Discours du Premier ministre Jean Castex - Inauguration de la Cour administrative d’appel de Toulouse

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Jean Castex.

Publié 16/12/2021

Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la Justice, cher Éric,
Madame la ministre, chère Nicole Belloubet,
Monsieur le maire de Toulouse,
Monsieur le vice-président du Conseil d’État,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les professionnels du droit,
Mesdames et Messieurs en vos titres, grades et qualités,
Chers amis.
Mes premiers mots iront vers celles et ceux qui ont contribué à cette exceptionnelle réalisation présentée par Monsieur l'architecte, avec toutes les équipes qui l'ont suivi, toutes les entreprises qui ont concouru. Je crois que vous ne pourrez qu'être d'accord avec moi si je vous dis qu’il s’agit d’une très belle Cour administrative d'appel, dans un très beau bâtiment, dans une très belle ville.
Dans ma déclaration de politique générale qui a suivi ma nomination en qualité de Premier ministre, j'ai d'emblée indiqué à la représentation nationale, Mesdames et Messieurs, la priorité que mon Gouvernement accorderait au fonctionnement du service public de la justice. Je pense avoir tenu parole, notamment cher Éric, en proposant au Parlement, pour les deux exercices budgétaires dont j'ai eu la responsabilité : 2021, en cours d'achèvement, 2022, voté hier, des augmentations de budget totalement inédites pour la justice. Tout à l'heure, je participerai avec le garde des Sceaux à une session décentralisée des états généraux de la Justice, vaste exercice de concertation pour recueillir les propositions des professionnels, des usagers et surtout des citoyens pour une justice plus efficiente, plus proche et mieux respectée.
Ma présence ici à vos côtés, Monsieur le vice-président du Conseil d'État, auprès des magistrats et des personnels administratifs, témoigne de la volonté du Gouvernement de ne pas laisser la juridiction administrative à l'égard de ces attentions et de ce mouvement. La justice administrative, elle aussi, vous le savez, fait l'objet de sollicitations sans cesse croissante de nos concitoyens. Beaucoup a été dit et écrit sur cette soif du droit et cette appétence contentieuse dans les sociétés contemporaines. En témoigne le nombre de recours formés devant elle. En 1989, au moment où ont été installées les premières cours administratives d'appel, les recours introduits en première instance devant les tribunaux administratifs étaient au nombre de 70 000 en France. Aujourd'hui, ils s'élèvent à plus de 230 000. 70 000, 230 000. C'est d'ailleurs, vous l'avez rappelé, pour faire face à cette inflation que le Président Marceau LONG, que j'ai eu l'immense privilège de connaître et à la mémoire duquel je veux rendre un hommage appuyé, conduisit cette importante réforme portant création des cinq premières cours administratives d'appel : Paris, Lyon, Nancy, Nantes et Bordeaux. 10 ans plus tard, la création de celle de Marseille est venue rééquilibrer cette carte judiciaire un peu trop septentrionale. Aussi longtemps, peut-être trop longtemps, les requérants du Midi de la France relevaient de Bordeaux et de Marseille, ce qui, pour un habitant, par exemple des Pyrénées-Orientales, n'était pas, vous l'avez reconnu vous-même, cher Bruno, un gage de proximité.
La création de la grande région Occitanie a rendu encore plus apparente cette diagonale du vide entre les grandes métropoles de Bordeaux et de Marseille. C'est donc le 29 octobre 2018 que sur votre proposition Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, et que je salue très chaleureusement, annonçait donc la création d’une neuvième cour, dont la vocation sera désormais de couvrir les ressorts des tribunaux administratifs de Montpellier, Nîmes et Toulouse. C'était une décision de bon sens, c'était une décision d'aménagement du territoire, c'était une décision de justice et d'équité dans la répartition des cours administratives sur le territoire national. Restait donc le choix du siège de cette cour, qui allait voir s'affronter deux légitimités historiques entre ancienne capitale du haut et du bas, Languedoc d'un côté, Toulouse, ancien siège du parlement de la province ; de l'autre Montpellier, qui abritait autrefois la Cour des Aides du Languedoc. Deux villes, deux capitales. Je sais que ce choix n'a pas été facile, Dieu merci qu'il ne m'ait pas échu. C’est donc à la suite de plusieurs déplacements et d'une profonde réflexion – c'est un pléonasme vous connaissant, cher Bruno – que le vice-président du Conseil d'État a proposé, vous nous en avez rappelé les critères, au Gouvernement, qui a donné son accord à ce choix fin 2019, de retenir Toulouse.
