Déclaration du Gouvernement sur la politique migratoire de la France et de l’Europe, en application de l'article 50-1 de la Constitution, suivie d'un débat

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 09/10/2019

Sénat
Mercredi 9 octobre 2019
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Le Président de la République a souhaité qu’un débat parlementaire puisse être organisé chaque année sur la politique migratoire de notre pays. Lundi dernier à l’Assemblée nationale, aujourd’hui au Sénat, nous nous livrons donc à un exercice qui est difficile, qui a sans doute ses limites ; mais que je crois profondément utile. C’est un exercice difficile, parce que les questions migratoires suscitent plus facilement l’affrontement que le consensus. Entre l’attentisme ou l’angélisme d’une part, et les postures clivantes d’autre part, j’en reste pour ma part à ces mots de Michel Rocard : « assurer le triomphe de la conception républicaine, ouverte de la Nation, celle qui assure des droits pour chacun et fait accepter des devoirs pour tous ».
C’est un exercice qui a ses limites : le débat vient à peine de commencer, et déjà certains observateurs et commentateurs de la vie politique regrettent que le calendrier des actions n’ait pas été annoncé dans ses moindres détails. Je ne doute pas que si nous avions annoncé ces détails, on nous aurait dit que le débat était faussé et ne servait à rien. Mesdames et Messieurs les sénateurs, j’assume de prendre 72 heures pour avoir ce débat, avant d’en venir, vite, au temps des décisions.
L’essentiel, c’est que ce débat est utile. Parce qu’il nous permet de partager un diagnostic documenté. Parce qu’il nous permet de réfléchir et de construire ensemble une stratégie générale et des réponses. Et parce qu’il est utile et précieux, me semble-t-il, que ce sujet de la politique migratoire au sens le plus large soit débattu au Parlement non pas à l’occasion de la présentation d’un texte de loi ou d’une série de mesures techniques mais bien au contraire présenté, dans sa plus large conception, depuis les relations que nous entretenons avec les Etats d’origine jusqu’à la question de l’intégration sur notre territoire de ceux qui ont vocation à rester ou le retour vers les pays d’origine de ceux qui n’auraient pas vocation à rester. Ce débat est utile et il est utile qu’il ait lieu ici au Parlement.
Nos concitoyens parlent de ces sujets et, si j’osais, Mesdames et Messieurs les sénateurs, parfois ils n’en parlent plus et ce n’est pas forcément plus réjouissant. J’ai le souvenir de séquences, dans le Grand débat qui a été organisé il y a quelques mois, où une simple phrase, une expression formulée par un des participants, sans jamais avoir besoin d’insister sur ce qu’elle pouvait impliquer, était immédiatement comprise, reçue, partagée par l’ensemble de l’assistance comme un non-dit mais un non-dit qui aurait fait consensus. Je crois, Mesdames et Messieurs les sénateurs, que parfois vous avez été témoins de ces moments où le sujet n’est pas nécessairement explicitement formulé mais où il est dans tous les esprits et je ne suis pas sûr que ce soir plus favorable ou plus bénéfique au débat public que le fait d’avoir un débat explicite, public devant la représentation nationale.
Nos concitoyens y pensent, en parlent, ils nous écoutent, ils écoutent ceux qui disent les peurs et parfois qui les encouragent, ceux qui disent les vertus, les chances et parfois les flattent. Il est très facile de tourner presque à vide sur le sujet de l’immigration, en ressassant les mêmes obsessions, comme le fantasme du grand remplacement, ou l’appel à ouvrir grand nos frontières. Il est beaucoup plus difficile de congédier toute forme de facilités ou de rhétoriques pour essayer d’agir, avec sagesse et bon sens. C’est ce que méritent nos concitoyens. Et c’est l’unique manière de bâtir une Europe forte, solidaire et crédible, et une nation forte et solidaire qui resteront attractives sans être débordées ni repliées sur elle-même.
Cette politique migratoire que nous présentons et sur laquelle nous voulons réfléchir avec le Sénat, elle doit d’abord s’inscrire dans le contexte mondial et européen d’aujourd’hui.
