Discours devant le Congrès de Nouvelle-Calédonie

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 08/12/2017

Monsieur le Président du Congrès,
Mesdames, les Ministres,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président du Gouvernement,
Monsieur le Haut commissaire,
Messieurs les Députés,
Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les Membres du Congrès,
Chers Membres du Congrès des jeunes de la Nouvelle-Calédonie,
Mesdames et Messieurs.
Il y a exactement 500 ans, deux décisions, deux événements sans lien le premier avec le second, ont participé à la transformation du monde de l’époque et ont commencé à modeler le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. En février 1517, le roi François 1er décide de doter la France d’un grand port capable d’armer des bateaux susceptibles à l’époque de participer à la découverte du Nouveau Monde, c’est-à-dire à la traversée de l’Atlantique, pour conquérir, pour exploiter, pour profiter des richesses inouïes qu’évoquent ceux qui reviennent.
Ce sera le port du Havre et il servira au XVIème siècle à cette conquête de l’Atlantique et de l’Amérique. Et il servira à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle à la découverte et dans une certaine mesure à la conquête du Pacifique. En octobre de la même année 1517, en Europe encore, à Wittenberg, LUTHER publie ou placarde plus exactement ses fameuses 95 thèses. Se faisant, il va remettre en cause l’unité qui était d’ailleurs assez relative du monde chrétien et créer le protestantisme.
Pourquoi évoquer ici en 2017, 500 ans après, à Nouméa dont l’un est certes relatif à une ville qui m’est chère mais qui sont néanmoins lointains ? Parce que, Mesdames et Messieurs, ces deux événements consciemment ou inconsciemment ont transformé le monde, ont transformé le monde géographique en le rapetissant et ont transformé le monde symbolique, le monde religieux.
Est-ce que ceux qui vivaient cette période avaient conscience qu’ils transformaient le monde ? Probablement. Est-ce qu’ils avaient une idée claire de l’impact de leurs décisions ? Aucunement. Mesdames et Messieurs les membres du Congrès, Mesdames et Messieurs, depuis 30 ans la Nouvelle-Calédonie vit une transformation du monde consciemment ou inconsciemment. Cette transformation a plusieurs noms, le rééquilibrage, le destin commun, la reconnaissance de l’identité. Elle s’accompagne de phénomènes qui sont bien plus globaux, bien plus mondiaux, le changement climatique, la nouvelle mondialisation.
Dans les Feuillets d’Hypnos où il parle et où il écrit sur la Résistance, le poète René CHAR ose la formule suivante : « notre héritage n’est précédé d’aucun testament ». Ca n’est pas le cas pour vous, ça n’est pas le cas pour nous. Nous allons vers la consultation et vers la transformation de notre monde par un chemin qui est balisé et qui a été balisé voici de longues années même si nous le construisons chaque jour. Ce chemin, je le dis ici aujourd’hui, a été balisé par des géants, nous le construisons chaque jour bien entendu mais nous devons savoir que les premiers pas sur ce chemin ont été faits par des hommes qui étaient à la fois justes et grands.
En 1988, au moment même où j’atteignais pour ma part l’âge de la citoyenneté j’ai vu Michel ROCARD baliser ce chemin et incarner cette puissance et cette noblesse de la politique. Une puissance et une noblesse de l’action politique qui s’incarne aussi dans des gestes comme la poignée de mains entre Jean-Marie TJIBAOU et Jacques LAFLEUR. Je veux vous dire, Mesdames et Messieurs, vous qui avez vécu intimement cette période que cette image, ces actes pour un jeune homme qui ignorait tout de la Nouvelle-Calédonie en 1988 étaient d’une puissance exceptionnelle, avaient une force inspiratrice incroyable et que beaucoup d’hommes et de femmes de ma génération qui se sont engagés en politique l’ont fait notamment parce que dans ces gestes et dans ce dialogue il nous apparaissait qu’il y avait ce que la politique peut faire de plus beau et de plus grand.
