Discours à l'occasion de la visite du Premier ministre au Louvre Abou Dhabi (Emirats arabes unis)

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 10/02/2018

Seul le prononcé fait foi
Excellence, Mme la Ministre Noura AL KAABI,
M. Mohamed AL MUBARAK,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le président-directeur du musée du Louvre,
Monsieur le directeur du Louvre Abou Dhabi,
Cher Jean Nouvel,
Des mirages, je savais avant de venir ici, que ça existait. Qu’on pouvait en être victime dans le désert. Et pas uniquement dans le désert d’ailleurs. Des miracles, il en survient parfois dans l’histoire des peuples. Et dans la vie aussi. Mais un mirage qui se change en miracle,
il n’y en a qu’un, je viens de le voir et pour être honnête, je suis encore sous le choc.
Je dis « mirage » parce que quand, en 2006-2007, j’ai, pour la première fois, entendu parler du futur projet d’accord intergouvernemental de mars 2007, je me disais que tout cela était beau. Très beau même. Presque trop beau pour être vrai. À l’époque, je m’intéressais déjà un peu à la politique. Je connaissais aussi les relations internationales. Je les connaissais assez pour savoir que parfois les déclarations d’intention ne résistent pas à l’épreuve du temps. Ni à celles, redoutables en France, des alternances et des remaniements.
Et puis, je l’avoue, je doutais que notre époque soit encore capable de nourrir un « Grand dessein ». Cette expression, on la connait bien au Louvre. Elle désigne le projet qu’Henri IV avait conçu pour agrandir le Palais du Louvre et le relier au Palais des Tuileries, grâce notamment à deux galeries, dont la célèbre « Grande Galerie » ou « Galerie du bord de l’eau ». Or, il a fallu attendre Napoléon III, soit presque deux siècles et demi, pour que ce « Grand Dessein » s’achève. Alors, là, on a fait un peu plus que construire une galerie au bord
de l’eau. Et ce grand dessein n’a pas vu le jour en deux siècles et demi, mais en dix ans.
Ce miracle, on le doit à des visionnaires, à Son Altesse Cheikh Khalifa bin Zayed Al Nahyan, président des Emirats Arabes Unis,
à son Altesse Cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan, prince héritier d’Abou Dhabi et au président Jacques Chirac auquel je veux rendre hommage. Ce miracle, on le doit aussi à des hommes et des femmes déterminés : à vous, cher Jean-Luc Martinez, à votre prédécesseur Henri Loyrette, aux dirigeants de l’Agence France Museum, aux présidents et directeurs des musées prêteurs français. Mais ce miracle, on le doit aussi à vous cher Jean Nouvel.
Alors, en France, on a une expression très connue pour décrire l’émerveillement. J’ignore ce qu’elle donnera avec la traduction. Mais quand on a vu quelque chose d’extraordinaire, on dit « qu’on a des étoiles plein les yeux ». Eh bien, j’ignorais qu’un jour ça m’arriverait
en vrai. Tout ce que le monde compte de spécialistes d’architecture ont salué votre œuvre avec des mots et des concepts très savants
que je serai bien incapable de reproduire ici. Et tous les superlatifs font pâle figure pour décrire ce que nous venons de voir. En pénétrant sous ce dôme qui semble être tout droit descendu du ciel, je me suis souvenu d’une phrase de Montaigne qui disait : « Eduquer, ce n’est pas remplir des vases, mais c’est allumer des feux ». Eh bien, cher Jean Nouvel, quand on reçoit cette pluie de lumière sous ce dôme, c’est exactement ce qu’il se produit. Ce que l’on ressent.
Alors, ce miracle n’est pas que politique, diplomatique ou architectural. Il est surtout culturel et humain. Je voudrais qu’on s’arrête deux minutes sur ce que signifie de construire un musée universel au 21è siècle. Le premier du millénaire. Le premier aussi du monde arabe.
Ça signifie d’abord que l’universalité demeure une des valeurs cardinales de l’Humanité. Or, très sincèrement, quand on regarde l’actualité, l’évidence ne saute pas aux yeux. Le rappeler, le clamer, l’affirmer, ça revient, comme le disait Albert Camus, « à opposer
la morale du dialogue à la morale du meurtre ».