Mener une politique d’immigration cohérente, ce n’est pas seulement une affaire de procédures franco-françaises. C’est, comme nous nous efforçons de le faire depuis deux ans, mettre cette question au cœur de nos relations diplomatiques avec les pays d’origine et de transit. Nous avons d’ailleurs obtenu quelques succès : par exemple, une augmentation de 60% du nombre de « laissez-passer consulaires » obtenus dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière.
Au-delà, je suis convaincu que l’aide publique au développement, pour laquelle nous consentons des efforts financiers croissants, et qui vont être croissants dans le temps, doit être mobilisée au service de notre stratégie migratoire. Et, oui, cela doit s’inscrire dans une relation d’engagements réciproques avec nos partenaires. Cette approche sera déclinée dans le projet de loi de finances dont vous vous apprêtez à débattre. Elle donnera lieu, aussi, à un projet de loi de programmation et d’orientation en matière de développement, que nous vous proposerons d’examiner au cours de l’année 2020. C’est là la première orientation de la stratégie que vous propose le Gouvernement. Cette question est souvent discutée, parfois contestée, il nous semble que nous devons assumer de faire de l’aide publique au développement un des éléments - pas le seul et il ne peut pas servir uniquement à ça - d’une politique migratoire générale pensée par notre pays.
Dans ce contexte mondial, la situation de l’Europe est particulière. Nous ne sommes plus au cœur de la crise des réfugiés des années 2015 et 2016. Mais les problèmes restent là et parfois entiers. Nous avons construit l’Europe de la libre-circulation, c’est bien. Nous devons aujourd’hui construire l’Europe de la protection des frontières extérieures : c’est urgent. Et à l’intérieur de l’Europe, nous devons traiter le problème des mouvements secondaires, qui sont le symptôme et parfois la conséquence d’une gestion encore insuffisamment coordonnée. Dès que la nouvelle Commission européenne sera installée (le 1er novembre), nous ferons valoir nos propositions de renforcement juridique et opérationnel de la protection des frontières extérieures, et de réforme du régime d’asile européen. Nous veillerons à un bon équilibre entre responsabilité et solidarité pour la gestion des mouvements migratoires à l’intérieur de l’Europe. C’est, pour moi, le deuxième axe nécessaire de nos travaux.
Nos concitoyens veulent aussi que nous soyons capables de mieux accueillir et de mieux intégrer.
Mieux accueillir, c’est d’abord réduire les délais d’instruction des demandes d’asile, bien trop longs. Cette année encore, nous avons autorisé le recrutement de 150 officiers de protection à l’OFPRA, et des agents nécessaires à l’ouverture d’une 23ème chambre à la cour nationale du droit d’asile. Alors que le nombre de demandes d’asile est en très forte augmentation, ces efforts constants ont permis de stabiliser les délais. Mais nous ne sommes pas dans le raccourcissement des délais que nous souhaitions parce que ce que nous avons gagné à l’instruction, nous l’avons perdu au contentieux C’est le troisième volet de notre stratégie, nous devons garantir l’atteinte des objectifs que nous nous sommes déjà fixés, notamment au moment du vote de la loi du 10 septembre 2018 : nous devons atteindre l’objectif d’un délai moyen de 6 mois.
Mieux accueillir consiste surtout à mieux intégrer ceux qui ont vocation à rester. Nous avons déjà fait beaucoup, en donnant une nouvelle ambition au contrat d’intégration républicaine, qui repose désormais sur trois piliers : la langue française, le travail et les valeurs républicaines.