C’est pour faire mémoire de ces gestes et de cette œuvre de paix que je me suis recueilli devant les tombes de Jacques LAFLEUR samedi à Nouméa et de Jean-Marie TJIBAOU hier à Tiendanite. Ils ont montré ce que peut la volonté politique, comment elle peut trouver le chemin qui permet de dépasser des haines, des violences sans pour autant parvenir totalement à effacer les peurs, les souffrances, le souvenir des violences des victimes. Et c’est avec un profond respect que je m’incline devant la mémoire des trop nombreuses victimes des événements des années 80 en ce jour anniversaire de la mort des 10 de Tiendanite.
Durant ces quatre jours que j’ai passés en Nouvelle-Calédonie, qui sont évidemment beaucoup trop courts, j’ai entendu beaucoup de paroles et beaucoup d’entre elles invoquaient l’accueil, l’amitié, la vie collective, et avec une tonalité particulière à l’occasion du retour du tirailleur Kalepo WABETE à Tiga, la paix. J’ai aussi entendu que chacun avait en tête l’échéance de la consultation et la volonté que cette consultation ne conduise pas à des tensions, chacun a insisté sur le dialogue.
Pour aborder cette consultation mais surtout pour construire l’avenir nous pouvons contrairement à ce qu’indiquait René CHAR nous appuyer sur un héritage. Si j’osais la comparaison économique je dirais que vous avez fait fructifier un actif immatériel d’une valeur considérable. Et je veux y insister car peut-être en avez-vous confiance sans doute, conscience aussi mais peut-être vivant tellement dans ce mécanisme et ce processus il peut arriver qu’on en sous-estime ou qu’on s’habitue à sa valeur incroyable.
Ce qui a été fait ici depuis 30 ans est unique et incroyablement précieux et vous pouvez en être fiers et la France entière doit en être fière, elle doit le connaître, elle doit le savoir, elle doit le dire. Cet actif immatériel, cette façon de travailler que vous avez su faire fructifier est d’une forme sans précédent dans l’histoire et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle a probablement inspiré plusieurs processus de paix et elle est à ce jour sans équivalent dans le monde.
Cette forme politique, cette qualité du dialogue est manifeste dans les institutions de la Nouvelle-Calédonie, je pense en particulier à la nécessité des contrepoids, des équilibres entre les institutions et les compétences qu’elles exercent. Je pense aussi à une forme de mesure, j’oserai dire de tempérance ou de retenue dans l’exercice du fait majoritaire et je sais combien vous y êtes attachés. Cette retenue s’exprime dans la logique de fonctionnement du gouvernement émanant du Congrès mais aussi dans l’état d’esprit qui habite d’autres lieux comme la salle du Conseil de l’Hôtel de Matignon lors de notre Comité des signataires de l’Accord de Nouméa le 2 novembre dernier.
Elle repose en définitif sur la capacité à nourrir un dialogue politique permanent entre les forces politiques représentatives sans se limiter à une lecture reposant sur une distinction indépassable entre majorité et opposition. J’observe au demeurant que la configuration physique du Congrès épouse cette perspective propice au dialogue et aux échanges à la différence d’une organisation en hémicycle complet ou a fortiori du face à face de la Chambre des Communes à Londres. Ce sens du compromis je le vois aussi ici, il a été porté à un point symbolique très fort avec le déploiement des deux drapeaux que j’ai observés en entrant dans ces lieux comme je l’ai observé dans de nombreux lieux publics en Nouvelle-Calédonie.
Malgré les difficultés conjoncturelles et malgré ses oppositions, ces principes communs font partie des points de convergence, des acquis de ces trente dernières années en Nouvelle-Calédonie. J’ai la conviction, l’intuition que ces pratiques politiques, ces coutumes institutionnelles si vous m’autorisez cette expression sont aussi fortes et, qui sait, aussi irréversibles que les transferts de compétences.