Toulouse, vous l'avez dit, la ville de Maurice HAURIOU, qui était à la tête de la célèbre École de droit public de Toulouse, que nous avons évidemment tous connu. Il est vrai que les anciens locaux libérés par le Rectorat de la Ville offraient tout à la fois à cette nouvelle cour : le prestige d'une histoire, les avantages d'une localisation privilégiée dans le centre historique et enfin, des espaces généreux et adaptés que vous avez su parfaitement réhabiliter et mettre en valeur.
La cour sera donc officiellement créée le 1er janvier prochain, vous l'avez dit, elle commencera son activité juridictionnelle le 1er mars. À la fin de l'année, si j'ai bien compris, elle comprendra 21 magistrats et 25 agents de greffe, et sera présidée par monsieur Jean-François MOUTTE, Monsieur le Président, que je salue tout particulièrement, qui a voué une grande partie de sa carrière à la justice administrative, et qui occupait jusqu’à récemment, les fonctions de Président de la cour administrative de Douai, très belle destination aussi. La création de cette nouvelle cour de Toulouse, je le dis au passage, n'est pas la seule illustration du soutien de l'État aux programmes immobiliers de la juridiction administrative. Ainsi, par exemple, le tribunal administratif de la Guadeloupe, et celui, vous venez d'y faire allusion, de Marseille, ont été relogés dans des bâtiments entièrement réhabilités il y a quelques mois à peine. Des travaux importants sont en cours au tribunal administratif de Paris, d'Amiens, de Dijon ; et les juridictions administratives bénéficient, ont bénéficié, pleinement du plan de relance à hauteur de 460 000 euros pour financer le raccordement au réseau interministériel de l'État par la fibre optique. C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, j'ai tenu vraiment à être présent aujourd'hui. Il y a plusieurs raisons.
C’est pour moi l'opportunité disais-je de vanter cette spécificité française qu'est la justice administrative. Vous l'avez dit, je vais le dire avec mes mots, et plus précisément, l'ordre juridictionnel administratif avec à sa tête le Conseil d'État et dont je voudrais à mon tour vous convaincre à la fois de la pertinence et de la modernité. La justice administrative est, en France, peut-être aussi ancienne que l'État, finalement. Elle est l'héritière de la justice, ce que l’on appelait à l'époque la justice retenue qui permettait aux rois de France de trancher directement les litiges qui ne relevaient pas des cours souveraines, et nous n'allons pas ici même ébaucher l'histoire tumultueuse entre les parlements d'Ancien régime et la monarchie dépositaire de l'autorité de l'Etat. Longtemps, notamment après sa refondation sur ses bases actuelles et modernes par BONAPARTE, le Conseil d'Etat jugeait seul. Je n'ose pas dire en majesté des conflits opposant le citoyen à toute décision de l’Etat ou de ses émanations. C’est la République, en effet, qui a donné son indépendance, désormais garantie par notre Constitution, à la justice administrative qui joue depuis longtemps un rôle majeur dans la défense de l’État de droit dès lors qu’elle a pour mission de contrôler la légalité de l’action de l’État, de ses administrations mais aussi des collectivités territoriales et des personnes publiques en général.
