Clôture du colloque « Médias, liberté et création »

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 19/06/2019

Mercredi 19 juin 2019
Monsieur le ministre, cher Franck,
Monsieur le président, cher Roch-Olivier Maistre,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Messieurs les anciens présidents du CSA,
Mesdames et messieurs les membres du collège,
Madame le présidente de Radio France,
Mesdames et messieurs les présidents de groupes audiovisuels,
Mesdames et messieurs,
Je fais sans doute partie d’une des premières générations qui a grandi avec la télévision sous sa forme moderne. Je vous laisse libre de juger du résultat ! Même si, je dois le reconnaître, durant quelques années, la télévision est restée un objet qu’on trouvait partout - dans les vitrines des magasins, dans les salons de mes camarades - sauf chez moi. Mes parents la considéraient en effet avec une certaine réserve. Contrairement à la radio.
Heureusement, on pouvait toujours compter sur une bonne âme pour vous inviter à regarder une finale de Roland Garros ou une Coupe du monde de football. Mais, durant des années, j’ai vécu sans télévision. Une télévision qui exerçait sur moi l’attraction ambiguë d’un fruit défendu.
Et puis, l’âge et les revendications aidant, j’y ai enfin eu accès. Et, comme un grand nombre de personnes à commencer par Malraux, je me suis rendu compte qu’il existait « une télévision pour passer le temps et une télévision pour comprendre le temps ». Les deux pouvant aller de pair mais pas toujours. Tout programme dit quelque chose de son époque. Cette chose est tout simplement plus ou moins agréable à entendre ou à regarder.
Quoi qu’il en soit, je dois beaucoup à la télévision et à la radio. Je leur dois sans doute une partie de ma vocation politique. Je me demande à quel point « l’Heure de vérité » n’a pas constitué la principale pépinière de responsables politiques de ces trente dernières années. Je dois également aux médias, même si c’est plus récent, quelques grands moments de ma vie politique. Certains très matinaux... Je ne vise personne ici. D’autres plus irritants... Je ne vise personne non plus. Les derniers - la grande majorité en fait – très constructifs, utiles et même très agréables.
Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel c’est que dans cette histoire personnelle et au fond très commune avec les médias, se nichent quelques fondamentaux de notre histoire audiovisuelle. Une histoire de liberté et de responsabilité. Une histoire de créativité et de souci d’objectivité. D’indépendance et de confiance. De proximité aussi. De culture. Cette histoire, c’est aussi une histoire technologique, depuis l’invention de la télécommande jusqu’aux plateformes. Une histoire qui va tellement vite que quand on parle de médias avec ses enfants, on a toujours la désagréable impression d’être plus vieux que son âge.
Il faut donc être agile et solide. Aussi solide, messieurs les présidents du CSA, qu’une tour de 18 étages, qui porte le nom du tempétueux Mirabeau, pour réguler un secteur qui est à la fois en perpétuelle expansion. En perpétuelle évolution. Voire en perpétuelle ébullition.
Sur cette histoire d’une trentaine d’années – soit une génération – plane l’ombre tutélaire du CSA. Je connais peu d’institutions qui soit à la fois aussi critiquée, aussi crainte et aussi connue du grand public que le CSA. Et encore. Cette notoriété, cette solidité, ces critiques ne sont pas le fruit du hasard. Elles sont la marque ou la conséquence d’un savoir-faire. Car durant ces trente dernières années, le CSA a su en effet peu à peu s’affirmer.
Affirmer son indépendance tout d’abord. Décision après décision. Une indépendance qui, dans l’esprit de certains responsables politiques de générations précédentes, était loin d’être une évidence. Mais qui l’est devenue grâce à l’action successive de ses présidents et de ses membres. Grâce aussi à l’évolution des pratiques et des mentalités. Plus personne aujourd’hui ne conteste l’indépendance du CSA.
Il a su garantir la liberté de création, la liberté d’information et l’indépendance des médias. Tout en participant activement au débat de société, en faisant évoluer les pratiques, comme il a su se saisir, par exemple, de la question de la représentation de diversité des origines et des cultures à l’écran et sur les ondes. Ou encore engager des réflexions importantes sur la protection des enfants et leur exposition aux écrans.
Durant ces trente années, le CSA a également su accompagner les évolutions du secteur. Que ces évolutions concernent les usages ou les technologies. C’est le développement du câble et du satellite. Le lancement de la TNT et du DAB+ dans le domaine de la radio. Je pourrais aussi citer les services de communication en ligne ou les services de médias à la demande. Le pire c’est que j’en oublie probablement !
Enfin, le CSA a su nouer un dialogue direct, souple et réactif. Avec les professionnels et avec le public. Et ce faisant, il a su créer un modèle original de régulation. La régulation, ce n’est ni la réglementation, ni le laisser-faire. Mais un entre-deux assez subtil dans lequel la réglementation fixe les principes et le dialogue détermine les modalités. Et où l’autorité ne se confond pas avec une forme de rigidité.
