Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre Première session de la Convention citoyenne pour le climat

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 04/10/2019

Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre
Première session de la Convention citoyenne pour le climat
Conseil économique, social et environnemental

Vendredi 4 octobre 2019
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président du CESE, cher Patrick B ernasconi ,
Madame et Monsieur les co-Présidents, chère Laurence T ubiana , cher Thierry P ech ,
Monsieur le rapporteur général, cher Julien B lanchet ,
Mesdames et Monsieur les garants, chère Anne F rago , chère Michèle K adi , cher Cyril DION,
Mesdames et Messieurs,
Il y a quelques rendez-vous, dans l’histoire des démocraties, qu’on est heureux de ne pas manquer. Ce sont les rendez-vous d’un peuple avec une grande cause. On connaît tous la lutte contre l’Apartheid dont Nelson Mandela nous dit qu’elle a réussi lorsque et parce que des femmes et des hommes ordinaires s’en sont emparés – et il se définit lui-même comme un homme ordinaire. On connaît moins la fin de son autobiographie, Un long chemin vers la liberté , où il a l’intuition qu’un autre combat commence : le combat pour la planète.
Il s’en rend compte, après des années d’emprisonnement, quand il retrouve son village d’enfance : « le village était maintenant négligé, l’eau polluée, et des sacs et des emballages de plastique souillaient les champs. Pendant mon enfance, nous ne connaissions pas le plastique et, s’il a amélioré la vie de bien des façons, sa présence à Qunu m’a fait penser à une sorte de maladie. La communauté semblait avoir perdu sa fierté ». Le sentiment d’effroi que ressent Mandela, nous l’avons désormais tous éprouvé, face à l’état du monde, à la fonte des glaces et aux catastrophes naturelles qui se multiplient.
C’est pourquoi cette convention citoyenne pour le climat, dont le Président de la République a annoncé la création, fin avril dernier, est un rendez-vous important pour notre démocratie.
D’abord parce que vous incarnez une forme de démocratie participative inédite. Nous voulons qu’elle inaugure une nouvelle manière de produire du consensus autour de solutions qui émanent directement de nos concitoyens, pour nos concitoyens.
Ensuite parce que les attentes de nos concitoyens, sur la question de l’écologie, sont immenses.
Je le dis aussi en pensant à ce que nous vivons, en ce moment-même, avec la catastrophe de Lubrizol à Rouen. Nous avons voulu la transparence totale sur ce qui s’est passé. Totale. Chaque jour nous donnons les informations dont nous disposons. Sur le résultat des tests, sur les analyses des scientifiques. Mais je mesure, avec beaucoup d’humilité, même si je ne n’en suis pas surpris, que la parole publique est questionnée, soupçonnée, parfois même décrédibilisée par principe. Celle d’un Premier ministre, celle d’un ministre, celle d’un préfet, celle d’une agence sanitaire. Je l’ai dit, je ne m’y résous pas. Mais cela nous interpelle forcément sur notre manière de dialoguer avec nos concitoyens. Sur le besoin de les écouter. De les associer davantage à la prise de décision. Et cela doit nous conduire à faire évoluer en profondeur la façon dont nous conduisons nos politiques publiques, au niveau national comme au niveau local. En cela, l’exercice auquel vous avez accepté de participer est absolument majeur.
Je ne suis donc pas venu monopoliser votre temps de travail ni vous dire ce que vous devez penser. Vous aurez toute latitude pour réfléchir et agir. Dans une heure, vous n’entendrez plus parler du Gouvernement, en tous cas s’agissant de cette convention citoyenne pour le climat. Soyez indépendants du Gouvernement, soyez également indépendants des lobbies, des groupes de pression. Et même de vos propres présupposés. Vous formez un collectif équilibré, représentatif de nos concitoyens, vous qui êtes issus des villes et des campagnes, actifs ou retraités, cadres, employés, ouvriers, agriculteurs, chômeurs, étudiants. Nos concitoyens savent que vous avez été tirés au sort, pour porter un regard neuf, sans biais, sur ces questions qui parfois nous divisent. L’idée de cette convention, c’est de vous donner le temps de dépassionner les débats pour proposer des solutions constructives.
C’est pourquoi je suis venu exprimer le soutien que nous accordons, au plus haut niveau de l’Etat, aux réflexions que vous allez développer, aux propositions que vous allez formuler pendant six week-ends, jusqu’en janvier 2020.
L’expérience à laquelle vous avez accepté de participer est inédite.