C’est en effet la grandeur de l’État que d’offrir à ses concitoyens les moyens d’attaquer ses propres décisions devant une justice indépendante et dont l’excellence juridique est à elle seule une formidable garantie démocratique. Cette justice que l'État rend parfois contre l'État est aussi pour nos concitoyens une justice du quotidien, peut-être moins traumatisante pour eux que la justice civile ou la justice pénale. Elle a l'avantage, aux yeux de l'opinion, de trancher des conflits qu’opposent le citoyen non pas à un autre citoyen, mais le citoyen à une autorité administrative qu’il peut juger incompréhensible ou écrasante. Cette justice administrative, le vice-président du Conseil d'État l'a rappelé, intervient en effet sur des sujets très concrets, intéressant notre vie quotidienne : un permis de construire, un droit aux allocations sociales, des difficultés avec l'administration fiscale, le droit de séjour pour les étrangers ou encore les contentieux liés au permis de conduire ou à une inscription à l'université. Cette liste suffit, je crois, pour ceux qui, ici, ne seraient pas familiers de cette justice spécialisée, mais je crois qu'ils sont peu nombreux, à en montrer la diversité et surtout l'aspect extrêmement concret.
Et je voudrais, à ce stade de mon propos, rendre hommage à l'ensemble des magistrats et des personnels des juridictions administratives, comme l'a fait, du reste, l'ensemble de l'appareil d'État pour leur travail durant la crise de la Covid-19, qui n'est hélas pas terminée. Le juge administratif, il faut le savoir, Bruno LASSERRE en a dit un mot, en effet, était particulièrement sollicité pendant cette période et sur des sujets, les fameuses procédures de référés « suspension » et « liberté ». Je crois que la simple évocation des mots traduit la réalité : 800 ordonnances de référés, si mes informations sont exactes, Monsieur le vice-président, rendues par le seul Conseil d'État qui ont permis, parce que, comme moi, vous écoutez tous les débats sur un État qui serait liberticide pendant la gestion de cette crise, qui ont permis un véritable contrôle des mesures de police et des restrictions rendues nécessaires pour contrer la pandémie.
L'État doit agir, mais il le fait évidemment dans le cadre de l'État de droit et le Gouvernement que je dirige a vu un certain nombre de ses textes, ils ont été le plus souvent confirmés par le Juge administratif, mais il est arrivé que celui-ci, en toute indépendance, les censure. Plus généralement, je veux saluer la modernisation de cette justice administrative comme la volonté de la rapprocher des justiciables. Et je sais, Monsieur le vice-président du Conseil d'État, que ceci a constitué une priorité de votre mandature. J'en veux notamment pour preuve le développement de l'application « Télérecours citoyens » lancée, ce n'est pas si vieux que ça, en 2018, qui permet de saisir le juge administratif en ligne de chez soi 7jours/7 et 24h/24 ; le chantier de la réforme des modalités de rédaction des décisions de justice, ça compte, avec le fameux abandon du style indirect et l'adoption du style direct ; ou encore l'irruption de l'oralité du procès administratif, dont des générations d'étudiants ont appris qu'il était exclusivement écrit. Oui, nous avons plus que jamais besoin d'une juridiction administrative — j'allais dire d'une justice, Éric, nous devrions l'appliquer pour tout — efficace, réactive, lisible, compréhensible et qui reste fidèle à ses fondamentaux.
J’aime souvent citer, je crois l'avoir fait devant vous, Monsieur le vice-président, la loi fondatrice du 16 et 24 août 1790. Cette loi crée en réalité ce que j'appellerais un juge de l'intérêt général. Bien sûr depuis lors, je l'ai dit, la justice retenue a disparu et c’est heureux. Pour autant, rien ne serait pire que de considérer que les intérêts particuliers puissent équivaloir l’intérêt général, voire s’imposer à lui. Le juge administratif, sauf à perdre le sens profond de sa mission, forgée dans l’histoire de notre pays, doit aussi à sa manière, et bien entendu dans le cadre de son indépendance juridictionnelle, être le défenseur de l’intérêt général. Notion qu’il a du reste lui-même concouru à définir et à préciser au terme d’une jurisprudence extrêmement riche. C’est aussi pour cette raison, Mesdames et Messieurs, que nous devons veiller à ce que les magistrats administratifs dont l'indépendance et l’impartialité sont pleinement garanties, soient aussi, par leur formation et par leur parcours professionnel, de bons connaisseurs des réalités administratives et aient eu le plus souvent possible l'occasion de gérer des missions d'intérêt général.