Je le dis sous le contrôle de Madame la Garde des Sceaux, je pense que vous avez su faire naître des formes d’équilibre, de pratique et de fonctionnement institutionnel propres à la Nouvelle-Calédonie qui sont une chance considérable.
Dialoguer, parler, j’en mesure à nouveau toute l’importance au terme de ces quatre jours. Je souhaitais toutes ces rencontres avant de m’adresser à vous, toutes ces visites dans chacune des provinces, non pas du tout pour ménager un quelconque suspense en annonçant de façon tonitruante devant vous et après avoir fait monter la sauce, comme on dit en langage trivial. Pas du tout. La politique n’est pas une série télévisée et ça n’était pas dans mon idée que de faire monter un suspense. Mais par respect, par humilité, devant une Histoire qui nous oblige, devant des réalités que je ne prétends pas connaître intimement et pour, à mon tour, après avoir été à la rencontre de vos paroles, porter en retour la parole de l’État qui s’engage en connaissance de cause.
Cet engagement, qui est mon engagement personnel, comme celui des ministres qui m’accompagnent et du Gouvernement dans son ensemble, c’est d’abord un engagement de méthode. Le respect de la parole de l’interlocuteur, du partenaire ou du vis-à-vis, comme certains d’entre vous peuvent qualifier. Respect qui commence par l’écoute et donc par une forme de silence, à la manière des cérémonies coutumières qu’avec ma délégation, j’ai vécues avec beaucoup d’intensité.
Ce respect, c’est une forme d’humilité mais j’ai la conviction que l’humilité, c’est aussi un autre nom pour la responsabilité ou, plus exactement, pour cette responsabilité à hauteur de laquelle chacun d’entre nous doit être selon son rôle ou sa mission, en particulier dans cette année 2018 qui est à la fois l’accomplissement d’une parole donnée il y a 20 ans et l’opportunité ou le risque que vous connaissez tous.
Je dis cette opportunité et ce risque car, comme tous les moments historiques, comme tous les moments de transformation du monde, l’année 2018 constitue en même temps une richesse, une opportunité et un moment tellement sensible qu’il présente évidemment des risques.
Je les mesure ces risques. Je mesure les appréhensions comme les aspirations mais j’ai confiance dans nos capacités collectives à aller au-devant de nous-mêmes et c’est le quatrième principe sur lequel je veux poursuivre nos échanges, cette confiance en nous. La confiance ne part pas d’un sentiment vaguement optimiste, d’une forme de naïveté. Non, la confiance que j’évoque, elle a d’abord sa source dans la conscience de notre faiblesse et même de notre petitesse, celle que j’ai ressentie à plusieurs reprises face à l’immensité de votre territoire, face à l’immensité de la tâche, face à l’ancienneté des cultures.
On peut avoir peur, Mesdames et Messieurs, lorsqu’on prend conscience de sa faiblesse face à l’immensité mais pour ma part, j’ai toujours considéré qu’il fallait surtout avoir peur de ceux qui ne saisissent pas cette immensité, cette Histoire, cette responsabilité qui les dépasse. N’ayons pas peur de nos appréhensions, n’ayons pas peur de nos peurs, ce sont elles qui, en conscience, nous permettent de construire l’avenir plutôt que de l’affronter.
Comme nombre d’entre vous me l’ont dit durant ces derniers jours, ce qui compte autant que la consultation, c’est ce qui passe, c’est ce qui se passe après, pas seulement le jour d’après, le fait que la vie ensemble se poursuit dans un après qui n’est pas simplement un jour, mais qui est une vie, une vie individuelle, personnelle et une vie collective.
Il y a les institutions, bien entendu, il y a le droit, mais il y a aussi la vie, ce savoir-vivre ensemble spécifique à la Nouvelle-Calédonie, forgé par son Histoire, forgé par l’identité Kanak, forgé par ces échanges avec les autres cultures, forgé par sa relation avec la France.