Vous êtes rassemblés, au Conseil économique, social et environnemental, parce que nos concitoyens ont exprimé une très forte demande de participation. Sur les ronds-points, dans les espaces offerts par le Grand Débat, partout en France, ils ont exprimé la volonté d’avoir une meilleure prise sur les décisions qui engagent la Nation. Ils ne veulent pas seulement voter, mais s’engager dans l’élaboration des politiques publiques en proposant, à partir de leur expérience de terrain, des solutions innovantes et efficaces.
Je me réjouis de la motivation qui est la vôtre. Nous avons demandé au comité d’organisation de vous ménager les meilleures conditions de travail possibles. Certains de nos concitoyens s’abîment en litanies sur le manque de civisme, le sens du collectif émoussé, la fin des idéaux, sur tous les maux dont souffrirait la société française. Et bien vous pouvez prouver qu’il existe, dans ce pays, des citoyens prêts à prendre sur leur temps professionnel, familial, personnel, pour apporter leur pierre à la construction de l’intérêt général. Je vous en remercie très sincèrement. J’associe à ces remerciements les équipes du CESE, et bien sûr son Président, les membres du comité de gouvernance et les trois garants de cette convention, qui veilleront à son bon déroulement.
Si cette convention fonctionne, il y aura d’autres conventions, sur d’autres thématiques. Nous voulons avec le Président de la République veut faire du projet auquel vous participez une des modalités permanentes de la vie démocratique. C’est l’un des objectifs majeurs de la réforme constitutionnelle que le Président de la République a souhaité engager ; et je crois pouvoir dire que sa détermination, comme la mienne, est intacte pour mener à bien une transformation ambitieuse du CESE au service de la participation citoyenne.
Mais ce n’est pas un hasard si la convention inaugurale porte sur le climat. L’étincelle qui a déclenché plusieurs mois de crise sociale dans notre pays vient de là. La taxe carbone. Certains y ont vu le symptôme d’une incapacité des élites à proposer des solutions efficaces, des solutions qui rassemblent. Je prends évidemment ma part de ces critiques. Notre idée était de taxer de moins en moins le travail et de compenser cette diminution par une augmentation de la taxation sur le carbone. Mais nous avions sous-estimé le besoin de nos concitoyens d’être embarqués, consultés, avant l’élaboration des politiques publiques. Nous avons peut être utilisé des mauvais chemins. Notre objectif est de corriger la méthode et d’essayer de faire en sorte que des changements profonds puissent non plus être imposés par la loi ou par l’impôt mais qu’ils puissent relever de propositions qui associent l’ensemble de nos concitoyens.
Je n’ai jamais cru à l’écologie punitive, à l’écologie brutale que certains appellent de leurs vœux. Nous ne réussirons pas la transition écologique en opposant les Français les uns aux autres : les agriculteurs aux écologistes, les jeunes à la génération du baby boom, les entreprises aux individus, les villes aux campagnes. Nous relèverons le défi écologique en nous appuyant sur les initiatives locales qui ouvrent un chemin possible, réaliste, désirable.
Je ne crois pas que les discours « collapsologiques » ou apocalyptiques soient d’une très grande utilité. Ils accusent, ils angoissent, ils tétanisent. Ils mettent en scène le pire, avec une forme de complaisance. Ces discours me semblent non seulement dangereux, mais stériles. Pire que tout, ils ferment le débat. Réfléchissons et agissons plutôt en écoutant ceux qui nous ouvrent la voie.
J’ai été maire du Havre. Je sais combien les français peuvent changer, changer même leur mode de vie quand ils sont convaincus. J’en ai rencontré beaucoup qui veulent changer leur rapport à la consommation. Et qui traduisent leurs convictions par des actes très concrets : trier ; économiser l’énergie ; acheter équitable... Depuis quelques mois, ces concitoyens sont de plus en plus nombreux. Je pense à la famille Deleporte, que j’ai rencontrée à Roubaix, et qui réussit aujourd’hui à vivre, et à bien vivre, quasiment sans déchet. Ils nous prouvent que le « Zéro déchet » n’est pas un objectif quantitatif mais un mode de vie. Eviter le plastique d’usage unique, et le suremballage. Donner, plutôt que jeter. Réparer, plutôt que gâcher. Faire du co-voiturage. Chacun peut essayer de changer son mode de vie avec détermination, bon sens, organisation. Et si j’ai parlé d’écologie souriante, c’est parce que les concitoyens que j’ai rencontrés étaient heureux, fiers, d’avoir adopté ce mode de vie.