Au-delà de la solidité de l’institution, ce qui me frappe le plus c’est de voir à quel point dans un contexte extrêmement mouvant – « disruptif » comme on dirait aujourd’hui – les objectifs de la loi de 1986 demeurent d’une saisissante actualité.
Ces objectifs, vous les connaissez : c’est le respect de l’équité du débat démocratique. Du pluralisme de l’information. De sa sincérité, qui ne va pas sans une forme de mesure, de modération. Permettez-moi d’y ajouter le terme de « civilité » que j’ai évoqué en conclusion de ma déclaration de politique générale auquel je tiens et qui parfois fait défaut dans le débat public, et dans la façon de parler.
Ces objectifs de la loi 1986, c’est aussi la reconnaissance de la responsabilité des médias dans le respect de valeurs qui nous sont chères. La dignité humaine. La diversité. L’égalité entre les femmes et les hommes. La lutte contre les discriminations.
Ces objectifs sont enfin économiques et culturels. Parce que dans notre modèle français, les deux sont liés. La loi de 1986, c’est au fond, l’histoire d’un pari. Celui qui consiste à demander aux entreprises audiovisuelles de financer la création en échange de l’exploitation de fréquences. C’est aussi la reconnaissance du rôle pivot de l’audiovisuel public dans le soutien à la création et l’accès des citoyens à l’information et la culture.
Les objectifs ne changent pas. En revanche, tout le reste change : les usages, l’environnement économique, les menaces et les moyens d’atteindre ces objectifs. Tout cela est soumis à une transformation permanente, accélérée, peut être parfois désordonnée quand on l’observe ou on la pratique. Ce qui change aussi, c’est, je crois, la naissance d’un sentiment d’urgence. Durant des années, la régulation a semblé appartenir au passé. Beaucoup l’avait enterrée. Or, de manière assez récente, on sent poindre dans les opinions publiques, des inquiétudes. Et avec elles, un appel à plus de régulation. À une sorte de « reprise de contrôle » démocratique. Il me paraît que si ce constat est juste, notre chance, c’est qu’en France, on peut construire quelque chose de neuf sur une expérience très solide.
Nous avons commencé à le faire. Avec la loi de décembre 2018 sur les « fausses nouvelles ». Je connais l’attachement du CSA au respect de la langue française. Je me garderais donc d’employer l’expression anglo-saxonne consacrée. Nous allons continuer de le faire avec la proposition de loi de la députée Laëtitia Avia sur la lutte contre la haine sur internet qui est en cours d’élaboration.
Et puis, nous allons surtout engager le travail de révision de la loi de 1986 dans le cadre du projet de loi audiovisuel. La loi de 1986 est une grande loi, elle a façonné l’audiovisuel pendant 30 ans. La nouvelle loi audiovisuelle doit l’être tout autant, pour répondre aux défis des transformations profondes que nous connaissons aujourd’hui. Les travaux sont en cours. Nous avons confié un certain nombre de missions. Des rapports parlementaires ont été remis. Depuis sa nomination, le ministre de la Culture suit de près les concertations qui ont lieu. Sans préempter leurs conclusions, ce projet de loi vise au fond à faire trois choses.
La première, c’est de repenser la règlementation du secteur, de favoriser son équilibre économique, tout en continuant à encourager la création.
Cela implique d’abord de privilégier la régulation, plus souple, plus réactive, par rapport à la réglementation.
Cela implique aussi d’élargir le financement de la création aux entreprises du numérique. L’exception culturelle reste notre combat : dans l’ancien système, tout tournait autour du soutien à la création ; il faut que cela reste le cas dans le nouveau. Que les nouveaux acteurs, dont personne ne souhaite brider le dynamisme, financent, comme les anciens, les créateurs et les artistes. C’est un enjeu d’équité entre les opérateurs traditionnels et les nouveaux entrants numériques. C’est surtout un enjeu de poursuite de cette spécificité et de cette ambition de création française.
Enfin, nous devons accorder plus de liberté aux professionnels pour nouer des accords et développer des stratégies industrielles. Il n’aura échappé à personne que la concurrence est désormais plus internationale que nationale. Si l’on ne fait rien, nos meilleurs atouts pourraient se retrouver des nains dans un monde de géants.
Dans le monde audiovisuel qui vient, la création va devenir, encore peut-être plus qu’auparavant, le « nerf de la guerre ». La concurrence entre les grandes plateformes ne s’effectue pas tant par les prix, que par les contenus qu’elles sont capables de proposer et le lien direct, souvent exclusif, qu’elles nouent avec le public. Cap donc sur la création ! Et ça tombe bien : nous sommes un grand pays de création. Un pays qui attire les tournages et les productions. Un grand pays de feuilletons depuis Eugène Sue ou Alexandre Dumas, jusqu’à « Fais -pas ci, fais-pas ça », « Dix pour cent » ou le « Bureau des légendes ». La France a tellement de talents ! Il y a une continuité et il faut la faire vivre.