Nous sentons collectivement – et vous l’avez exprimé lors de la réunion des signataires samedi dernier – que 2018 est une année historique pour le fait calédonien.
Nous devons collectivement, État et forces politiques de Nouvelle-Calédonie, contribuer à dessiner ce chemin du « vivre ensemble » pendant et après la consultation. Pour cela, je voudrais vous proposer une méthode simple et éprouvée, une méthode que je ne prétends pas inventer, c’est une méthode qui a déjà porté ses fruits.
D’abord, un dialogue resserré avec une dizaine de représentants nominativement désignés des forces politiques. C’est ce groupe qui pourrait déterminer collectivement la manière et le moyen de rendre publics les travaux et leur évolution, les travaux que je vais évoquer.
Un temps d’échange qui ne soit pas borné dans le temps mais qui soit véritablement un temps d’échange, marqué par le respect de l’autre et l’écoute des paroles différentes.
J’ai la conviction que nous devons prendre le temps de continuer la discussion et la focaliser sur des sujets qui déterminent directement la façon dont nous vivrons après la consultation.
Des points de rendez-vous, le premier étant un comité des signataires que je propose de présider en personne pendant la première quinzaine de mars à Paris. Quand je dis pendant la première quinzaine de mars, ça ne veut pas dire un comité des signataires qui durerait 15 jours. Je le dis parce que lors du dernier comité des signataires, j’ai indiqué que je voulais bien y consacrer beaucoup de temps mais 15 jours me semblent excessifs. Ce sera donc pendant la première quinzaine du mois de mars et nous prendrons, pendant cette première quinzaine, tout le temps qu’il faudra.
Ensuite, quatre thèmes de travail. D’abord, entre maintenant et peut-être la fin du mois de janvier, je vous propose de dresser le bilan de la mise en œuvre de l’accord, de convenir sur ce bilan : les acquis, les restes à réaliser, les richesses, les manques aussi. Autrement dit, comment qualifier ce bilan.
Pour ma part, j’ai été frappé – probablement parce que vu de Paris, je négligeais cet aspect ou j’en avais moins pleinement conscience que ceux qui vivent ici – j’ai été frappé par la question du rééquilibrage entre le sud et le nord. J’ai été frappé par ses effets : l’essor économique et les initiatives, tant dans les îles Loyauté, dans le développement de la zone qu’on appelle ici VKP, avec la création prochaine d’une antenne de l’université sur les terres coutumières de Baco.
Je pense que nous pourrions commencer la première rencontre en nous interrogeant sur ce qui est le plus emblématique des principales ambitions de l’accord, en particulier le destin commun. C’est le premier thème.
Ensuite, la question des compétences transférées ou à transférer. Elle est au cœur de nos échanges, nous devons avancer.
Troisième thème, la place de la Nouvelle-Calédonie dans le monde, dans son espace régional, bien entendu, mais sans la cantonner à cet espace régional qui n’est pas clos, qui n’est pas autonome et qui est lui-même affecté, déterminé par des évolutions mondiales.
Enfin le socle des valeurs et des projets qui font consensus et qui est le substrat de la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui et de demain. L’objectif serait qu’à la fin du 1er semestre, nous ayons en commun un socle d’analyses, de valeurs et de projets permettant d’avancer et je ne veux pas préjuger de ce à quoi nous pourrions aboutir. Mais je le redis, j’ai confiance dans le sens des responsabilités de chacun et j’ai confiance dans l’héritage d’une pratique politique à nulle autre pareille sans précédent et sans équivalent dans le monde.
Je viens d’évoquer les points de convergence, les valeurs communes, mais tout le monde dans cette pièce a en tête l’échéance de la consultation sur l’accession à la pleine indépendance, prévue par l’Accord de Nouméa.
Je souhaite maintenant l’évoquer avec vous, même si je le redis avec insistance, cette échéance est importante, mais toute la Nouvelle-Calédonie n’est pas dans cette échéance.