Ça signifie ensuite qu’à l’heure où des œuvres à Bamiyan, à Nimrud, à Tombouctou ou à Palmyre ont subi des destructions irréparables, s’ouvrent de nouveaux sanctuaires. Des sanctuaires qui montrent quoi ? Pas uniquement des œuvres, mais une fécondation réciproque. Une histoire culturelle de la mondialisation. L’histoire de la diffusion des œuvres et des influences. La fabuleuse histoire des conquérants, des caravanes, des navigateurs, des marchands, des apprentis, des élèves et des compagnons, de ces frontières de l’esprit qui sont toujours plus larges que celles de la géographie.
Ça signifie enfin qu’à l’ère du numérique, rien ne remplace le contact direct avec une œuvre. Ce face à face, ce dialogue silencieux qui s’engage entre un visiteur et une œuvre qu’il découvre soit de manière intentionnelle, soit, cher Jean-Luc Martinez, après s’être un peu perdu au musée du Louvre. Mais ce n’est pas grave : on y vient justement pour ça. Ce choc, ce coup de foudre, nous l’avons tous ressenti au moins une fois. Parfois d’ailleurs devant des œuvres qui ne sont pas forcément les plus connues. Des œuvres qui s’impriment sur notre rétine avant de se graver dans notre mémoire. Et pour certaines d’entre elles, dans notre cœur.
Et c’est là qu’apparaît l’évidence. L’évidence de la France et des Emirats Arabes Unis. L’évidence de deux pays qui sont deux carrefours. L’un en Europe, l’autre en Asie. Deux pays qui, dans l’histoire, ont toujours été des ponts entre l’Orient et l’Occident. Deux pays qui, aujourd’hui, avec ce musée, continuent d’être des passeurs. Des passeurs de culture, d’échanges, de rencontres.
C’est là qu’apparaît également l’évidence du Louvre. L’exposition inaugurale l’explique très bien. Elle montre en quoi ces deux musées
que l’espace et le temps séparent, partagent un A.D.N. commun. Cet A.D.N, c’est la volonté politique, c’est l’universalité, c’est l’ouverture au public, à tous les publics. C’est enfin le souci de l’architecture. Après tout, le Louvre est le seul musée au monde dont la porte d’entrée – la célèbre Pyramide – est une œuvre d’art. Ici, c’est le toit qui est une œuvre d’art.
Alors, je me réjouis très sincèrement de la voir vivre cette évidence :
Dans les écoles publiques émiriennes où vous avez réintroduit, après trente ans d’absence, l’apprentissage du français. Je crois que c’est déjà le cas dans dix écoles pilotes dont je salue et je remercie les représentants.
Dans les programmes scolaires où la littérature française a fait son grand retour, son « come-back » comme on dit, hélas, parfois chez nous.
Cette évidence, elle revit aussi dans les cinémas émiriens où des œuvres françaises commencent à trouver leur place à côté d’autres productions.
Et d’une manière générale, dans la vie culturelle de votre pays. Le programme culturel franco-émirien qui a accompagné l’ouverture du musée a permis de mettre en valeur tous les arts. La musique, la danse équestre, le spectacle pyrotechnique, le théâtre aussi grâce notamment à la création d’une troupe nationale en partenariat avec le Conservatoire national supérieur d’art dramatique.
Nos deux pays veulent désormais que ce dialogue s’enrichisse :
C’est pourquoi j’ai le plaisir d’annoncer aujourd’hui, avec madame la ministre Noura AL KAABI, le lancement du « Dialogue culturel franco-émirien » que le président de la République avait annoncé à l'occasion de sa visite.
Ce dialogue va se traduire par l’organisation d’une série d’évènements en France et aux Emirats Arabes Unis autour de l’art bien sûr, mais aussi de l’intelligence artificielle, de la protection du patrimoine en danger, de la promotion des langues française et arabe.
Et puis ce dialogue sera aussi l’occasion de nous associer aux célébrations du centenaire de la naissance de Cheikh Zayed, père fondateur de la nation émirienne et grand ami de la France sans lequel au fond, nous ne serions sans doute pas réunis ici aujourd’hui et dans un tel lieu.
Dans « Les mémoires d’Hadrien », Marguerite Yourcenar prête ces mots à l’empereur vieillissant : « Je me sentais responsable de la beauté du monde ». Il y a dix ans, des visionnaires se sont senti responsables de la beauté de ce monde, celui d’aujourd’hui. Sachons nous inscrire dans leur sillage, nous montrer dignes de leur héritage. Sachons nous sentir responsables de cette beauté du monde qui a pour nom « universalité ». Je vous remercie.

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