Deuxième priorité de ce projet de loi : réaffirmer le rôle de l’audiovisuel public. Je crois profondément à la nécessité du service public audiovisuel. Ce n’est pas qu’une formule de circonstance. J’y crois parce que le public plébiscite le service public. Bravo à Radio France pour ses audiences record. J’y crois parce que dans un monde où règne la confusion, nos démocraties ont besoin d’informations fiables et rapportées sans logique marchande. Dans un univers globalisé, nous avons besoin de cohésion et de proximité. Nous avons besoin de connaître nos régions, leur richesse et leur diversité : je pense à l’Outre-mer qui sera présente sur toutes les chaînes du groupe France Télévisions et dont la visibilité sera beaucoup plus grande qu’à l’heure actuelle. Nous avons aussi besoin de toucher la jeunesse. Parce que le service public, c’est pour des millions de Français, la principale porte d’entrée vers la culture, le divertissement, l’histoire, le patrimoine. Vers la science aussi.
A la demande du Gouvernement, les groupes audiovisuels publics ont engagé de profondes transformations. Des transformations qui bousculent des habitudes et qui se font dans un cadre financier contraint. Mais elles sont absolument nécessaires. Les médias deviennent globaux ; les jeunes ne regardent plus la télé, n’écoutent plus la radio en linéaire ; la concurrence internationale est aigüe. Si l’audiovisuel public ne se transforme pas, nos enfants le supprimeront.
Nous avons réaffirmé ses priorités stratégiques, ce qui doit fonder sa spécificité : l’information, la culture, la proximité et la jeunesse. Nous lui avons donné une nouvelle ambition numérique. Le public est d’ailleurs au rendez-vous. En témoignent les succès d’audience des chaînes publiques et de leurs offres numériques, notamment ici à Radio France. Ces transformations doivent se poursuivre, notamment grâce aux coopérations éditoriales. Le projet de loi offrira un cadre, une gouvernance pour faciliter ces transformations.
Enfin, dernière priorité : bâtir un modèle de régulation national et européen qui nous ressemble. Ce modèle se situe au fond à mi-chemin entre deux modèles très différents. Un modèle qui érige le « laisser-faire » en principe directeur. Et un autre modèle dans lequel la puissance publique est pour le moins présente. Deux modèles qui, pour des raisons différentes, ne me semblent pas devoir prévaloir chez nous.
Ainsi, le modèle que nous voulons bâtir se fonde à la fois sur une juste contribution au financement de la création, sur des sanctions pour lutter contre les contenus illicites et le piratage qui empêche les artistes de vivre de leur travail, sur la responsabilisation des acteurs du numérique, sur l’association de la société civile. Il s’agit au fond d’étendre et d’approfondir une approche que le CSA connaît bien et pratique depuis longtemps.
Et pour tenir compte de l’évolution de l’environnement des médias et ce qui ressemble à une «extension du domaine de la lutte », la loi dessinera également le futur paysage de la régulation. Il faut sans doute, à tout le moins, rapprocher le CSA et l’HADOPI, et approfondir les coopérations entre le CSA et l’ARCEP. Deux missions travaillent actuellement à la définition des contours de ces nouvelles formes de régulation.
Je sais que ces réflexions suscitent de l’inquiétude, des interrogations et de l’impatience. C’est normal. Les enjeux sont immenses ; les équilibres fragiles. Et les évolutions technologiques sont tellement rapides qu’il faut savoir, dans la mesure du possible, les anticiper pour éviter de courir en permanence derrière elles.
Je l’ai dit lors de ma déclaration de politique générale. Le ministre de la Culture présentera d’ici la fin du mois d’octobre, un projet de texte pour que le débat s’engage au plus tard au mois de janvier 2020 à l’Assemblée nationale. L’objectif est que vous puissiez travailler et créer dans ce nouveau cadre dès l’année 2020.
Non pour nous retrancher derrière je ne sais quelles barrières, qui ne seront de toute façon, jamais assez hautes, ni assez étanches. Mais au contraire pour nous déployer. Le propre d’une œuvre, c’est de voyager. Donc, voyageons. Partons à la conquête des imaginations et des intelligences. Faisons en sorte que la France et l’Europe demeurent ces grands espaces de libertés et de création qui, depuis des siècles, étonnent et émerveillent le monde. Quelque chose me dit que dans le monde qui vient la création, l’intelligence, cette communication libre ont une valeur exceptionnellement stratégique.
Je vous remercie

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