Dès ma prise de fonction et en raison de l’urgence qui préside à la consultation sur l’accession à la pleine indépendance, j’ai voulu rappeler des principes simples. Premier principe, la consultation aura lieu et l’État prendra toute sa responsabilité pour la préparer, j’y reviendrai tout à l’heure.
Deuxième principe, le résultat du scrutin devra être reconnu par tous comme légitime et sincère. Je reprends ici les qualificatifs du relevé de conclusion du dernier comité des signataires de l’Accord de Nouméa dans la partie qui introduit l’accord politique sur les inscriptions d’office sur les listes électorales.
Cela signifie que l’État est totalement engagé pour que le scrutin se déroule dans des conditions de transparence telles qu’il ne puisse pas être contesté. Je veux saluer les efforts conduits depuis plus de deux ans pour constituer la liste électorale spécifique à cette consultation. Efforts que les experts de l’Organisation des Nations unies ont d’ailleurs relevés.
À côté des actions engagées pour l’inscription d’office, nous devons poursuivre le travail d’information et je suis heureux d’avoir pu lancer avec Teddy RINER la campagne de sensibilisation à l’inscription et, par voie de conséquence, au vote des plus jeunes.
Les nouvelles modalités d’inscription d’office répondent au même objectif commun, assurer la légitimité et la sincérité des résultats de la consultation. Dans la continuité de l’accord politique du 2 novembre dernier, mon Gouvernement a proposé au Congrès un projet de loi traduisant cet accord. Le Congrès a su trouver un chemin pour faire évoluer le projet de loi organique, en particulier s’agissant des modalités de la présomption de détention du centre des intérêts matériels et moraux pour les personnes nées en Nouvelle-Calédonie et y résidant depuis plus de trois ans.
Le Gouvernement a repris votre proposition de créer un article spécifique, le nouvel article 218-3. En revanche, je l’indique, la modification concernant le régime général des procurations pendant la consultation n’a pas pu être intégrée à ce stade, le Conseil d’État considérant que la formulation retenue présentait des risques d’inconstitutionnalité, en particulier d’incompétence négative du législateur. Cela n’est pas irrémédiable. Il appartiendra au Parlement de prendre en compte ces éléments.
Je veux saluer le travail réalisé sur ce projet de texte, comme d’ailleurs sur l’ensemble de ce dossier. Je veux saluer l’implication personnelle de Madame Annick GIRARDIN, ministre des Outre-Mer. C’est elle qui portera ce projet au Parlement et je voudrais remercie Madame Yaël BRAUN-PIVET, présidente de la commission des lois à l’Assemblée nationale, qui a bien voulu m’accompagner lors de ce déplacement et qui m’a dit combien elle serait attentive à ces travaux.
Il y a là, j’y insiste, un dialogue entre le comité des signataires et les institutions. Autant de lieux politiques que je veux saluer au travers du rôle que le Congrès a tenu tout récemment. Et dans cette phase de préparation de la consultation, qui elle aussi doit être marquée par le sens du compromis, il est très positif, comme vous l’avez évoqué, Monsieur le Président, que le Congrès se saisisse de la désignation de la date de la consultation. C’est la lettre, comme l’esprit, de l’Accord de Nouméa.
Les travaux conduits depuis le comité des signataires ont montré que le choix de cette date était contraint par des considérations pratiques mais je pense qu’il est utile et prometteur que vous puissiez faire une proposition sur le moment le plus opportun pour cette consultation.
Je forme le vœu que vos travaux portent également sur la formulation de la question, même si cela ne relève pas stricto sensu de la compétence propre de votre institution, au sens de la loi organique. Que le Congrès délibère illustrerait la relation très féconde qui existe de longue date entre les travaux conduits sous l’égide du comité des signataires et les institutions de Nouvelle-Calédonie.
