’offre », pour construire plus de logements, en particulier dans les zones tendues et à des prix abordables.
Vous le savez, nous souhaitons favoriser dans ce cadre, une vaste transformation du secteur du logement social. Une transformation qui passe notamment par des regroupements de bailleurs sociaux. En avril dernier, l’Etat et la Caisse des Dépôts ont annoncé un plan exceptionnel de soutien 10 milliards d’euros. D’abord pour soutenir la production de logements sociaux. Ensuite, pour accompagner les acteurs dans cette transformation.
À ce volet « financier » de l’accompagnement, la Banque des Territoires va ajouter un volet « conseil ». Un conseil de proximité pour aider ceux qui le souhaitent à préfigurer les futures sociétés anonymes de coopérations prévues dans le projet de loi ELAN.
Je voudrais ajouter un mot sur un autre volet de ce vaste chantier du logement et de la construction. Je veux parler de la rénovation thermique des bâtiments publics des collectivités.
Vous vous en souvenez peut-être, dans le cadre du grand plan d’investissement, j’ai annoncé une enveloppe exceptionnelle de 2 milliards d’euros de prêts bonifiés sur fonds d’épargne de la Caisse des Dépôts. S’y ajoutent 500 millions d’euros d’investissements en fonds propres pour réaliser des montages innovants, par exemple dans des sociétés qui réalisent des travaux d’optimisation thermique. Des montages qui permettent de financer les travaux grâce aux économies d’énergie. Avec comme objectif de réduire les consommations d’au moins 40%.
Je viens de signer avec la Caisse des Dépôts et l’ADEME une convention qui programme la réduction des dépenses énergétiques des collectivités locales dans le cadre du G.P.I. La Banque des Territoires apportera, quant à elle, un vrai accompagnement. Un accompagnement « all inclusive » si j’ose dire, qui concernera à la fois le diagnostic thermique, l’ingénierie financière, le déploiement des moyens de comptage et le suivi des dépenses.
Un mot très rapide sur le troisième et dernier domaine que je voudrais aborder. Celui du développement économique. Ou plutôt de « l’équipement économique » de nos territoires. Un équipement nécessaire si on veut que chaque territoire puisse se battre à armes égales, valoriser ses atouts. Deux illustrations.
La première, vous la connaissez, je l’ai annoncée à Cahors le 14 décembre dernier, c’est la couverture complète du territoire en haut débit d’ici 2020 et en très haut débit d’ici 2022.
Nous en poursuivons le déploiement, nous l’accélérons même, en lien avec la Caisse des Dépôts et avec l’aide des opérateurs.
Cette couverture numérique, c’est un peu le terrain de jeu de la Caisse et de ses filiales qui sont des pionnières dans la promotion des villes intelligentes. Des villes qui sont, en général, des « grandes villes intelligentes ». Or, de nombreuses villes, moyennes, de nombreux villages tout aussi intelligents comptent sur vous, sur la Banque des Territoires pour accéder aux nouveaux services numériques.
La deuxième illustration, c’est le tourisme. Inutile d’en rappeler les enjeux économiques. Ce n’est parce que nous sommes les premiers qu’il ne faut pas tout faire pour le rester. C’est pourquoi :
Le 19 janvier dernier, lors du comité interministériel du tourisme, la Caisse des Dépôts s’est engagée à réaliser 500 millions d’euros d’investissements touristiques durant les 5 prochaines années sur tout le territoire. Des sommes qui devraient permettre de réaliser pour 3 à 5 milliards d’euros d’opérations. C’est bien. Mais si l’argent fait beaucoup, il ne fait pas tout.
C’est là que la Banque des Territoires intervient. Pour aider les collectivités à gérer leurs relations avec leurs partenaires. Pour offrir une capacité d’expertise. Entraîner des investisseurs privés. Et pour conduire ces grands projets dans la durée. Projets de reconversion de bâtiments anciens. Projets de réhabilitation du patrimoine. Des projets très lourds qui nécessitent de pouvoir compter sur un « tiers de confiance », qui, là aussi, aide, conseille, documente la prise de décision, sans se substituer au décideur final.
Pour accomplir ces missions sur les territoires, la CDC peut compter sur l’activité de ses nombreuses filiales et sur l’engagement de leurs collaborateurs : habitat, immobilier, aménagement, transports publics, financement des PME et des ETI… c’est l’ensemble du groupe CDC qui contribuera à ce nouveau projet territorial.
Comme j’ai été long et technique. Que tout à l’heure, j’ai fait référence à un historien géographe, Fernand Braudel, que j’aime beaucoup. Et que vous avez placé la journée sous le thème, très actuel, du « printemps ». Je voudrais terminer avec un autre géographe. Et avec un peu de printemps. Ce géographe, c’est Paul Vidal de la Blache. Que disait-il ? Eh bien « qu’il faut partir de cette idée qu’une contrée est un réservoir où dorment des énergies dont la nature a déposé le germe, mais dont l’emploi dépend de l’homme ». On a furieusement envie d’ajouter : « Dont l’emploi dépend des hommes et des femmes de nos collectivités locales, de la Caisse des Dépôts, de tous les organismes qui se mobilisent pour nos territoires ». Des hommes et des femmes en qui les Français ont « Foi ». Et ils ont bien raison ! Je vous remercie.

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