Pour la langue française, nous avons doublé le volume horaire des cours destinés aux primo-arrivants qui en ont besoin. Le respect de nos valeurs républicaines n’est pas non plus négociable, par exemple quand il s’agit de laïcité ou du droit des femmes. Ce qui demande, pour certains, une forme d’éducation républicaine. Ça n’est pas péjoratif ou scandaleux de le dire, c’est un fait. Nous vivons avec un certain nombre de valeurs auxquelles nous tenons. Elles sont dans notre conception universelle au sens où elles ont vocation à s’appliquer universellement mais elles ne sont pas toujours partagées, connues et interprétées exactement de la façon dont nous le faisons par ceux qui viennent chez nous. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, nous ne voulons pas négocier sur l’interprétation de ces valeurs et sur la réalité des valeurs qui sont les nôtres et auxquelles bien entendu chacun doit se plier dans le respect de ces valeurs lorsqu’il veut s’installer ou vivre dans notre pays. Tous les étrangers qui arrivent en France ne sont pas comme le jeune Albert Cohen, qui débarquait de Corfou à Marseille en vouant un véritable culte à la France. Il nous raconte qu’il avait même érigé un petit autel à la France, avec des figures aussi diverses que Victor Hugo, Jeanne d’Arc ou Napoléon. On n’en demande pas tant à ceux qui arrivent aujourd’hui, quoique s’ils veulent apprendre par cœur Les Contemplations, personne ne les en dissuadera. On leur demande néanmoins d’adhérer aux valeurs qui ont fait la France. C’est la raison pour laquelle nous avons donc modernisé et doublé la durée de la formation civique Et c’est la raison pour laquelle nous devons être inflexibles sur cette exigence.
Mais nous le savons, aucune intégration ne saurait être durable et réussie sans accès au monde du travail. C’est là notre 4ème axe : l’intégration par le travail. Nous avons ajouté un volet « insertion professionnelle » au contrat d’intégration républicaine. Pour les demandeurs d’asile, nous avons déjà réduit de 9 à 6 mois le délai au terme duquel ils peuvent accéder au marché du travail. Et nous soutenons de très nombreux projets d’intégration par l’emploi. Comme souvent, les initiatives qui apportent des solutions émanent de nos territoires – elles nous ouvrent la voie mais elles ne suffisent pas.
Il faut donc faire plus et faire mieux. Les procédures d’accès des étrangers au monde du travail doivent être plus globalement repensées. Je propose que nous réinventions le système d’autorisation de travail pour les métiers en tension. La révision de cette liste devrait ainsi permettre de mieux intégrer les étrangers présents en France et d’attirer lorsque c’est nécessaire les talents dont notre pays a besoin.
Mieux accueillir, c’est aussi assumer un pilotage par objectifs de l’admission au séjour. Nous savons que la logique des quotas ne peut s’appliquer, ni en matière d’asile, ni en matière d’immigration familiale. Mais pour attirer les talents, qu’il s’agisse d’étudiants ou de compétences rares, ou de compétences dont nous avons besoin on doit pouvoir réfléchir à des objectifs quantitatifs. C’est là notre 5ème orientation. On doit pouvoir adapter et dynamiser nos procédures d’immigration professionnelle en fonction des besoins des secteurs d’activité. On doit pouvoir se fixer des objectifs, en nombre d’étudiants accueillis, en nombre de « passeports talents » délivrés, ou encore sur la proportion de l’immigration qualifiée au sein de l’immigration professionnelle.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, il ne doit pas y avoir d’angle mort dans notre débat. L’accès à la nationalité ne doit pas être un angle mort. J’ai affirmé lundi mon opposition à la suppression du droit du sol. Mais je suis favorable à ce que nous élevions les critères de naturalisation par décret, notamment en ce qui concerne le niveau de maîtrise de la langue française. Nous irons dans cette direction. Il n’y a pas de tabou non plus sur l’immigration familiale : nous devons lutter fermement contre les fraudes et les abus, et nous devons resserrer les critères là où cela s’avère nécessaire.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, pour bien accueillir, il faut se donner les moyens d’une meilleure maîtrise des flux migratoires.
Nous devons d’abord comprendre pourquoi le système français d’asile est actuellement saturé. Les mouvements migratoires secondaires expliquent une part importante de la situation. En 2018, 30% des demandeurs d’asile en France avaient déjà déposé une demande dans un autre Etat-membre, et ne relevaient donc pas de la responsabilité de la France. Et beaucoup de ces demandeurs sont issus de pays que l’OFPRA considère comme « sûrs ».