Nous devons être particulièrement vigilants à la formulation de la question qui sera posée. Le champ des possibles est de toute façon borné. D’une part, l’Accord de Nouméa fixe la nature de la question qui doit porter sur l’accession à la pleine souveraineté. D’autre part, les normes internationales et nationales sur les consultations référendaires sont claires, la question doit être sans ambiguïté et compréhensible. En d’autres termes, elle implique nécessairement un effort de simplification, un effort de simplification extrême même et une formulation binaire.
On peut regretter ou se réjouir de cette formulation binaire mais elle est là ou elle sera là et elle ne doit pas résumer à elle seule le débat sur le sens et sur les projets de société néo-calédonienne.
Nous devons aussi définir précisément les modalités de la campagne. Je pense notamment aux supports d’information qui devront être mis à disposition des votants, qu’il s’agisse des documents établis par les forces politiques participant à la campagne, comme des documents de nature pédagogique ou informative. D’ores et déjà des documents ont été largement médiatisés, les missions mandatées par les précédents gouvernements : je pense, par exemple, à la mission de Jean COURTIAL et de Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN en 2011, puis celle sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, les missions constituées par les Assemblées.
Je veux d’ailleurs saluer la présence ici avec nous des anciens ministres Jean-Jacques URVOAS et Dominique BUSSEREAU qui ont présidé la mission de l’Assemblée nationale. Tous ces travaux – ceux des universitaires, ceux de la société civile – doivent être versés, portés au débat public.
Concernant la campagne elle-même, j’ai la conviction que nous devons innover pour assurer la sérénité des jours d’avant. C’est pourquoi j’ai proposé que soit réunie une forme de commission des sages qui pourra veiller à ce que les propos et les débats soient fidèles aux paroles et soient à la hauteur de ce qui doit être transmis aux jeunes générations. Nous pensons souvent au poids de l’héritage mais n’oublions pas le poids de notre responsabilité vis-à-vis des plus jeunes.
Un tel groupe aurait la charge à la fois lourde et fragile de veiller à ce que les propos de campagne ne viennent pas blesser la société calédonienne en violentant ses valeurs, celles qui figurent dans notre Constitution avec la Déclaration des droits de l’homme, celles qui sont intimement liées à la civilisation Kanak, celles qui s’enracinent dans l’héritage des religions, celles qui figurent dans le préambule de l’Accord de Nouméa – je pense notamment au projet de charte élaborée par la mission d’écoute et de dialogue en 2016.
Bien entendu, dans mon esprit, ce comité ne serait pas une Haute Autorité de censeurs, ne se substituerait pas à l’autorité judiciaire pour sanctionner d’éventuelles infractions, il serait plutôt un collectif de sagesse, conscient de la fragilité de l’édifice politique et soucieux d’accompagner la construction de cet édifice vers une nouvelle étape.
Permettez-moi un dernier mot sur la consultation, une forme de pas de côté par rapport aux réflexions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et la souveraineté telle qu’elle est définie par l’Accord de Nouméa. Je veux insister sur une dimension de la consultation qui me semble à ce jour non pas occultée, mais peut-être pas forcément évoquée avec suffisamment de clarté, à savoir le sens de la participation.
Le jour du scrutin, le peuple calédonien tel qu’il a été constitué par l’Accord de Nouméa, collectivement et non pas simplement par l’intermédiaire de ses représentants, va se prononcer sur l’avenir politique de la Nouvelle-Calédonie. Il va le faire de manière totalement autonome, c’est-à-dire souveraine. L’État y apporte et y apportera son plein concours, j’en ai déjà longuement parlé, mais en définitive, la simple organisation de cette consultation est par elle-même déjà un élément de souveraineté.
Mesdames et Messieurs, le débat institutionnel, il est important, il est sensible, mais il n’est pas tout. La transformation du monde que nous vivons n’est pas seulement institutionnelle, elle touche la vie quotidienne et nul ici n’oublie ou ne doit oublier les urgences de la vie quotidienne et les tendances lourdes et profondes dans lesquelles le monde entier et donc la Nouvelle-Calédonie sont inscrits.