Ce choix de vie, c’est celui des agriculteurs qui engagent la conversion de leur exploitation vers la haute valeur environnementale, vers le bio. C’est le choix des entreprises, des chercheurs qui innovent, pour inventer les batteries de demain, pour découvrir des molécules qui dépolluent les sols, pour proposer des alternatives au plastique. C’est le choix du Gouvernement de fermer les centrales à charbon. C’est le choix des maires engagés qui développent les transports en commun, qui inventent la ville et les villages post-carbone.
Tous ont compris que la transformation de nos modes de vie ne doit pas être une contrainte, mais une chance. Ce sont eux les experts du quotidien.
Votre défi, aujourd’hui, c’est d’inventer une écologie française. Nous ne partons pas de rien car nous avons posé de premières bases, avec détermination.
  • La prime pour changer de voiture contre un véhicule moins polluant a bénéficié à plus de 500 000 personnes : nous avons atteint notre objectif initial avec trois ans d’avance et choisi de le doubler en visant désormais 1 million de familles d’ici la fin du quinquennat.
  • Le forfait mobilité doit permettre aux employeurs de verser jusqu'à 400 €/an, sans charges ni fiscalité, aux salariés qui ont choisi le covoiturage ou le vélo.
  • Nous avons fixé un cadre très ambitieux aux constructeurs automobiles : d’ici 2030, une réduction de 37,5%, donc presque de moitié, des émissions moyennes de CO2 des véhicules. C’est une transformation sans précédent de l’industrie automobile qui s’annonce.
  • Nous avons aussi annoncé une éco-contribution sur le transport aérien.
  • Avec la loi Énergie-Climat, le Gouvernement veut en finir avec les passoires thermiques en accompagnant les Français, notamment les plus modestes.
Mais nous sentons bien qu’au-delà de ces outils nationaux, il nous faut construire une écologie enracinée dans nos territoires et dans nos terroirs. Une écologie qui s’appuie sur notre histoire et nos savoir-faire. A Romans-sur-Isère, j’ai dévoilé la liste des 24 « territoires d’innovation » qui illustrent exactement cette idée : beaucoup des solutions doivent être conçues comme du « sur-mesure », adaptées à un territoire en particulier. L’écologie n’est pas exactement comparable dans la bio-vallée de la Drôme et dans le 11 ème arrondissement de Paris. Il y a des fondamentaux. Mais les solutions, qui vont bouleverser les manières de se déplacer et de consommer, ne peuvent pas être plaquées uniformément sur tout le territoire.
Cette convention citoyenne pour le climat a donc vocation à inventer une écologie populaire. Je suis convaincu que les solutions les plus ingénieuses, les plus raisonnables émanent de nos concitoyens, quand ils sont éclairés par la science, l’esprit de responsabilité et réunis en assemblées de bonne volonté. Nous avons besoin de vous pour définir des mesures qui nous permettront de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40%, par rapport à 1990, d’ici 2030. Nous réduisons ces émissions mais nous les réduisons pas assez vite.
C’est pourquoi, comme s’y est engagé le Président de la République, nous traduirons ces propositions en projets de loi, en mesures réglementaires, voire, pour les plus puissantes, nous les soumettrons à référendum.
Rien n’est interdit. Il est toujours possible d’adapter notre droit et notre cadre institutionnel, même si certaines adaptations nécessitent plus de temps que d’autres, je pense à ce qui peut relever du cadre européen. Vous aurez toute l’expertise juridique nécessaire en la matière. Par ailleurs, vous pourrez évidemment proposer de mobiliser l’argent public. Mais comme il n’y a pas de finance magique, il nous faudra indiquer si ces nouvelles priorités sont financées par la dette, par l’impôt ou par des économies.
Mesdames et Messieurs, le niveau de vigilance de nos concitoyens est aujourd’hui proportionnel à leur inquiétude. Ce ne sont pas seulement nos concitoyens qui s’inquiètent ou espèrent pour leurs enfants, ce sont les enfants eux-mêmes qui nous interpellent sur leur avenir et veulent s’engager. Notre défi collectif, c’est de ne pas tomber dans la déprime ou la défiance, mais de faire de cette vigilance et de cette exigence environnementale un moteur d’action concrète dans la société. Avec cette convention citoyenne pour le climat, vous avez une occasion historique d’être au rendez-vous.
Alors hauts-les-cœurs, et au travail.
Je vous remercie.

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