Naturalisation, citoyenneté : ce qui doit rassembler les Français

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Manuel Valls.

Publié 13/11/2015

Retrouvez le texte de Manuel Valls, publié le 13 novembre.

Depuis quarante ans, une promesse électorale revient régulièrement : accorder le droit de vote aux étrangers pour les élections locales. Quarante ans et, à chaque fois, le même résultat : une promesse qui bute contre le mur des réalités. Je suis bien placé pour le savoir, ayant moi-même porté et défendu, en 2010, une proposition de loi.
Je connais les critiques qui sont faites à une gauche attendue sur le terrain du progrès et de la reconnaissance de nouveaux droits individuels ; une gauche que l’on accuse soi-disant de manquer de courage politique dès lors qu’elle exerce les responsabilités. Mais je sais aussi l’amertume de celles et ceux à qui ce droit de vote a été promis à maintes reprises, et qui n’ont jamais rien vu venir, et se sont sentis floués. Et ce d’autant plus qu’avec le Traité de Maastricht, les citoyens européens peuvent – même s’ils n’exercent que très peu ce droit – voter aux élections locales dans leur pays de résidence. Je connais, enfin, toute l’énergie mise, de longue date, et de bonne foi, dans ce large combat militant.
Il faut bien le dire : quarante ans de mobilisation se sont soldés par une impasse.
Que faire ? Je vois deux possibilités. La première, c’est celle de ne rien changer, de s’entêter face à l’exigence constitutionnelle qu’il faut surmonter, car pour faire aboutir cette mesure, il faut la faire adopter soit par une majorité qualifiée des trois cinquièmes du Congrès, soit par référendum. Dans les deux cas, ce serait la même impasse. Ce serait donc continuer à alimenter des espoirs qui ont, nous le savons tous, de très fortes chances d’être à nouveau déçus. Si le candidat de la gauche présente à nouveau cette mesure en 2017, il s’expose au risque de porter un engagement qui n’aura aucune chance d’être tenu. Ce serait également mener un combat loin, il faut bien le reconnaître, des préoccupations immédiates et concrètes des Français et des étrangers qui vivent en France : éducation, emploi, logement, sécurité, ou encore égalité de traitement.
La deuxième possibilité – et selon moi, elle s’impose à la gauche aujourd’hui – c’est de prendre le recul nécessaire pour comprendre les causes profondes de cette impasse. Elles tiennent à notre histoire et à la construction progressive de la figure du citoyen.
Au fil du temps, depuis le moment révolutionnaire, les formes concrètes de la démocratie n’ont cessé d’évoluer, de s’affiner. Et ce n’est que depuis la Troisième République que notre conception de la citoyenneté a pris une forme singulière : la citoyenneté a coïncidé avec la nationalité. Elle est devenue l’expression politique de l’appartenance à notre Etat-nation. Avec le suffrage universel masculin, puis le droit de vote accordé aux femmes, en 1944, l’expression politique de la citoyenneté s’est totalement confondue avec la nationalité. La Constitution le dit clairement : "sont électeurs, les nationaux" .
Cette histoire, cette construction progressive du citoyen est profondément ancrée dans notre conscience collective. C’est peut-être cela qui explique les débats, les clivages qui ont toujours traversé la gauche, mais aussi la droite s’agissant du droit de vote des étrangers extra-communautaires. Des débats, des clivages d’autant plus forts que, depuis deux siècles, la France, terre d’immigration – et je ne minimise pas les difficultés actuelles – a montré une certaine faculté à fabriquer des citoyens français qui jouissent pleinement de l’ensemble de leurs droits. Comme bien d’autres, j’en ai fait l’expérience.
Une fois ce recul pris, posons-nous la question : doit-on buter éternellement sur cette promesse non tenue, ou bien accepter d’avancer, de faire mieux, en revenant au fondement du modèle républicain ? Je crois que nous devons nous mobiliser pour les bons combats – ceux qui ne décevront pas et qui auront des effets concrets dans la vie de nos nouveaux concitoyens.
C’est la gauche qui a toujours porté le modèle républicain, ce modèle qui ne demande à personne de renoncer à ses racines ou à ses origines – ça, c’est le projet que propose une partie de la droite aujourd’hui. Le modèle que nous défendons est celui qui attend des futurs citoyens qu’ils adhérent, qu’ils assimilent et qu’ils partagent les valeurs de la République qui leur sont transmises par les institutions : la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité. C’est d’ailleurs en cela que notre modèle est profondément assimilationniste. N’ayons pas peur du mot ! Il ne signifie pas l’exclusion, bien au contraire ! La gauche rejette toute conception "identitaire" ou "ethnique" de la nationalité. Ça, c’est le projet inique de l’extrême droite.
Nous devons défendre notre conception ouverte et exigeante de la naturalisation et continuer à accueillir de nouveaux Français plutôt que de créer des « citoyens de seconde zone » n’ayant un droit de vote que pour les élections locales. Il y a même urgence à la défendre, parce que d’autres menacent de la détruire. Ils avaient commencé à agir, prolongeant dans les actes leurs débats sur l’identité nationale. Et ils ont en partie réussi, puisque entre 2011 et 2012, le nombre de naturalisés avait chuté de 40%. Ils ont fait de l’accès à la nationalité un parcours semé d’embûches pour dissuader les candidats. Faut-il rappeler que les salariés en CDD, les étudiants, les retraités vivant en France parfois depuis des dizaines d’années, tous méritants, voyaient leur demande presque systématiquement ajournée ?
Nous sommes revenus sur tout cela. Nous avons agi sur les délais d’instruction des demandes, sur les critères. Nous avons simplifié l’instruction des dossiers, repensé la formation des agents aux guichets, repensé l’accueil des candidats en préfecture, les modalités d’entretien, leurs supports. Nous avons généralisé l’organisation des cérémonies d’accueil des nouveaux Français. Nous avons remis la naturalisation à la place qu’elle méritait. Et les résultats se font sentir aujourd’hui, à travers la qualité de l’accueil, les délais et le nombre de naturalisés (+30% en deux ans). Tous ces efforts produiront encore plus d’effets à condition que nous soyons capables de maintenir notre vigilance et nos exigences.
Défendre notre modèle d’accès à la nationalité implique de savoir ce qui doit être conservé et défendu – par exemple, le délai minimal de cinq ans de résidence, un bon niveau de maîtrise de la langue – et ce qui peut évoluer dans l’ensemble du processus de naturalisation.
Notre devoir, c’est de faire en sorte que notre modèle donne envie d’être français. Et la meilleure des façons, c’est de s’atteler ensemble à faire vivre, à traduire dans les faits, et pour tous – Français et étrangers – les valeurs républicaines. Elle est là, l’autre urgence : mener, sans relâche, des politiques d’égalité dans l’éducation, des politiques d’accès à la langue française, le logement, l’emploi ; lutter contre toutes les discriminations, le racisme, mais aussi les communautarismes, les fondamentalismes qui menacent la cohésion de notre société.
Donner envie d’être français, c’est reconnaître l’engagement de ceux qui vivent, travaillent, créent de la richesse, se mobilisent dans la vie de la cité, à travers les associations notamment, et contribuent chaque jour à faire la France. C’est garantir la dignité de toutes celles et tous ceux qui vivent dans notre pays. C’est aussi cela, la politique de citoyenneté que nous menons.
Défendre notre conception ouverte, exigeante et progressiste de la naturalisation et de la citoyenneté : voilà ce qui, face à l’extrême droite, face à une vision étriquée et dangereuse de la nationalité, doit rassembler les Français aujourd’hui.
Manuel Valls

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