Certaines de ces urgences peuvent avoir des effets à long terme : je pense à la transition énergétique et au développement durable. Cette dimension était au cœur de notre rencontre avec la province des îles Loyauté, par l’actualité d’abord, avec un littoral souillé par des boulettes d’hydrocarbure vraisemblablement provenant du fuel qui n’a pas pu être extrait du Kea Trader. Avec le président du gouvernement, Sébastien LECORNU, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Etat en charge de la Transition écologique et solidaire, a pu apporter des explications sur notre action.
Ensuite, par le projet d’autonomie énergétique qui se traduit par des contrats-cadres signés dimanche avec l’ADEME et par le développement de plusieurs sources d’énergies renouvelables dans les îles Loyauté dont cette station photovoltaïque que nous avons inaugurée avec le présidence de la province à Hapetra.
Je veux insister sur cet enjeu d’adaptation aux changements climatiques dans cette zone du monde qui y est particulièrement exposée. Nous souhaitons accompagner de manière très active la construction par vos soins du plan d’action du parc naturel marin qui est le plus étendu de France. Je suis convaincu que la réussite de ce parc contribuera au rayonnement de la Nouvelle-Calédonie auprès des pays du Pacifique. Sébastien LECORNU va y travailler avec le gouvernement de Nouvelle-Calédonie cet après-midi.
L’Etat demeure pleinement engagé dans ses champs de compétences et dans l’accompagnement des collectivités de Nouvelle-Calédonie, en particulier par les contrats de développement dont les moyens pour 2018 sont renforcés par rapport à ceux de 2017.
Je peux également vous confirmer le soutien de l’Etat aux projets structurants comme la construction d’un hôtel à Lifou, dont le dossier de financement pourra être redéposé l’année prochaine, afin qu’une décision soit prise rapidement.
Je pense aussi aux compétences régaliennes, en particulier à la sécurité. Les ministres de l’Intérieur, de la Justice et des Outre-Mer – madame BELLOUBET et madame GIRARDIN m’accompagnent – ont fait part de leurs orientations lors du Comité des signataires. Des moyens supplémentaires ont été décidés pour faire face à certains types de délinquance et d’insécurité qui ont fortement crû ces dernières années comme l’insécurité routière.
Une attention particulière est apportée à la question de la prévention et de la répression de délinquance des plus jeunes. Je sais que madame la Garde des Sceaux y est particulièrement vigilante, de même que Gérard COLLOMB, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur.
Je veux également annoncer ici que conformément à vos demandes, Messieurs les Députés, Madame la Maire de Nouméa, la Police de sécurité du quotidien sera expérimentée en priorité dans la commune et dans l’agglomération de Nouméa.
Je veux aussi parler de l’action que l’Etat, avec les institutions de Nouvelle-Calédonie, conduit pour la jeunesse. Le Régiment de service militaire adapté, que j’ai visité à Koumac, est un puissant outil d’insertion professionnelle et d’inclusion des jeunes dans la société. J’ai donc demandé au ministère des Outre-Mer de réunir les conditions pour qu’une nouvelle unité d’environ 80 volontaires puisse être constituée. Cette nouvelle unité devra proposer de nouvelles filières de formation et s’adresser en priorité aux jeunes de l’agglomération de Nouméa qui sont menacés par l’exclusion et la marginalisation. Je comprends qu’il y a un intérêt pour que cette unité soit installée à Bourail, par exemple, sur le site de Nandai, nous devons y travailler collectivement, j’y suis prêt.
Madame la Ministre des Outre-Mer ouvrira aujourd’hui, cet après-midi, les Assises de l’Outre-Mer et les Assises de la jeunesse, consacrées à la jeunesse. Je souhaite que l’Etat accompagne par son expertise, comme dans le cadre des contrats de développement, les initiatives d’expérimentation que plusieurs collectivités – je pense notamment au Gouvernement et à la province Sud – souhaitent conduire en particulier en direction des 16-18 ans.
