Réponse du Président de l’Observatoire de la laïcité aux propos publics du responsable de la commission laïcité de l’UFAL

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault.

Publié 18/02/2014|Modifié 29/12/2021

Monsieur le Président,

J’ai bien noté vos propos mettant en cause l’exactitude juridique de l’avis du 15 octobre 2013 sur « la définition et l’encadrement du fait religieux dans les structures qui assurent une mission d’accueil des enfants » et du guide sur « la gestion du fait religieux dans l’entreprise privée » adoptés par l’Observatoire de la laïcité.
Permettez-moi de répondre aux deux points que vous avez développés :
Dans un premier point, vous contestez notre avis du 15 octobre 2013 et affirmez le droit pour une entreprise privée d’« exiger de ses salariés la neutralité religieuse ». Vous indiquez vous appuyer sur la directive européenne n°2000/78 CE, transposée en droit français par la loi du 27 mai 2008, qui mentionnerait une « exigence professionnelle essentielle et déterminante (…) légitime et proportionnée », autorisant des « différences de traitement en matière d’emploi fondées sur la religion ou les convictions ».
En réalité, la directive européenne du 27 novembre 2000 à laquelle vous vous référez prévoit des dispositions spécifiques pour une telle dérogation particulière aux « entreprises de tendance » et institue une clause de standstill (ou de gel) qui exige que les États membres aient adopté une législation spécifique sur les entreprises de « tendance » à la date d’adoption de la directive. Or, cela n’a pas été le cas de la France.
Ainsi, et au regard du droit communautaire dans son ensemble, la notion d’entreprise de « tendance » n’aurait pu être retenue dans le cadre de l’affaire « Baby-Loup » que vous citez, que, d’une part, si celle-ci avait été considérée comme une organisation « philosophique non confessionnelle »1 ; d’autre part, si la France avait adopté une législation spécifique au moment de la transposition de la directive du 27 novembre 2000.

Cela n’a pas été le cas parce que notre jurisprudence française actuelle, constante et se voulant respectueuse du principe constitutionnel de laïcité, circonscrit les règles spécifiques relatives aux entreprises de « tendance » aux associations religieuses ou aux établissements d’enseignement privé relevant d’une religion déterminée. La doctrine admet également comme entreprises « de tendance », les partis politiques et les syndicats ou les associations spécifiques ayant pour objet essentiel la promotion d’une doctrine.
Pour conclure sur ce point, vous me permettrez de citer le Doyen Waquet : « Le problème des signes religieux dans l'entreprise a pu prendre une certaine acuité à raison d'un accroissement du fondamentalisme qui affecte toutes les religions et qui contredit, paradoxalement, une montée de l'indifférence religieuse. Il ne paraît pas nécessaire de recourir pour autant à de nouveaux outils législatifs ou règlementaires. Le régime légal actuel permet, sous le contrôle du juge, de cantonner les excès de zèle religieux au sein des entreprises, sans porter atteinte à la liberté religieuse afin de favoriser une laïcité nécessaire à la vie en commun des citoyens de la République. »
Dans un second point, vous prétendez que, dans son guide sur « la gestion du fait religieux dans l’entreprise privée », l’Observatoire de la laïcité « confond à plusieurs reprises la liberté de manifester sa religion et la liberté de conscience » et affirmez que la Cour européenne des droits de l’homme « a reconnu que les partisans de la laïcité exprimaient des convictions au sens de l’article 9 de la Convention, article applicable en droit français, avec une valeur supérieure à la loi. »
Vous faites ainsi allusion à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Lautsi et autres c. Italie, dite « affaire des crucifix italiens », dans lequel elle reconnaissait effectivement la laïcité en tant que conviction philosophique protégée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cependant, vous omettez de préciser que cette affaire ne concernait pas la France mais l’Italie, où le concept de laïcité n’est pas le même. Or, la Cour européenne des droits de l’homme est très claire sur ce point : il n’existe pas de standard européen et l’attitude à l’égard de la laïcité et de la liberté de religion varie considérablement d’un État à un autre. Ainsi, cet arrêt et ses conséquences ne sont aucunement transposables à la France.
De fait, si l’on se réfère à la loi du 9 décembre 1905, la reconnaissance d’une « tendance laïque » dans tout organisme privé apparaît contestée par notre principe de laïcité lui-même. En effet, en France, la laïcité s’inscrit dès son origine comme un principe supérieur et non comme une simple opinion. La laïcité est devenue un principe constitutionnel d’organisation de l’Etat. Si la laïcité était une simple « tendance », elle serait dévaluée et réduite à un choix qui ne serait plus le principe constitutionnel partagé par tous.

Espérant avoir répondu à vos interrogations sur ces deux points juridiques, je vous prie de recevoir, Monsieur le Président, mes sincères salutations.
Jean-Louis Bianco

Partager la page