
« Il faut plus de femmes dans le numérique, elles pensent les services et les besoins différemment »
Le numérique serait-il l’apanage des hommes ? A 32 ans, Céline Lazorthes, la fondatrice et dirigeante de Leetchi.com, une des pépites du web français, est bien la preuve du contraire. L’an dernier, ce système de cagnotte en ligne, lancé en 2009, a séduit 2 millions d’utilisateurs à travers le monde.
C’est un peu la course ce jour-là. Un rendez-vous chez Bpifrance le matin, la visite des nouveaux locaux –deux fois plus grands - de son entreprise dans le 10e arrondissement de Paris. Si bien qu’à 17h, cette jeune femme pragmatique et décontractée avoue qu’elle n’a pas eu le temps de déjeuner. « Bien sûr que les femmes ont un rôle à jouer dans le numérique ! Axelle Lemaire a raison. Leur rôle est même essentiel car elles pensent les services et gèrent les entreprises différemment ». Céline Lazorthes aime le raconter : Leetchi est un service né d’un besoin qu’elle a identifié « en tant que nana ». À l’époque d’HEC, dont elle est sortie diplômée en 2008, elle passait son temps à courir après les billets de ses camarades pour des cadeaux d’anniversaire et d’enterrements de vie de jeune fille, ou l'organisation de week-ends étudiants. « C’est ma lecture féminine du problème qui m’a donné l’idée de créer ce service de collecte collective d'argent en ligne ».
En 5 ans, Leetchi a développé de nouveaux services, notamment Leetchi Cash qui permet d’envoyer rapidement de l’argent par courriel, et Mango Pay, une solution de paiement clef en mains pour les sociétés de e-commerce. Des pointures du secteur comme Xavier Niel et Patrick Chassany sont entrées au capital. « Ma start-up peine à être considérée comme une boite techno, alors que 60% de nos salariés sont des ingénieurs, surtout des hommes d'ailleurs, et que nos programmes de R&D sont supportés par la BPI. C’est parce que je suis une femme que les gens renvoient souvent de Leechi l’image d’un truc un peu marketing ».
Seulement 10% des startups sont créées par des femmes en France. « Les jeunes filles pensent que les métiers tech' sont des métiers de geek, ce qui est faux ! Ma CTO (directrice de la technologie, Chief Technology Officer en anglais) est une femme et dirige une équipe de 8 mecs, elle a le savoir technique que je n’ai pas mais pour autant nous partageons la même approche : chercher à simplifier une expérience et considérer que pour cela la technologie est à notre service, qu'elle est un moyen et non une fin ».
Si les femmes entreprennent souvent en partant d’un besoin, d’un manque observé dans la vie quotidienne, les hommes, selon elle, s’appuient davantage sur des conjonctures opportunes de marchés. « Ces deux façons d’entreprendre sont intéressantes et complémentaires ! », ajoute-t-elle.
Investie avec des copines dans le réseau « Girls in tech », elle ne rate jamais une occasion d’encourager les femmes à entreprendre. « Plus on sera nombreuses et meilleur sera le monde », s'exclame cette fille et petite-fille de médecins. Mettre en avant des modèles, voilà la solution. Son mentor à elle, c’est Catherine Barba, spécialiste du e-commerce devenue incontournable dans l’univers de la French Tech. « Elle a joué un rôle très fort, elle me fascinait. Elle est entrée dans mon conseil d’administration en 2010. Pour moi, c’est LA femme du numérique en France, elle m’a donné à la fois confiance et envie ».
Si trop peu de femmes franchissent le cap de l'entreprenariat, c’est avant tout parce que la société leur met des barrières en tête, estime cette jeune mariée. « Quand on entreprend, on est soi-même son propre ennemi ! J'ai eu cette chance d'être élevée dans l'idée que tout est possible, qu'on peut tout essayer ». En septembre dernier, elle part trois semaines en voyages de noces. Autant dire une éternité pour une chef d'entreprise. « Laisser son enfant sans prendre de nouvelles trois semaines, ce n’était pas concevable », explique celle pour qui travailler n'est jamais vécu comme une contrainte. « Savez-vous que, pendant la crise de 2008, les banques ayant plus de 30% de femmes dans leurs conseils d’administration s’en sont bien mieux sorties ? », interroge-t-elle un brin espiègle. « Les femmes envisagent la notion de risque de manière bien plus pragmatique ».
Sa mère a passé toute sa carrière à faire du lundi au jeudi l'aller-retour entre Toulouse et Paris, ce qui a probablement façonné son esprit d'indépendance. « Vous imaginez, qu'à l'époque, il n'y avait pas Internet. Forcément ça rend autonome ». Cette maman tellement moins bien payée que ses collègues, à l'époque. « Les inégalités salariales se sont un peu résorbées en 30 ans. Malgré tout l’arrivée d’un enfant complexifie encore trop la carrière des femmes ». Elle le constate dans son entourage amical et professionnel, l'égalité se fissure à l’arrivée d’un enfant dans le couple. « La parentalité est mal répartie. A mes salariés garçons, je leur laisserai bien sûr la possibilité de prendre une partie du congé parental. Et pourquoi ne pas réfléchir à faciliter le temps partiel aussi pour les hommes ? », ajoute-t-elle. « Heureusement, les hommes de ma génération, les trentenaires sont davantage concernés par la paternité ». Dans 10 ans, Céline Lazorthes s'imagine simplement heureuse avec une vie de famille accomplie. « Ma vie privée reste ma priorité, même si mon mari vous dirait le contraire ! »
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