Un mot sur l’économie et plus spécialement le nickel. Les conditions météorologiques ne m’ont pas permis de me rendre sur le site minier de la SLN à Tiébaghi, comme je l’avais souhaité. Je veux d’ailleurs souligner qu’au cours de ces quatre jours, on m’a dit à Tiga que j’apportais le soleil et à Koumac que j’apportais la pluie, ce qui montre sans doute beaucoup de choses.
J’ai en revanche visité l’usine du Nord, emblématique du rééquilibrage, mais aussi d’un projet visant à permettre à la Nouvelle-Calédonie de maitriser son destin économique.
Je veux vous assurer que nous demeurerons présents et actifs pour assurer la pérennité de ces activités industrielles qui sont au cœur de l’économie néo-calédonienne, notamment en appuyant les projets de développement, dont la centrale électrique pour l’usine de Koniambo.
Nous demeurons aussi à disposition des autorités et des forces politiques de Nouvelle-Calédonie pour contribuer à l’élaboration de la stratégie nickel qui est au fond, elle aussi, une expression du destin commun de la Nouvelle-Calédonie.
Pour m’appuyer dans cette démarche, j’ai décidé de constituer une mission d’experts de haut niveau qui suit de manière très fine l’évolution de chacun des dossiers.
Je ne saurai passer sous silence – mais je ne veux pas être trop long – le poids, l’importance, le potentiel du tourisme et le rôle des collectivités dans le développement de l’offre. Il y a bien entendu dans ce domaine un secteur d’avenir qui doit être pensé, enrichi, envisagé de façon soutenable, mais perçu comme une réelle richesse à la fois de rayonnement et d’attractivité dans la région.
Mesdames et Messieurs, avant ce déplacement, avant même le Comité des signataires du début du mois de novembre et dès ma nomination, j’ai souhaité rencontrer les élus de Nouvelle-Calédonie, ainsi que des acteurs syndicaux, des acteurs du monde culturel, des jeunes gens qui bénéficient de programmes spécifiques pour se former ici ou en métropole.
A l’occasion d’une de ces rencontres, on m’a offert un livre, un livre d’entretien entre Nidoïsh NAISSELINE et Walles KOTRA, où le Grand Chef NAISSELINE, tout en soulignant le caractère fondamental de la tradition Kanak et de l’ordre coutumier, évoque la découverte des auteurs européens. Il y parle notamment de l’œuvre de LEVINAS, mais il en parle sans développer son propos.
Alors, je voudrais poursuivre le dialogue et prolonger la référence, qui, dans la situation présente et au regard du chemin que nous parcourons, me semble essentielle.
C’est probablement vers la dimension éthique des travaux de LEVINAS que NAISSELINE nous invite à nous tourner. Cette dimension éthique qui refuse de réduire une personne à un qualificatif ou à une identité uniforme, mais qui ouvre sur l’infini du visage de l’autre. Dans ce refus de cette réduction à la totalité, dans ce refus de cet effacement de la personne derrière un qualificatif, je vois une profonde analogie avec le mouvement historique que décrivait, de son côté, si j’ose dire, Aimé CESAIRE.
J’y vois aussi l’illustration de ce qui était décrit comme l’avenir de la Nouvelle-Calédonie en 1998, à savoir l’identité dans un destin commun. Il y a l’identité Kanak qui existe. Il y a une identité calédonienne qui se construit. Il y a une permanence d’une culture ancestrale. Il y a un surgissement d’une société qui s’affirme.
Mesdames et Messieurs, notre monde est en train de se transformer ici. Nous le transformons. Nous devons être à la hauteur de cette transformation. Tous autant que nous sommes, les signataires, les élus, la société, l’Etat. J’ai confiance. Vive la Nouvelle-Calédonie ! Vive la République ! Et vive la France !

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