Il y a probablement plusieurs déterminants à ces phénomènes. Mais nous devons regarder les choses en face, et assurer une plus grande convergence européenne des conditions d’accueil des étrangers. Ce sera notre 6ème axe. Nous voulons que la France ne soit ni moins accueillante, ni moins attractive que ses voisins. Cela concerne notamment l’accès au système de santé : l’aide médicale d’État, ou encore les conditions d’accès des demandeurs d’asile à la protection maladie. Des pistes sont à l’étude : la secrétaire d’État Christelle Dubos y reviendra. Nous aurons, sur ce sujet, une discussion précise lors de l’examen du projet de loi de finances.
Maîtriser les flux migratoires, c’est bien évidemment aussi renforcer notre efficacité dans l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. J’ai parlé de l’action diplomatique. Mais nous avons aussi renforcé nos outils juridiques, avec la loi du 10 septembre 2018. Les éloignements contraints ont ainsi augmenté de 20% en 2 ans. Cette augmentation se poursuit d’ailleurs sur la même tendance en 2019. Mais nous voulons faire mieux, en tirant le meilleur parti des outils que nous nous sommes donnés, et en menant un nouvel effort capacitaire, par exemple sur le nombre de places de rétention administrative.
Nous devons apporter une réponse adaptée à la problématique des mineurs non-accompagnés. « Tous les crimes de l’homme commencent au vagabondage de l’enfant », écrivait Victor Hugo. Nous avons créé un outil technique d’appui à l’évaluation de la minorité, pour distinguer les « vrais » mineurs des demandeurs en réalité adultes. Pour lutter contre les fraudes et les détournements. Et nous avons renforcé notre solidarité financière vis-à-vis des départements en la matière. Aujourd’hui, nous devons aller plus loin. Pour nous assurer que le nouvel outil technique déploie sa pleine efficacité, et donc inciter à son utilisation partout sur le territoire. Mais aussi pour redéfinir les critères selon lesquels s’opère, au niveau national, la répartition entre départements des mineurs à accueillir. Nous présenterons des solutions dans les prochaines semaines, dans le prolongement de nos échanges les plus récents avec l’assemblée des départements de France.
J’attire aussi votre attention sur la nécessité d’affiner la réponse qu’il convient d’apporter à certains territoires, comme les outre-mer. Le Gouvernement n’a pas hésité à décider des adaptations nécessaires pour répondre à leur spécificité. C’est ainsi que, pour Mayotte, nous avons engagé une action globale de lutte contre l’immigration clandestine qui mobilise les forces armées aux côtés de la police et de la gendarmerie. Cette action globale passe également par une coopération renforcée avec l’Union des Comores. Je veux aussi relever que nous avons décidé d’adapter les modalités d’accès à la nationalité française pour les ressortissants étrangers nés à Mayotte : je salue ici le travail législatif mené par le vice-président Thani Mohamed Soilihi. Dans l’océan Indien, nous avons conduit une action de coopération avec les autorités du Sri-Lanka pour éviter les départs de migrants depuis ce pays en direction de La Réunion.
Je n’oublie pas non plus la Guyane, qui est exposée à un flux important de demandeurs d’asile dont un grand nombre sont déboutés. Nous y avons lancé l’expérimentation de la prise de décision en deux mois : le signal a été clair et les demandes d’asile ont sensiblement diminué. Nous allons étendre ce dispositif aux départements français des Antilles.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, je ne sais pas s’l est probable que certains échanges seront vifs, ici comme à l’Assemblée, au cours de ce débat sur l’immigration. J’espère que cette vivacité sera féconde en solutions. Je suis sûr que la Haute Assemblée a une contribution originale à apporter à ce débat : en exprimant le ressenti des territoires, en se faisant l’écho du point de vue des élus locaux notamment. Nos concitoyens ont les yeux rivés sur les réponses que nous apporterons ensemble. Et l’équilibre et l’efficacité de notre politique dépendront, en partie, de la qualité des échanges que nous pourrons avoir.
Je vous remercie.

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