C'est tout le sens de la réforme de la gestion des cadres supérieurs de l'État que je conduis à la demande du Président de la République. Ainsi, les magistrats qui rejoindront vos juridictions au sortir du futur Institut national du service public, appelé le 1er janvier prochain à remplacer l’ENA, devront au préalable avoir exercé pendant deux ans des fonctions opérationnelles dans le corps des administrateurs de l'État. C'est également pour cette raison que le Gouvernement a souhaité encourager davantage encore la mobilité des magistrats afin de leur donner l'occasion d'exercer des responsabilités de gestion et de management. Les magistrats administratifs ont vocation, comme les membres des autres corps recrutés à la sortie de l’INSP, à occuper des fonctions d'encadrement dans les administrations.
Cette double expérience, j'insiste, donne à celui qui juge une connaissance pratique des rouages de l'administration dont il lui revient d'apprécier les actes. Il est toujours rassurant pour le citoyen de savoir que celui qui aura à trancher le litige n'a pas simplement une connaissance livresque de la réalité en cause. Et c'est aussi, j'y reviens, une garantie pour que jamais l'intérêt général, au-delà des intérêts particuliers légitimes, ne soit perdu de vue. Cette réforme ne remet pas en cause le recrutement par concours direct des magistrats administratifs comme des magistrats financiers au demeurant. Ces concours directs participent de la diversité des profils et de l'expertise juridique dont les corps juridictionnels ont besoin et ils seront préservés. C'est également ce souci de promouvoir les carrières alternées, de favoriser le décloisonnement et l’inter ministérialité qui m'a conduit à engager dès 2022 une revalorisation des régimes indemnitaires des magistrats administratifs, mais aussi des grilles indiciaires pour les débuts de carrière.
Nous avons eu Monsieur le vice-président du Conseil d'État l'occasion de nous entretenir de ces sujets et cette mesure juste et nécessaire pourra ainsi accompagner les mobilités dans le secteur public tout en préservant l'attractivité de vos missions dans les territoires au service de nos concitoyens. Nous avons, vous le voyez, de grandes ambitions pour la justice administrative que nous voulons inscrire en parfaite cohérence avec une vision de l'État et de sa réforme parce qu'en réalité, nous parlons du même sujet : des ambitions, Monsieur le vice-président, que vous avez portées et incarnées tout au long de votre carrière qui vous a aujourd'hui conduit à être le premier des fonctionnaires de France. Votre parcours, au fond, j'aurais pu le prendre en exemple pour illustrer le propos que je viens de tenir sur cette double expérience pour permettre au juge administratif de bien juger ce qu'il connaît. Votre cursus honorum au sein du Conseil aurait suffi évidemment à lui seul de justifier votre nomination à sa tête tant il a été riche. Cette justice administrative dont je viens de parler en réalité, vous l’incarnez, car vous l’aurez exercée à tous les niveaux et dans toutes les fonctions possibles. Mais, et c’est la grandeur d’une carrière de juge administratif, vous n’êtes pas resté que juge, vous avez occupé dans l’administration dite active et également dans des fonctions de régulateur des responsabilités extrêmement importantes.
Si je m’adresse à vous en ces termes, Monsieur le vice-président, c’est parce que je sais que dans quelques jours l’heure de quitter vos fonctions éminentes va venir. Vous êtes, comme on dit, vous serez, vous allez être atteint par la limite d’âge. Il me paraissait tout à la fois normal et symbolique de vous dire aujourd’hui au coeur même de la pratique quotidienne de cette justice administrative dont vous occupez le sommet la reconnaissance publique de la République mais aussi à un titre plus personnel mon admiration et mon amitié.
A travers vous ici, à Toulouse, dans un moment d’inauguration qui est aussi un message d’avenir, je veux rendre hommage à notre justice administrative qui puise dans sa riche histoire sa double mission de contrôleur de l’État et de défenseur de l’intérêt général. Cette justice, cet État et cet intérêt général que vous avez servi avec un engagement, une intelligence et une humanité qui forcent le respect. Longue et belle vie à la Cour administrative d’appel de Toulouse !
Je vous remercie.

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